Dans les premiers jours de la guerre, l'usine de Vallérysthal subit quelques dommages facilement réparés. Elle poursuit son travail avec deux fours. Avant la victoire de la Marne, l'usine de Portieux se trouve très menacée. Quelques kilomètres la séparent de l'ennemi qui est définitivement refoulé de cette partie des Vosges. Dans les mois qui précèdent la guerre, la verrerie fonctionne à plein régime. En décembre 1913, le four n° 1 (12 pots) est rallumé ; le four n° 2 (12 pots), rallumé au mois d'août, est en feu également ; le four n° 3 (12 pots) est éteint au mois d'août, de même que les fours n° 4 (12 pots) et n° 6 (6 pots) un peu plus tard en décembre ; le four n° 5 (12 pots) travaille jusqu'en juin 1914 ; le four n° 7 (12 pots) est également en activité. Les verriers travaillent donc autour de quatre fours, soit 48 pots. Dès le mois d'août 1914, et pour la durée de la guerre, un seul four à 12 pots est en feu. La verrerie n'interrompt donc pas son travail mais les matières premières manquent. A partir de novembre 1915, l'usine souffre de l'absence de nitrate de potasse et de soude, d'oxyde d'antimoine puis, par la suite, de minium, feldspath, spathfluor... C'est seulement en avril 1919 qu'elle relance la production avec deux fours à 12 pots auxquels s'ajoute en avril 1920 un four à 6 pots 731 .
Compte tenu de la période extrêmement troublée, les résultats apparaissent satisfaisants. Pour l'usine de Portieux, les bénéfices additionnés des quatre années de guerre correspondent sensiblement au chiffre du dernier exercice normal 732 .
En 1918 et 1919, par suite du défaut de matières premières et notamment de charbon, la production doit être limitée alors que l'on dispose dans chaque usine de la main-d'oeuvre nécessaire au fonctionnement d'un four supplémentaire qui ne peut être mis en feu. Le directeur se bat pour obtenir du charbon. En septembre 1918, il écrit au secrétaire général de la Chambre de commerce d'Epinal pour que celui-ci intervienne afin de lui en faire livrer du Tréport en provenance du Yorkshire 733 . Il signale qu'il travaille avec du charbon "atroce" avancé à haut prix par la Chambre de commerce. Selon lui, l'usine peut encore tenir trois semaines. Si aucun envoi ne parvient à la verrerie, il envisage l'arrêt du four. "As-tu du charbon", demande-t-il à Joseph Didot directeur de Clairey, "moi j'en ai moins que jamais" gémit-il 734 . Fains est arrêté depuis le 1er août tandis que Bayel et Vannes-le-Châtel se débattent dans de nombreuses difficultés. Tout au long de l'année 1919 et une partie de l'année 1920, A. Richard cherche des solutions pour trouver le combustible nécessaire à la vie de l'usine. A l'ingénieur en chef du corps des mines à Noeux-les-Mines (Nord), il explique son intervention en gare de l'Est pour le problème du transport du Tréport à Portieux et lui demande d'intervenir auprès du bureau du charbon pour obtenir 450 tonnes de "gros criblé à gaz" de la Sarre. Il reçoit actuellement, dit-il, 200 à 250 tonnes de "gros Yorkshire" qui ne lui permet pas d'allumer le deuxième four. S'il n'obtient pas 450 tonnes de la Sarre, peut-être pourrait-on lui livrer moitié de la Sarre et moitié du Yorkshire. Le directeur rappelle à son correspondant qu'il faut trois semaines de chauffage à blanc pour mettre un four siemens au travail 735 . Le directeur multiplie les requêtes auprès du préfet des Vosges lui précisant que la verrerie va cesser de fonctionner alors qu'elle tournait avant la guerre à cinq fours. Les ouvriers démobilisés continuent pourtant à être payés. Cela va cesser. Il dégage toute responsabilité affirmant : "la situation est très grave ; c'est là mon dernier cri d'alarme" et insistant à nouveau : "la situation je le répète est très grave, elle peut encore être sauvée par du vin et du charbon, c'est là mon dernier cri d'alarme" 736 . En septembre 1920, alors que la verrerie fonctionne désormais avec 24 pots, au lieu de 54, le directeur clame comme un leitmotiv que la verrerie manque de charbon ; "quel métier" ajoute-t-il 737 . Ne supportant plus la situation, le patron envisage la construction d'un four au bois. C'est ainsi qu'il sollicite un confrère afin d'obtenir plan et devis d'un tel four capable de fondre la matière en 14 ou 15 heures pour donner du verre très fin 738 . L'usine reçoit 450 à 520 tonnes de charbon à gaz par mois alors qu'il lui en faudrait 720 à 800 tonnes. Jusqu'en 1922 et même au-delà, l'usine recherche du charbon. Le directeur négocie tonnage et tarifs avec le responsable de la société des Houillères de la Sarre et Moselle à Carling (Moselle) et son représentant. Le troisième four est en feu, début 1923, et l'on compte travailler le 1er février. Il faut donc accroître les livraisons de combustible 739 . A la fin de l'année 1920, la situation s'améliore. Les commandes continuent à affluer et l'usine pourrait vendre plus de gobeleterie qu'elle n'en fabrique. Lors de l'exercice 1920-1921, Portieux dégage un bénéfice en augmentation de 632.000 francs sur celui de l'exercice précèdent. Si l'usine reprend vie, il faut néanmoins constater que les commandes tant pour la France que pour l'étranger diminuent sensiblement. La crise est générale. Elle s'étend aux pays non engagés dans la guerre. Il n'est cependant pas question de procéder à une baisse d'ensemble des prix dans un moment où la verrerie n'a pas réduit le nombre d'ouvriers. Le prix de divers articles courants baisse sensiblement en raison de la concurrence. Les sacrifices n'ont cependant aucune répercussion sur les ventes, les réductions consenties allant pour une large part aux intermédiaires. Le directeur parle d'une crise des ventes dont il relève les causes :
"La situation s'aggrave au jour le jour", précise-t-il 741 .
Alors que les commandes absorbent juste la production au début de l'année 1923, la situation s'améliore au cours du second semestre de l'exercice 1922-1923. Les commandes augmentent, surtout celles de l'Amérique du Sud. Au mois de mai 1923, elles sont surabondantes. Les délais de livraison passent à trois mois. Le personnel vient à manquer. A la fin de cette même année 1923, la fabrication se trouve débordée. Les ordres qui datent de 8 à 10 mois ne sont pas encore livrés. L'usine décide de donner la priorité aux commandes d'articles gravés et taillés qui permettent de faire travailler tous les ateliers. Les commandes concernant les articles unis et moulés ne sont pas prioritaires 742 . Les bénéfices de Portieux sont en augmentation à la fin de l'exercice 1923-1924. Le conseil d'administration dans son rapport à l'assemblée générale relativise les résultats : "les bilans ont été établis avec beaucoup de prudence ; celle-ci est bien plus nécessaire encore dans la période actuelle qu'en temps normal. Tant qu'on n'aura pas retrouvé une situation à peu près stable et qu'en particulier on n'aura pas une unité monétaire à valeur fixe nous resterons soumis, comme toute l'industrie française, à bien des circonstances aléatoires. Il est indispensable, quand on le peut, d'avoir une situation assez solide pour y faire face à l'occasion" 743 . Au mois de mai 1924, l'usine possède trois fois plus de commandes en carnet que l'année précédente à la même époque, ce qui représente huit mois d'avance. Tout au long de l'année 1924, la production ne peut satisfaire la demande. La direction ne souhaite faire aucune publicité pour sa fabrication. C'est par devoir que l'usine participe à la foire exposition d'Epinal et non pour se faire de la réclame. La situation est inchangée à la fin du premier semestre 1925. Les commandes en carnet représentent un an d'avance. Les expéditions suivent le même rythme. La plupart des membres de la Chambre syndicale des verriers de l'Est demandent une majoration de tarifs. Le directeur de Portieux s'y oppose car le cours des matières premières ne justifie pas la hausse réclamée et la hausse des tarifs entraînerait celle des salaires, ce qui serait dangereux pour l'avenir 744 . L'exercice 1924-1925 qui se termine au 30 juin donne des résultats satisfaisants. Les bénéfices apparaissent comme supérieurs à ceux de l'exercice précédent 745 . Pour être exact, il convient de tenir compte de la valeur du franc qui varie sensiblement d'un exercice à l'autre. Le conseil d'administration présente donc à l'assemblée générale le bilan des exercices depuis 1919-1920 en francs - or d'après la valeur du dollar au 30 juin de chaque année :
Les bénéfices, calculés d'après une unité fixe, varient en réalité dans des limites étroites. Ils sont inférieurs aux bénéfices antérieurs à la guerre qui ont été de 1.448.000 francs pour l'exercice 1912-1913 ; le bénéfice maximum ayant été atteint en 1907-1908 avec 1.512.000 francs. En période d'inventaire, il se produit un fléchissement des commandes de décembre à fin janvier. Mais, en cette année 1926, en raison de la crise consécutive à la revalorisation du franc, le fléchissement est beaucoup plus sensible. Les commandes se raréfient tandis que se multiplient les annulations de marchés et les demandes de prolongation d'échéances. Tant que les commandes en carnet n'ont pas été satisfaites, la situation n'apparaît pas critique 746 . La baisse du franc est rapide au mois d'août 1926. Le changement de politique financière transforme la situation. En quatre mois, le franc remonte de façon notable. En fait, il se stabilise au mois de janvier 1927. La hausse brusque du franc ralentit l'arrivée des commandes. Elles baissent de moitié. A Vierzon, les verriers ne font plus que 30 heures par semaine. En avril 1927, l'usine de Portieux fonctionne avec trois fours seulement et l'on n'envisage pas de réduire les heures de travail. La situation s'aggrave au mois de juillet. La Chambre syndicale maintient les tarifs sauf sur les gobelets moulés et les verres à confiture pour lesquels chaque verrerie reprend sa liberté. Portieux baisse ses coûts de 30 % sans que ce geste ne rapporte aucune commande en plus. La situation s'améliore un peu en octobre mais à la fin du cinquième mois d'exercice, fin novembre, on constate un chiffre des ventes inférieur de 400.000 francs au chiffre atteint l'année précédente à la même époque. Une sévère concurrence règne sur les marchés surtout sur celui de Paris, concurrence allemande, belge, tchécoslovaque. Les verreries françaises vendent à vil prix. Le directeur propose de baisser les tarifs de 10 à 15 % sous peine de ne plus rien vendre et de réduire de 10 % l'indemnité annuelle de vie chère. La baisse du temps de travail qui passe à 7 heures chez les manoeuvres entraîne également une diminution des salaires 747 . Au mois de mai 1928, une légère amélioration de la situation se dessine à partir d'une baisse de 8 à 9 % des tarifs 748 . Face à cette situation difficile, le conseil d'administration charge A. Richard de s'enquérir des procédés grâce auxquels les verreries tchécoslovaques arrivent à vendre en France à très bon marché de la très belle moulure supérieure en blancheur à celle des deux verreries de la société. Le président propose même à A. Lacombe d'étudier si on peut organiser la fabrication du cristal pour compenser la mévente du verre 749 .
L'exercice 1927-1928 peut être considéré comme un exercice de crise. Le bénéfice enregistré baisse de 37 % par rapport à celui du précédent exercice. La baisse s'explique par un ralentissement des affaires et par une réduction du prix des ventes sous l'effet de la concurrence. Cette dernière mesure conduit à une baisse des salaires mais limite le chômage. Vers le milieu de l'exercice 1928-1929, la vente en France reprend quelque peu et les prix remontent. Des marchandises en quantité appréciable sortent des magasins. Si le bénéfice est en augmentation par rapport au précédent, il est inférieur à celui de 1926-1927. Les ventes à l'exportation sont assez faibles. Le Brésil n'envoie plus de commandes ; celles du Chili, de l'Argentine, du Pérou diminuent de plus en plus. L'exercice 1929-1930 peut être considéré comme un exercice satisfaisant dans une période de crise due au développement excessif de la production que l'on tente de réduire. La marche de l'usine vaut aux employés et ouvriers une allocation de supplément de traitement. Depuis le début de l'année 1931, les ventes ne cessent de baisser sans que l'on perçoive "aucun symptôme encourageant". Sur le marché intérieur s'exerce la concurrence des verreries étrangères que le conseil d'administration explique par une rémunération des salaires plus faible que celle des ouvriers français et des droits de douane insuffisants. Des verreries cherchent à combler leurs manques de trésorerie et vident leurs magasins à des prix sacrifiés de 30 à 40 % moins chers que ceux pratiqués par les usines françaises. La crise se développe durant l'exercice 1931-1932. Au cours de l'exercice, on réduit la fabrication afin de ne pas accumuler trop de marchandises en magasin. La question du chômage s'avère délicate. Certains envisagent de réduire les heures de travail ce qui aurait pour conséquence d'engendrer une nouvelle majoration des prix de revient dans un temps où il convient de les diminuer. Pour régler ce problème du chômage, chaque pays prend des mesures pour entraver les importations et se plaint lorsque ses exportations sont à leur tour gênées. A la verrerie, 58 ouvriers de la gravure chimique n'ont plus de travail ; 17 prennent leur retraite sur incitation du directeur ; 23 passent à d'autres services ; 18 restent à l'atelier. Les ventes de janvier ne suffisent pas à la paie du personnel 750 . Les résultats de Portieux ne permettent pas de verser une allocation de supplément de salaires. Au cours de l'exercice 1932-1933, l'usine de Portieux se ressaisit. Le bénéfice est en augmentation par rapport au précédent. Ce résultat est dû à l'adaptation de la fabrication aux besoins et à de strictes économies. On n'engage pas de travaux, sauf au magasin de Vallérysthal afin d'éviter les incendies. A. Richard signale qu'en avril 1934, les commandes sont plus mauvaises qu'elles ne l'ont jamais été jusque là. Il explique le phénomène par le fait que le contingentement fixé sur les bases des affaires réalisées en 1927-1929 est trop élevé par rapport aux possibilités de la consommation française 751 . Les verriers chôment un jour par semaine et les manoeuvres deux jours. Au mois de juin, la situation est encore moins bonne. De nombreux pays produisent de manière surabondante tout en se protégeant par des droits de douane élevés et par des contingentements. Le conseil présentant son rapport à l'assemblée générale du 1er septembre 1934 précise : "notre personnel a travaillé avec beaucoup de dévouement et mérite nos éloges ; nous n'occupons pas malheureusement nos ouvriers autant qu'il serait désirable. Nous espérons encore que, pour ne pas aggraver le chômage, le gouvernement n'hésitera pas à suivre de près la fixation des contingentements ; il est inadmissible, alors que la vente se resserre en France, qu'on y laisse pénétrer une quantité de verrerie étrangère déterminée au cours d'une période où les affaires étaient beaucoup meilleures qu'aujourd'hui." Il n'y a presque plus de commandes et encore s'agit-il de commandes de moindre importance. Les clients qui ne donnent pas suite aux propositions invoquent des prix trop élevés. Le troisième four est arrêté. Trente ouvriers et ouvrières sont licenciés. Les licenciements portent de préférence sur du personnel ayant atteint l'âge de la retraite. Une dizaine d'ouvriers n'ont que dix à quinze ans de service. Le conseil d'administration décide qu'il leur sera remboursé à peu près ce qu'ils ont versé pour la caisse de retraite. La situation est aussi mauvaise à Vallérysthal où les tailleurs travaillent au plus dix jours par mois. Fin octobre 1934, la situation s'améliore quelque peu. L'usine a en carnet plusieurs commandes importantes. Le chômage total ou partiel se développe au cours de l'exercice 1934-1935 qui est qualifié de "très médiocre". Aussi bien à Vallérysthal qu'à Portieux, les ouvriers chôment deux ou trois jours par semaine. Le contingent accordé aux verreries de la Sarre provoque des réclamations des verreries françaises. Ce contingent fini par être réduit ainsi que celui de la Yougoslavie. Par contre, celui appliqué aux verreries tchécoslovaques augmente de 5.000 quintaux. Le président du comité central des maîtres de verreries de France, accompagné du directeur de Portieux, proteste auprès du ministre du commerce contre cette augmentation alors que quelques semaines auparavant, sur la demande des mêmes interlocuteurs, ce ministre avait fait réduire le contingent primitif de 1.500 à 500 quintaux. Surpris, le ministre promet de faire une enquête. Il fait également connaître que la maison Bata a l'intention d'installer une verrerie en France sur des terrains achetés à l'aérodrome de Vernon dans l'Eure. Le président du comité et le directeur de Portieux insistent pour que, de concert avec le ministre du travail, il n'autorise pas l'entrée en France d'ouvriers tchécoslovaques 752 . Les rentrées d'argent se font difficilement tandis que les faillites se multiplient parmi la clientèle. La concurrence entre les verreries françaises s'exerce sauvagement. Sur certains articles, des différences atteignent 30 %. L'usine ne fonctionne plus qu'avec deux fours à 12 pots et un à 8 pots. Au premier novembre 1935, les salaires subissent une baisse non uniforme qui tient compte de l'activité relative des différents ateliers. Ils sont calculés de manière à assurer à tous les ouvriers le salaire maximum compatible avec la situation économique de l'usine. Début 1936, on chôme deux jours par semaine sans compter le chômage complet que représente le remplacement d'un des fours à 12 pots par un four à 8 pots. La concurrence continue à baisser les prix. Les commandes ne cessent de diminuer. Un effort est entrepris pour essayer d'améliorer le rendement et des mesures sont prises pour résorber progressivement le personnel employé en surnombre. On prévoit alors de faire peindre les tôles des toits en mauvais état par les chômeurs. La garderie est supprimée et l'on envisage d'arrêter la scierie qui cause une perte de 3.000 francs par mois. Présent à la réunion du conseil d'administration du mois de juillet 1936, le directeur général Lacombe rend compte des événements survenus depuis la dernière réunion du fait du mouvement général des ouvriers et des lois votées par le parlement 753 . Il précise qu'il n'y a eu de grève ni à Vallérysthal ni à Portieux. L'augmentation des salaires de 13 %, conformément à l'accord de Matignon, explique ce calme qui règne à l'usine 754 . Les frais de main-d'oeuvre représentant un peu plus de la moitié des prix de vente, les améliorations votées contribuent à les accroître d'environ 40 %. Les prix de revient montent très sensiblement. La concurrence étrangère est alors plus que jamais redoutée. Les contingentements accordés aux pays extérieurs continuent à préoccuper les responsables des verreries qui s'insurgent lorsque le gouvernement décide, unilatéralement, de tripler le contingentement accordé à la Tchécoslovaquie. Ils voient dans cette décision le risque d'accroître considérablement le chômage. La verrerie ne fonctionne plus qu'avec deux fours. L'exercice allant du 1er juillet 1935 au 30 juin 1936 présente une perte de 359.717,43 francs pour Portieux alors que Vallérysthal dégage encore un bénéfice. Les responsables de l'usine désespèrent de revoir "les belles années d'avant-guerre" puisque l'exportation devient très difficile, voire inexistante, alors qu'elle constituait une source appréciable de bénéfices. L'exercice suivant 1936-1937 ne connaît aucune amélioration. La situation de Portieux reste inquiétante malgré les compressions de dépenses, alors que Vallérysthal se défend de la façon la plus honorable dans des circonstances difficiles. Le conseil d'administration se demande s'il n'y aurait pas intérêt à n'avoir qu'une seule usine en fonctionnement. Elle suffirait à exécuter les commandes et les frais généraux subiraient une importante réduction. Pour tenter de mieux utiliser Portieux, il est décidé d'installer un four à bassin dans les bâtiments disponibles de l'usine. Cette idée met longtemps à se concrétiser pour se terminer par un rude échec. Dans son intervention du 1er septembre 1938, le conseil d'administration présente ainsi le bilan : "(...) nous serions dans une période difficile si nous n'avions pas des réserves nous permettant de subsister pendant une dépression prolongée. Celle où nous nous trouvons dure déjà depuis sept ans. Les quatre derniers exercices ont été mauvais, en particulier celui qui vient de se terminer, les ventes n'ayant pas été même momentanément influencées par les deux dernières dévaluations qui, réunies, ont atteint 31,67 % du franc Auriol" 755 . Portieux perd 820.034,86 francs alors que Vallérysthal maintient sensiblement sa situation malgré les difficultés toujours grandissantes. Si on déduit les revenus du portefeuille, la perte de Portieux s'élève à 1.007.140 francs. Tout au long des années 1937 et 1938, la société multiplie les interventions afin d'obtenir la protection de l'industrie du verre et plus particulièrement de la gobeleterie 756 . Paul Daum, vice-président du comité central des maîtres de verreries de France, élabore un rapport qui sert d'argumentation. Il explique ainsi que la mise en application de la semaine de 40 heures donne un caractère exceptionnel à ce début de l'année 1937. Portieux applique 40 heures depuis le 1er mars. La hausse consécutive des salaires, l'inutilisation pendant 25 % et plus de temps des immeubles, machines et en particulier des fours dont la consommation reste de 168 heures pour 40 heures de mise en travail, l'application de la taxe à la production de 6 %, tous ces facteurs contraignent l'industrie de la verrerie à appliquer en mars 1937 une hausse de 20 % des prix déjà plus élevés que ceux des produits étrangers. Les verreries étrangères rendues en France dédouanées sont de 30 à 40 % moins chères que les verreries françaises identiques. Les usines françaises ne sont pourtant pas en bénéfice. Les grossistes de l'Est de la France s'approvisionnent par wagons complets en marchandises belges et allemandes. La verrerie de Wadgassen (Sarre) vend du cristal meilleur marché que le verre ordinaire de Portieux le moins cher. Malgré les 40 heures, le chômage total ou partiel sévit :
Plusieurs usines sont fermées : Nancy, Goetzenbruck, Croismare 757 . En 1938, la verrerie de Souvigny est à vendre, celle de Sars-Poterie ferme. Les cristalleries de Baccarat travaillent 40 heures mais avec un personnel réduit de moitié. Sauf une ou deux exceptions, aucune usine ne dépasse 35 heures. Paul Daum précise, à nouveau, que la cause directe du chômage, c'est l'entrée, dans un marché chaque jour plus étroit, de quantités de plus en plus importantes de marchandises étrangères. "En face d'une diminution de 33 % du tonnage français, éclate la hausse continue des importations étrangères !" Les importations en provenance de la Tchécoslovaquie passent de 4.228 quintaux en février 1937 à 7.280 quintaux en avril. Selon le vice-président de la chambre syndicale, la majoration des droits de douane, dans une telle période d'instabilité, ne peut suffire à une industrie aussi variée et complexe que la verrerie. Il pense que l'application des droits "ad valorem" serait une mesure efficace s'il était possible d'exercer un contrôle strict des prix déclarés et de vérifier la concordance entre ces prix et les prix de revient. Ce contrôle n'est en effet guère possible dans la mesure où il faudrait créer un corps de spécialistes adjoint au personnel des douanes et l'inquisition dans les usines étrangères. Les droits spécifiques, plus simples d'application, sont inopérants quand il s'agit de produits dont le prix de vente pour 100 kilogrammes varie de 1.000 à 5.000 francs et que les droits devraient varier de 400 francs pour le verre uni à 2.000 francs pour le cristal taillé. Paul Daum constate l'impuissance de la seule protection tarifaire, à moins d'adopter des tarifs nettement prohibitifs comme le font l'Italie, l'Allemagne, l'Angleterre, les Etats-Unis pays vers lequel toute exportation française est arrêtée. Il faut conserver, affirme le vice-président, dans le marché français un secteur proprement national et pour cela seul le système des contingents reste efficace. En résumé, le comité central des maîtres de verreries de France demande :
Le rapport est remis au ministre du Commerce le 9 juin 1937. Paul Daum expose la situation en présence de Lacombe, Thouvenin, Marquot et Durand 758 . Dix sénateurs et trois députés de l'Aube, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Vosges et Bas-Rhin participent également à l'audience accordée par le ministre qui laisse espérer une majoration des droits. Les sénateurs vosgiens : Richard, Flayelle, Barbier ; les députés Leroy, Boucher et Gaillemin ; Rucart, député et ministre de la Justice ; Elbel, ministre de la marine marchande, s'emploient à soutenir l'action de la verrerie de Portieux. Le directeur explique au préfet des Vosges la situation de l'industrie verrière et plus particulièrement de la gobeleterie. La loi des 40 heures et les importations étrangères sont responsables du chômage. Il précise que la verrerie de Wadgassen (Sarre) "vend du verre de cristal meilleur marché que le meilleur marché de nos verres ordinaires". Le 20 décembre 1938, le député vosgien Jean Leroy intervient à la Chambre pour demander au gouvernement s'il entendait céder à l'Allemagne les avantages commerciaux très importants qui étaient accordés à la Tchécoslovaquie, pour des raisons de politique extérieure 759 . Dans l'intérêt de la verrerie, il demande la suppression des contingents exceptionnels et une réduction des contingents normaux. Le député adresse au directeur le texte de son intervention 760 . Ce dernier remercie l'élu d'avoir pris en mains les intérêts de la verrerie. Il lui écrit : "nos ouvriers ne pourront que vous être reconnaissants de vous employer comme vous le faites à obtenir une atténuation de leur chômage." Il reste pourtant dubitatif face aux "vagues promesses" faites par le ministre. Le directeur souhaite que le maire de Portieux et son secrétaire de mairie soient en possession de l'intervention de Leroy. "Ils seraient ainsi renseignés sur la concurrence tchécoslovaque qu'ils ont baptisée : un prétexte inventé par la direction de Portieux pour imposer un chômage aux ouvriers" 761 . Au nom du comité central des maîtres de verreries de France, Paul Daum, qui est également président de la chambre syndicale des maîtres de verreries de l'Est, établit un rapport qu'il adresse au ministre de l'agriculture. Il demande le report du décret-loi du 30 juillet 1935 relatif à la défense du marché des vins qui a par son article 16 imposé l'inscription de la contenance sur les carafes, verres, etc..., en service dans les débits. Cette obligation doit entrer en vigueur au 30 juillet 1938. Le décret-loi avait accordé un délai de trois ans pour permettre l'utilisation des récipients en service au 1er août 1935. Dès la promulgation du texte, la contenance des récipients qui devaient être mis en fabrication aurait dû être gravée par les fabricants. Paul Daum justifie la non application du texte en faisant observer :
Pour ces raisons, une prorogation de deux ans du délai primitivement accordé est demandée. Le ministre l'accepte en raison de la crise que traverse la verrerie. Il est ainsi possible aux fabricants et aux commerçants d'écouler le stock de verrerie ancienne. Afin d'éviter toutes difficultés d'application, notamment en ce qui concerne les verres et bouteilles sur lesquels l'application de la contenance doit être gravée, le ministre envisage de constituer une commission technique en vue de déterminer la nature des récipients soumis à la réglementation. Députés et sénateurs vosgiens soutiennent, là encore, la démarche auprès du ministre. Les maîtres de verrerie obtiennent gain de cause. Cette attitude compréhensive des pouvoirs publics n'empêche pas le déficit de s'installer de façon durable. Les exercices 1937-1938 et 1938-1939 présentent des résultats bien négatifs pour Portieux. En septembre 1938, l'usine fonctionne avec un four à 12 pots. La verrerie étant déficitaire depuis cinq ans, le conseil d'administration décide de fermer l'usine.
En juin 1940, Portieux cesse toute production. Elle ne reprend qu'en octobre avec un four à 12 pots 762 . Toutefois, les difficultés à obtenir des wagons retardent les livraisons et les approvisionnements en matières premières. Face à ces difficultés à se procurer du charbon qui assure la vie du seul four, l'usine se met à la recherche de tourbe.
A la fin de l'exercice 1939-1940, les usines de la société possèdent de nombreux ordres en carnet. Faute de pouvoir être expédiées, des marchandises restent en magasin. Les moules spéciaux inutilisés ne peuvent être amortis par les ventes. La vie devenant très pénible pour les verriers, le conseil d'administration décide en novembre 1941 de construire des clapiers aux frais de l'usine pour ravitailler le personnel et charge le directeur de créer le comité de ravitaillement groupant délégués du personnel ouvrier et de maîtrise. Diverses solutions sont envisagées pour employer les chômeurs en cas de cessation d'activité : remettre en route la scierie pour fournir manches à balais, galoches, bois de brosses... ; coupes forestières ; débardages ; transport et autres travaux d'utilité publique. La disette de charbon oblige alors l'usine à recourir au bois, combustible onéreux. Ce combustible est en partie fourni par l'exploitation du bois Bourion qui appartient à la société. Afin d'éviter l'arrêt de la verrerie, on passe d'un four à 12 pots à un four à 8 pots. Des ouvriers sont employés à la réfection des arches, des fours, des générateurs. Ils remettent en état la voie de raccordement de Portieux à Charmes. Un comité social d'entreprise est créé en avril 1942. "Organe de progrès social et de compréhension mutuelle", ce comité regroupe les représentants de toutes les catégories de personnel. Une section s'occupe des prisonniers de guerre et de leurs familles. C'est le comité qui répartit les sursalaires sur les personnels en activité, les femmes de prisonniers et les retraités. En août 1942, le conseil d'administration décide l'achat de terre en friches dans la Meuse. Céréales et légumes sont fournis aux porteurs de parts de la société agricole des industriels de la Lorraine chargée d'exploiter les 400 hectares. Des terrains situés autour de la verrerie sont mis à disposition des ouvriers. Ces "jardins familiaux" apportent un nécessaire complément de nourriture. Avec l'aide du secours national et avec la collaboration du comité social de l'usine qui livre plus de 22.000 repas en sept mois, on crée une cantine scolaire.
La demande de gobeleterie est importante mais l'usine ne peut y répondre dans la mesure où elle ne fonctionne qu'avec un seul four et qu'une bonne partie de la production est réservée à l'Allemagne. Ainsi, l'usine doit-elle livrer 70 tonnes de verrerie aux Allemands du 1er août au 31 décembre 1943. Des verriers prennent le chemin de l'Allemagne pour assurer la relève (S.T.O.) ce qui entraîne une diminution de la fabrication. Le 13 février 1943, la direction signale le départ de 26 ouvriers de la halle. L'usine survit grâce à la vente des stocks qui finissent par s'épuiser. Les réserves financières aident en partie à passer cette difficile période. La société cède des titres. Restriction sur le courant électrique, difficultés toujours croissantes d'approvisionnement en charbon, en soude... engendrent un chômage trois jours par semaine. C'est avec le camion gazogène, acquis en 1941, que l'usine écoule sa fabrication. La Verrerie est libérée le 22 septembre 1944, sans combat sérieux, par l'armée Leclerc. Quelques obus provoquent de légers dégâts dans l'usine. Le 1er septembre, il avait fallu arrêter le four car le combustible commençait à manquer et les alertes étaient trop fréquentes pour permettre un travail régulier. L'usine est presque totalement occupée par les troupes françaises ou américaines. Les ouvriers au chômage effectuent des travaux exceptionnels d'entretien. La houille ne commence à arriver qu'en avril 1945. La fabrication reprend le 28 avril 1945 avec un four à 12 pots. L'amélioration progressive de la situation en combustible favorise la mise en préchauffage d'un nouveau four qui fonctionne le 1er juin 1946. A cette date, Portieux travaille donc avec deux fours. Au cours de l'année 1947 faute de charbon, les pouvoirs publics réduisant les contingents pour l'ensemble des verreries, les dirigeants craignent de ne pouvoir maintenir le rythme de la fabrication. L'usine s'équipe alors le plus largement possible en mazout. Lorsque les livraisons de houille reprennent normalement, c'est le mazout qui vient à manquer et l'on déplore les dépenses inutilement engagées.
C'est dans cette difficile période de relance que l'on songe à nouveau à mettre en place des fabrications mécaniques destinées à diminuer sensiblement les coûts de main-d'oeuvre et par voie de conséquence les prix de revient.
53 J 408, A.D.V.
Bénéfices de Portieux : 37 J 35, A.D.M.
30 juin 1913 - 1er juillet 1914 : 1.006.934,29
1914-1915 : 168.319,93
1915-1916 : 321.572,89
1916-1917 : 248.419,29
1917-1918 : 432.214,66
totaux 2.177.459,06
Les comptes de Vallérysthal comprennent une somme importante en marks placée en Allemagne par le séquestre. Au terme du Traité de paix, la somme doit être restituée sur la base du taux de change d'avant-guerre. (Rapport du conseil d'administration à l'assemblée générale des actionnaires du 10 septembre 1919) ; A.P.
Lettre à Husson, secrétaire général de la chambre de commerce d'Epinal, septembre 1918 ; 53 J 714, A.D.V.
Lettre à J. Didot, décembre 1918 ; 53 J 714, A.D.V.
Lettre à Paul Weiss, ingénieur à Noeux-les-Mines, 13 janvier 1919 ; 53 J 714, A.D.V.
Lettre au préfet, 24 février 1919 ; 53 J 714, A.D.V.
La verrerie attend du vin pour ses 2.500 adhérents. A. Richard proteste au nom des ouvriers car il constate que des trains circulent.
Lettre à J. Didot, septembre 1919 ; 53 J 714, A.D.V.
Lettre à un confrère, janvier 1920 ; 53 J 714, A.D.V.
Lettres à Chavanne, directeur des mines de Sarre et Moselle à Carling (Moselle), 22 avril et 12 juin 1922 ; 53 J 714, A.D.V.
Loi de 8 heures : 23 avril 1919.
Lettre au consul des USA à Nancy, 6 décembre 1921 ; 53 J 714, A.D.V.
53 J 101 - 123 - 178, A.D.V.
Bénéfices de Portieux, exercice 1923-1924 : 2.173.592 francs.
Assemblée générale du 6 septembre 1924
37 J 26, A.D.M.
Bénéfices de Portieux, exercice 1924-1925 : 2.285.410 francs
37 J 26, A.D.M.
37 J 26, A.D.M.
La situation de Vallérysthal empire. Les verriers travaillent six heures et les tailleurs chôment 14 jours sur 24.
37 J 26, A.D.M.
37 J 27, A.D.M.
37 J 27, A.D.M.
37 J 27, A.D.M.
Lois votées par le parlement : semaine de 40 heures au lieu de 48 heures 21 juin 1936.
Le conseil d'administration précise également que la peur du chômage contribue au calme : "nos ouvriers ont bien compris qu'ils n'avaient aucune espèce d'intérêt à cesser le travail. La conséquence d'un tel arrêt aurait été d'empêcher la livraison de commandes toujours réclamées d'urgence et d'inciter nos clients à s'adresser plus encore à l'étranger, c'est-à-dire à pousser au développement du chômage dans notre industrie." Assemblée générale du 5 septembre 1936.
Le franc Auriol : opération dite << du franc flottant >> (dévaluation).
A la fin de juin 1937, la livre valait 110,55 francs et à la fin de juin 1938, 177,90 francs.
Liste des interventions et rapports :
Lettre au préfet des Vosges : 30 avril 1937
Lettre aux sénateurs et députés vosgiens : 26 mai 1937
Rapport de Paul Daum sur l'état de la gobeleterie à la main de verre et
de cristal
Lettre d'André Barbier, sénateur des Vosges, au directeur : 11 juin 1937
Lettre de Jean Leroy, député des Vosges, au directeur : 21 juin 1937
Lettre de Paul Daum au ministre de l'agriculture : 19 janvier 1938
Lettre de Flayelle, sénateur des Vosges, au directeur : 24 janvier 1938
La verrerie de Croismare (Meurthe-et-Moselle) ferme définitivement.
Lacombe représente : Vallérysthal et Portieux ; Thouvenin : Vierzon ; Marquot : Bayel ; Durand : Arques.
Beaucoup de verreries tchèques sont annexées à l'Allemagne par suite du détachement de la Tchécoslovaquie du pays des Sudètes. Le conseil d'administration espère que le gouvernement ne fera pas bénéficier l'Allemagne des contingents favorables accordés aux verreries tchèques.
La concurrence tchécoslovaque nuit à la verrerie mais également aux fabriques de faïence et porcelaine et à celles de la lutherie vosgienne.
Extraits de la discussion du budget du commerce (Journal officiel du mercredi 21 décembre 1938) : voir en annexe pp 684-687.
Lettre du directeur Moulin au député Leroy du 27 décembre 1938.
En juin 1940, la verrerie subit peu de dégâts ; seule la cité Lacombe est endommagée.