2 - Toujours plus d'ambition

En 1871, le conseil d'administration avait hésité, pour garder la clientèle en France et pour développer le potentiel de production, entre le rachat de Montferrand et celui de Portieux pour finalement opter pour ce dernier établissement en fonction d'un certain nombre de critères que nous avons précédemment exposés. En 1880, l'opportunité de faire l'acquisition de Montferrand se présente à nouveau et les ambitions, jamais vraiment éteintes du conseil d'administration refont surface.

En 1880, Monsieur Gérard, maître de verrerie à Montferrand-le-Château (Doubs), vient proposer à X. Mougin la vente de son établissement car il souhaite "réaliser sa fortune en espèces". Le directeur de Portieux qui a visité l'usine rend compte au conseil d'administration de son voyage. L'établissement de Montferrand construit en 1870 est en excellent état précise-t-il, ajoutant que le prix demandé correspond à environ un tiers de la valeur à laquelle il peut être estimé, déduction faite des marchandises 710 . Cet établissement présente des ressources quant à la production et à l'expédition. En effet, il se trouve sur une ligne de chemin de fer et sur le Doubs canalisé. Si cette usine tombait entre "des mains habiles", la concurrence pour Portieux serait à redouter. L'adjonction de ce nouvel établissement à la société présenterait un inconvénient particulier en ce sens que le personnel de direction serait désorganisé. L'acquisition de Montferrand conduirait J. Richard à la direction de cette usine tandis que René Verdelet quitterait la sous-direction de Vallérysthal pour celle de Portieux. Il est décidé que les administrateurs Hertz et Raspiller, le directeur général A. Thouvenin, les directeurs de Vallérysthal et Portieux se rendront sur place pour y traiter, s'il y a lieu, sous la responsabilité du conseil d'administration. Lors de l'assemblée générale, en septembre 1880, le président G. Chevandier informe les actionnaires qu'il est question de racheter une usine "pour amoindrir la concurrence". La confiance est demandée afin "de traiter au mieux des intérêts de la société". En fait, au départ et à la date de déroulement de cette assemblée générale, il est bien question de prise en mains de l'usine de Montferrand afin de l'incorporer à la société. La remarque du conseil de surveillance ne laisse planer aucun doute sur les intentions premières : "le conseil de surveillance se bornera à recommander au conseil d'administration d'agir avec prudence et de ne pas perdre de vue qu'à une époque troublée et où l'industrie est généralement en souffrance, une nouvelle entreprise engageant plus ou moins les finances de la société est chose grave et qu'il est d'une sagesse de ménager les ressources afin de pouvoir faire face à toutes les éventualités". En réalité, les événements qui surviennent, orientent différemment l'ambition du conseil d'administration. Le maître de verrerie, propriétaire de Montferrand Monsieur Gérard, décède et les administrateurs et directeurs ne se rendent pas dans le Doubs pour visiter l'usine. La vente de cette dernière a lieu le 15 juillet 1880. Deux hypothèses se présentent pour la société : éteindre immédiatement l'usine pour exclure définitivement une production concurrente ou continuer à marcher en apportant le plus rapidement possible des moyens de fabrication perfectionnés et économiques. Cette deuxième hypothèse ne séduit guère les membres du conseil qui ont appris dans quel état se trouvaient les logements d'ouvriers. Ces derniers ne comportent ni plafonds, ni caves, ni lieux d'aisance, et "les planchers sont en rapport avec le reste". Mission est alors donnée à X. Mougin, président du groupe des verriers de l'Est, de réunir le groupe pour demander aux fabricants l'engagement formel de payer à la société une subvention de 500 francs par pot, pour le cas où la société achèterait Montferrand afin de l'éteindre définitivement comme verrerie ; un autre type de fabrication, hors verrerie bien entendu, pouvant s'installer sans objection dans les locaux. Réunis le 11 juillet 1880 par X.Mougin, les verriers de l'Est refusent de payer 500 francs par pot pour amener l'extinction de l'usine de Montferrand. Vallérysthal et Portieux conservent donc toute liberté d'action. Le 15 juillet, X. Mougin et A. Thouvenin se rendent à la vente à Besançon. Assiste également à la vente Monsieur Mercier, gendre de Monsieur Fouillot propriétaire de La Rochère, devenu l'associé de son beau-père et le directeur de l'établissement. Après deux tentatives de mise à prix, le notaire annonce qu'une demande sera adressée au tribunal pour autoriser une nouvelle baisse. La nouvelle adjudication est fixée au 7 août. Mercier manifeste l'ardent désir de voir s'éteindre Montferrand et, dans ce but, propose une entente avec Vallérysthal et Portieux. L'usine de Montferrand, relativement proche de La Rochère était évidemment pour cette dernière une source de concurrence importante et l'occasion était favorable pour annihiler celle-ci. La société de Vallérysthal et Portieux n'acquiert pas la verrerie de Montferrand dont le personnel trouve du travail principalement dans les verreries lyonnaises. Portieux engage en 1883 Joseph Mimet 711 , né à Montferrand. Cet ouvrier quitte la verrerie l'année suivante. En 1884, un chef de la taillerie de Montferrand demande un emploi à Portieux. Le conseil d'administration refuse de l'embaucher car il est dangereux d'introduire dans les ateliers des "étrangers" qui peuvent être envoyés pour étudier ses nouveaux procédés et aller les rapporter ensuite dans d'autres usines. A cette date, la verrerie n'est pas éteinte. D'ailleurs, en avril 1887, G. Chevandier fait écrire à Renard, directeur de Montferrand qu'il ne donne pas suite à la vente. Au cours d'une réunion du groupe des verriers de l'Est à Nancy, il est décidé d'offrir à Monsieur Broquard, banquier à Besançon et créancier hypothécaire de la verrerie de Montferrand une somme de 100 francs par pot en activité dans chacune des verreries "à la condition que cette usine ne serait vendue qu'avec l'interdiction formelle et pour toujours d'y faire de la gobeleterie". En 1885, les locaux de l'usine sont achetés par une société qui exploite une souderie jusqu'à la guerre de 1914. Par la suite, une usine de blanchiment de textile s'installe dans la taillerie au bord du Doubs. La grande cheminée symbole du passé de la verrerie est abattue en 1960 712 .

Notes
710.

En fait la verrerie de Montferrand date des années 1860. Source "La verrerie en Franche-Comté", André Seurre, Besancon, 1972.

711.

Engagement de Joseph Mimet : registre des entrées et sorties des verriers.

712.

Renseignements sur l'évolution de Montferrand : André Seurre, op.cit.