CHAPITRE X : LES METHODES COMMERCIALES

1 - Le réseau des représentants

En 1872, le réseau des représentants couvre essentiellement le territoire français, à l'exception de la place d'Alger tenue par Boulanger. La place de Madrid est tenue par Pignet 763 .

Parallèlement au développement de l'entreprise, le réseau s'élargit progressivement à d'autres villes françaises et surtout à l'étranger. De 9 représentants en 1872, le nombre passe à 17 en 1894. La verrerie possède des voyageurs à Rome, Athènes, Bucarest, Smyrne, Tunis, Tripoli, Malte, Jérusalem, Londres 764 .

Un catalogue de 1904 permet d'en situer d'autres à Port-Saïd, Patras, Le Caire, Corfou, Saint-Denis de la Réunion 765 . En 1914, 6 représentants se partagent la France tandis que deux importants commissionnaires J. et M. Bloch d'une part, Fondeville et Van-Iderstine d'autre part diffusent la production de Portieux en Amérique du Sud pour les premiers, en Amérique du Nord et Canada pour les seconds. L'Espagne, le Portugal et les Iles Canaries sont dévolus à un même représentant Juan Grumbach. L'arc méditerranéen : Maroc, Algérie, Tunisie, Tripolitaine est également bien couvert ; s'ajoutent un représentant pour la Réunion, Madagascar et l'Ile Maurice ; un autre pour l'Extrême-Orient ; enfin 9 autres pour l'Orient dans les villes d'Alexandrie, Athènes, Patras, Corfou, Smyrne, Jaffa, Jérusalem, Alep, Port-Saïd 766 (fig. 57).

En 1922, l'usine indemnise Lazare Grumbach à Buenos-Aires pour la location d'un immeuble dans cette ville, les frais de personnel, ses voyages en Argentine, Chili, Pérou, Mexique, Amérique Centrale. Elle paie également à Alexandre Bloch des frais d'immeubles à Sao Paulo et à Rio au Brésil, de personnel et de voyages au Brésil, Uruguay, Cuba. Atho Thi Hock à Shanghaï (Chine) bénéficie également des subventions de Portieux pour des frais de voyages et d'études en Chine, aux Philippines et aux Indes néerlandaises. Pour ces différentes représentations, les frais d'immeubles concernent les bureaux et les cabinets d'échantillons. Le catalogue de 1933 montre un resserrement du réseau des représentants, implantés davantage sur le territoire français. C'est depuis la rue Saint-Jacques à Marseille que Bickart s'occupe des expéditions pour l'Extrême-Orient ; depuis le faubourg Poissonnière à Paris que la société anonyme Jacques Bloch conjuguant son action à la société Jules Bloch et fils, rue du Paradis, commerce pour Portieux en direction de l'Espagne, Portugal, Iles Canaries et Amérique du Sud 767 (fig. 58). Vacoyanni qui habite Villeneuve-sur-Yonne prend en charge les commandes pour les Balkans en 1935 768 . Comment se structure au fil du temps ce réseau des représentants ?

Avant 1870, Vallérysthal écoule ses produits par l'intermédiaire de la société en commandite par actions établie à Paris sous la raison sociale "Toutain, Guérard et Cie". La société possède la vente exclusive dans 56 départements et à l'étranger. Par la suite, le conseil d'administration dénonce le contrat et reprend à son compte, en le rachetant, le dépôt de Paris qui est alors confié à Duponchel, ancien directeur de l'usine et à Gosse 769 .

La verrerie de Portieux possède, dès 1855, un représentant à Paris : Hingray, rue du Paradis - Poissonnière 770 . Après la fusion des deux usines au sein d'une même société, le représentant commun se nomme Monvoisin. La société loue l'appartement qu'il habite au deuxième étage du n° 27 de la rue Paradis - Poissonnière ainsi que l'appartement situé au troisième étage. Ce dernier sert de cabinet d'échantillons, lieu d'exposition destiné à informer les clients sur l'évolution de la production des usines. Ces clients sont des grossistes car l'usine ne vend pas à des particuliers 771 .

C'est en 1875 que le conseil d'administration décide de réorganiser le réseau des représentants ; les décisions suivantes sont prises :

  • maintien du cabinet d'échantillons à Paris ;
  • installation d'un cabinet d'échantillons et d'un représentant à Londres ;
  • remplacement de Edouard Allix à Bordeaux car il ne fait plus l'affaire ;
  • remplacement de Bovagnet en Italie ;
  • remplacement de Colin à Lyon ;
  • installation d'un représentant en Espagne ;
  • maintien de David dans le midi ;
  • maintien de Béchade en lui donnant le reste de la France ;
  • maintien de Russo frères à Smyrne.

Boulanger, le représentant de l'Algérie, décède en 1879 et X. Mougin propose de le remplacer par Georges Obitz "qui présente toutes les garanties de capacités, d'intelligence, de fortune et dont le père, ancien client de la société, occupe sur la place [d'Alger] une grande position commerciale". A son décès en 1893, Obitz est remplacé par son second Pourrat qui connaît les affaires. En 1912, la verrerie engage Sauvage à la suite de Pourrat. Connu depuis 1894 comme représentant de fabriques de verrerie et de porcelaine, "sérieux, honnête, apte aux affaires", Sauvage exerce depuis son bureau du 7, rue Bertholot à Alger. D'abord agréé comme successeur d'une maison d'Oran, Sauvage se voit ensuite ouvrir la place d'Alger ainsi que le reste de l'Algérie. La production se développant, l'usine désigne Idatte, ancien employé des cristalleries de Saint-Louis, comme adjoint de Monvoisin au cabinet d'échantillons de Paris. En 1883, deux représentants sont à remplacer : Béchade qui faisait la tournée du Nord, trop fatigué, se retire à Limoges ; Béziat qui voyageait dans le midi est décédé. Le directeur de Portieux reçoit de nombreuses demandes de candidatures. Le conseil d'administration examine celles qui lui paraissent les plus sérieuses ; elles concernent 7 candidats : Emery, Séguin, Vilput et Fumeron pour remplacer Béchade ; celles de Clément, Guintrand, Mathieu Vidal pour suppléer Béziat. Emery qui a représenté la verrerie de Saint-Louis voyage pour l'usine de Clichy qu'il souhaite conserver en y adjoignant Portieux. Séguin représente la cristallerie de Pantin qu'il désire conserver ; Fumeron représente le verre trempé qu'il est prêt à abandonner ; quant à Vilput, il circule pour la faïencerie de Saint-Clément. Le directeur retient la candidature de ce dernier parce que la tournée du Nord, concurrencée par de très nombreuses verreries, est peu rémunératrice. Les remises consenties au voyageur demeureraient insuffisantes s'il ne pouvait y joindre une autre représentation. Il paraît bien préférable à X. Mougin que le représentant puisse offrir à ses clients de la faïencerie plutôt que des cristaux comme Emery et Séguin. Ce choix de Vilput se trouve confirmé par le conseil d'administration. Ancien client habitant Marseille, Clément représente la maison de gros Lissante et Cosson d'Aubervilliers ; Guintrand, de Marseille également, voyage pour la faïencerie de Sarreguemines. Depuis 1872, Mougin envisage d'engager Guintrand mais il craint qu'effectuant un chiffre d'affaires très important avec la faïencerie, Guintrand ne considère la verrerie que comme "un petit appoint et ne la néglige un peu trop". La succession de Béziat est finalement confiée à M. Vidal, ami du précédent, qui abandonne la maison Dubois fils et Cie de Toulouse, grands marchands de verreries. Vidal présente l'avantage de gérer à Marseille le dépôt de la faïencerie Boulanger de Choisy-le-Roi. Il aide d'ailleurs Madame Béziat à poursuivre la représentation de son mari. Vidal qui a déjà transmis 5 ou 6 commandes dans de bonnes conditions semble donc le candidat idéal. Vidal est remplacé à Marseille par Manuel, son gendre, en 1927. A Turin, Lespadin remplace Chabond qui ne donne plus satisfaction. L'accélération du développement de la production conduit le conseil d'administration à envisager, en 1884, le déplacement du cabinet d'échantillons de Paris. Il convient de le placer au rez-de-chaussée ou dans une cour mais non à l'étage afin que le représentant ne soit pas importuné par des particuliers. Ce nouveau cabinet est aménagé au 29 de la rue des Petites Ecuries. Dès la fin de cette même année 1884, le remplacement de Monvoisin est étudié. Le choix se porte sur Mansuy de Niederwiller. Après quelques mois passés dans les bureaux de l'usine de Cirey, Chevandier le met à la disposition de Portieux. Mansuy effectue d'abord de petites tournées autour de la verrerie, tout en demeurant pour le reste du temps à la disposition de l'usine. Très rapidement, "par son intelligence exceptionnelle et son activité infatigable", la tournée de Mansuy devient l'une des plus importantes. X. Mougin ne renonce à le laisser partir à Paris qu'en fonction de l'intérêt de la société : "Paris étant la clef des affaires". Dès janvier 1885, il convient de donner un nouvel essor à la production pour répondre "à la fougue de Mansuy". Ce dernier obtient, en 1887, le monopole de deux services de table pour la République argentine. L'un gravé à l'acide figure oiseau et terrasse, guirlande et fougère ; l'autre guilloché présente quatre modèles : C, I, L, BB. Bien que payées par le représentant, les planches restent la propriété de Portieux conformément à un contrat passé avec lui. Mansuy possédant le monopole, ces services ne sont offerts à la clientèle que dans l'édition du catalogue de 1933 après que l'usine est devenue propriétaire des modèles 772 .

Dans le Sud de la France, G. David reprend la tournée de son frère qui vient remplacer Mansuy à Portieux. David qui est en même temps le représentant de la faïencerie de Lunéville possède dans sa tournée la ville de Lyon. Afin de tenir la clientèle au courant des nouveautés, le conseil d'administration décide d'exploiter dans cette ville, à frais communs avec Lunéville, un cabinet d'échantillons. Les deux usines louent quatre pièces, rue Emile Zola, à Lyon : l'une réservée à la production de Portieux ; l'autre à celle de Lunéville ; la troisième a fonction de bureau et la dernière de logement pour David. Cette seule pièce lui suffit dans la mesure où le représentant séjourne pendant une durée de 15 jours à Lyon puis 15 jours à l'extérieur dans le but d'abandonner progressivement la tournée de l'Est. En 1886, Keller et Guérin de Lunéville et Portieux confient la tournée des Vosges, Doubs, Haute-Marne, Marne, Meuse et une partie de l'Aisne à un même représentant Sommy Chevrier. A la fin de l'année 1887, c'est au tour de Marseille de bénéficier d'un cabinet d'échantillons dont les frais sont partagés pour moitié avec la faïencerie de Choisy-le-Roi. Après la mort de Chevrier en 1889, d'accord avec Keller et Guérin et Pillivuyt, fabricant de porcelaine à Mehun-sur-Yèvre, la tournée de l'Est est confiée à Maire. Ce dernier négligeant ses affaires se voit adjoindre Thomas de la comptabilité. Nommé chef de ce service en 1893, Constant Thomas est remplacé par Josem qui représente déjà la faïencerie de Lunéville. D'une manière générale, les représentants proposent à la clientèle verrerie mais aussi faïence, porcelaine, poterie et même articles de ménages ; la structure des magasins l'impose. Cette forme de représentation assure au voyageur une rémunération correcte, la vente d'un seul type d'article n'assurant pas concrètement les affaires. Après le décès de Vercelone en Espagne, son fils le remplace après 6 mois de stage à la verrerie. Pour couvrir l'Espagne, le Portugal et le Maroc, l'usine engage un représentant supplémentaire : Ferreyras en 1889. Vercelone essuie un refus lorsqu'il veut prendre, en plus de Portieux et Sarreguemines, la cristallerie de Saint-Louis. Il consent en 1909 à abandonner la représentation du Maroc à Ziegler. Ce dernier possède des agents qui le représentent à Mellila, Saffi, Mogador, Mazagan, Larache, Rabat, autant de villes faciles d'accès parce que villes portuaires. La représentation de Ziegler cesse en 1922. La représentation de la Tunisie est accordée en 1910 à Albert Cohen, connu depuis 1897 pour s'occuper dans cette ville de représentation d'abord pour le compte d'un tiers et depuis 1908 pour son propre compte. La Chambre de commerce du lieu le dit "réputé sérieux, actif, apte aux affaires" ; elle ajoute "il vit de ce qu'il gagne et sa situation ne comporte pas de crédit".

C'est en 1890 que débute la représentation en Belgique assurée par Feger. Les affaires prospérant, l'année suivante, Ehder, l'associé du représentant de Constantinople, étend ses affaires sur le littoral de la mer Noire. Dans cette période, on accorde beaucoup d'attention à la place de Paris et en particulier au cabinet d'échantillons. En 1891, X. Mougin visite une maison qui est à vendre rue du Paradis afin d'y transférer ce cabinet qui accueille la variété de la production qui se diversifie. Le directeur renonce à l'achat, l'immeuble étant trop vieux et la façade frappée d'alignement. Au mois d'août 1894, X. Mougin soumet au conseil d'administration plans et devis d'un immeuble que la société souhaite construire 10 rue Martel à Paris, sur un terrain de 600 mètres carré. La rue Martel présente l'intérêt de se trouver à proximité d'une part des concurrents qui tiennent boutiques rue du Paradis et d'autre part de la gare de l'Est où l'on réceptionne les marchandises. Les plans, dressés par l'architecte Rossignol, prévoient un rez-de-chaussée, 5 étages et un étage mansardé. Afin de ne pas augmenter les coûts des loyers, on réserve la place à une cage d'ascenseur. Un monte-charge facilite le transport des marchandises jusqu'au premier étage. Cette construction épuise sérieusement le fonds de roulement de la société, fonds que l'on reconstitue par la vente de 441 obligations des chemins de fer de l'Est ; 125 du Canal de Suez et 100 du PLM. La société recherche dans le début des années 1900 de nouveaux espaces géographiques pour écouler sa production. En 1904, les directeurs sont invités à augmenter les commissions de certains représentants ou à en rechercher de nouveaux pour développer les ventes des deux usines en Afrique du Sud et dans les colonies anglaises. Au fil des ans, l'âge ou le décès des représentants amènent l'usine à pourvoir les postes vacants. Lorsque, en 1905, Lespadin meurt subitement à Turin, il est remplacé par Louis Verdelet de Vallérysthal qui a déjà effectué un séjour de 15 mois dans une maison de Florence. Verdelet connaît bien la langue et les affaires en Italie. Boulanger de Choisy-le-Roi qui fait quelques affaires dans la vente de faïencerie avec une maison de la Réunion indique celle-ci à Portieux en 1908. L'usine expédie alors sa production par l'intermédiaire de Macé et de son neveu Marc. Fin 1915, au décès de ce dernier, Macé reprend seul la succession.

En juillet 1910, les clients de Marc se plaignent beaucoup des taux de fret qui sont appliqués par les compagnies de navigation pour les articles de la verrerie et qui en doublent presque le prix de revient. Les fabriques de faïence ont obtenu l'application pour les marchandises d'un taux de fret plus réduit, et ne paient que 35 francs le mètre cube, ou 65 francs les mille kilogrammes. Marc intervient auprès de l'usine afin que celle-ci sollicite les mêmes avantages pour la verrerie qui paie 55 francs plus 10 % par mètre cube. Il s'agit de négocier des tarifs auprès des deux compagnies qui transportent les livraisons vers La Réunion et Madagascar : les Messageries Maritimes et la Compagnie Havraise Péninsulaire toutes deux à Marseille. La première compagnie sollicitée à plusieurs reprises par Portieux répond que le prix de 55 francs plus 10 % par mètre cube appliqué à l'expédition du client Moussajée de La Réunion pour deux tonneaux de verrerie chargés sur le navire Oxus est conforme au tarif et qu'il n'est pas possible d'envisager la réduction demandée. Toutefois, le correspondant ajoute après une seconde réclamation : "vos représentants ont eu ma meilleure attention et je ne manquerai pas de vous faire part ultérieurement de la décision que nous aurons prise à ce sujet". Après plusieurs échanges de courriers, la Compagnie Havraise répond que s'il s'agit de verrerie commune, de bouteilles par exemple, elle pourrait parfaitement en taxer le fret à raison de 35 francs et 10 % le mètre cube ou les 700 kilogrammes au plus avantageux pour le navire pour les grands ports de Madagascar, taxe d'embarquement en plus. Dans le cas où il s'agit de "verrerie riche", elle ne peut pas changer les conditions du tarif. L'expédition qui a donné lieu aux plaintes du client et aux interventions de Portieux se composait de : deux tonneaux de verrerie pesant brut 387 kilogrammes et mesurant ensemble deux mètres cube à destination Points des Galets (Réunion). Le fret a coûté 55 francs le mètre cube et 10 %, soit 125 francs. Les frais accessoires et l'assurance ont coûté 7,80 francs. Fret et frais annexes se sont élevés à 132,80 francs pour des marchandises qui lui avaient été facturées, en emballage compris, 184,90 francs. Lorsque A. Richard explique au directeur de Vallérysthal comment opère Portieux pour les affaires concernant l'île de La Réunion, il précise que la plupart des commandes sont remises à Edmond Macé, leur représentant en 1926, et que les expéditions s'effectuent par la Compagnie des Messageries Maritimes à Marseille au nom de ce représentant. Toutes les factures lui sont adressées au nom des clients ainsi que les notes de frets et de frais qui, comme on le voit, majorent considérablement le coût de la marchandise à la vente dans les pays concernés.

En mai 1910, à la mort de Lerousseau, qui représente la société à Nantes depuis 33 ans, c'est Jotterat-Jacquier qui lui succède. Jotterat voyage depuis 15 ans pour la faïencerie de Lunéville. Quant à Paul Regnault qui est le représentant de Lunéville depuis 1909, il succède à E. David à Lyon qui souhaite se retirer. Le directeur de Portieux, sur la parole de Regnault qui affirme avoir la Loire et la Drôme dans sa tournée pour Lunéville, propose de lui donner ces deux départements en 1927. Fenal, alors administrateur délégué de la faïencerie de Lunéville, consulté déclare que c'est Vidal qui couvre la Drôme pour Lunéville. Le directeur qui souhaite établir les tournées de façon identique propose à Regnault "Saint-Etienne avec une ligne de démarcation allant de Brioude à Saint-Marcellin" 773 . L'année suivante, le directeur s'incline également face à Lunéville lorsque proposition est faite de demander à Regnault de laisser à Janot l'Yonne, la Nièvre et l'Allier 774 . Regnault fils succède à son père en 1932. Mansuy, le représentant de Paris, désire se retirer en 1922. Le choix se porte immédiatement vers Charles Jeandidier, représentant de Lunéville pour l'Est. Durant une année, Mansuy le met au courant des affaires et le présente à la clientèle. Cette marque de précaution dans la succession montre bien l'importance accordée à cette représentation en France. Jeandidier assure également la gérance de l'immeuble de la rue Martel qui accueille plusieurs locataires. Mansuy conserve son logement et en procure un à son collègue. A la date du 30 juin 1923, il quitte définitivement le service de représentation. La société lui verse une retraite supérieure à celle à laquelle il peut prétendre : 2.800 francs dont 1.300 francs sont versés par l'usine en guise de remerciements. Lorsqu'il l'informe de cette offre exceptionnelle, le directeur ajoute : "(...) mon père m'avait appris à vous vénérer, il ne m'avait pas trompé (...)" 775 .

En avril 1924, Jeandidier demande un second aide alors qu'il n'est en fonction, seul, que depuis un an. Le second n'est autre que son fils. Le directeur lui rétorque que les postes ne sont pas "héréditaires" surtout ceux de Paris. Ces postes sont réservés aux représentants "les plus dignes". Richard propose néanmoins de s'occuper de la demande en temps opportun car "il ne faut pas faire fermer une porte pour avoir essayé de l'ouvrir trop tôt".

Lorsqu'il quitte la société en 1937, Jeandidier est remplacé par Marconot aidé de Madame Jacquiet. Cette dernière prend la représentation en 1938 après le décès accidentel de Marconot.

Fils d'un pharmacien de Plombières, J.M. Janot devient représentant. Il est entendu avec Lunéville que J.M. Janot s'installera à la verrerie afin de faire son apprentissage durant 18 mois tant à Portieux qu'à Vallérysthal et Lunéville. Il perçoit 275 francs par mois et un appartement gratuit dans la maison d'administration ; appartement meublé, linge de lit et de toilette fourni. Entré à l'usine le 23 mai 1924, J.M. Janot devient représentant le 1er janvier 1926. Son apprentissage aura duré en réalité quelque 19 mois. En 1927, il a la responsabilité des trois départements Moselle, Haut-Rhin, Bas-Rhin 776 .

En 1936, A. Lerouge, représentant à Ascq (Nord), succède à P. Géricot qui ne suit plus ses affaires dans le Nord. Deux clients interrogent l'usine en avril 1936 car ils n'ont pas vu P. Géricot depuis 9 mois. Un autre client ne sait à qui adresser sa commande 777 .

L'année suivante, le directeur diminue le secteur de Manuel pour donner le Sud-Ouest à Vacher "qui s'est montré très actif dans la vente aux horlogers et bijoutiers de France". Manuel cesse alors définitivement sa représentation, remplacé par Mademoiselle Poupeney de Grasse (Alpes-Maritimes) 778 .

Les relations entre la direction et les représentants sont parfois âpres. Manuel en fait l'expérience lorsque l'usine constate que le chiffre d'affaires diminue sur le marché méridional ; certains modèles fabriqués de façon courante pour cette tournée étant demandés à Vallérysthal. Le directeur exige des explications compte tenu que Portieux possède la direction de ce marché. Lorsque le représentant s'aventure à poser quelques questions ou à formuler quelques demandes qui pourraient mettre en cause le fonctionnement de l'usine, les réponses du directeur fusent sèchement. C'est sur un ton peu amène que A. Richard répond à Manuel lorsque celui-ci l'interroge à propos d'un retard de livraison ou de telle ou telle fabrication.

La plupart des représentants en France passent des ordres à Portieux pour leur propre compte. Le système apparaît plus complexe lorsqu'il s'agit de couvrir d'immenses territoires à l'étranger. D'importantes maisons emploient alors de nombreux voyageurs que l'on nomme agents, sous-agents, intermédiaires, commissionnaires et qui apparaissent en tant que représentants dans les catalogues de vente. Le réseau d'Orient mérite un traitement spécifique, tant il montre, au-delà de la simple liste du catalogue, la complexité d'une organisation efficace et ambitieuse.

A la tête de ce réseau de représentants se trouve G. Albérico. Ce dernier s'est fixé à Alexandrie en 1903 où il représente la maison Utzschneider et Cie de Sarreguemines et plusieurs autres maisons. D'après des renseignements fournis par la Chambre de commerce du lieu, il est dit "travailleur, honnête, laborieux, recommandable". Ces qualificatifs encouragent la verrerie de Portieux à l'engager. Elle lui accorde un crédit de 5.000 à 6.000 francs, sachant "qu'il possède des moyens assez étendus et une belle propriété en Alsace". Albérico se trouve à la tête d'agents qui le représentent à Athènes, Patras, Corfou, Mersine et Adana, Smyrne, Alep, Jérusalem, Jaffa, Port-Saïd, Alexandrie, le Caire. Albérico doit s'entendre avec eux pour la part leur revenant dans la commission de 5 % consentie par la verrerie. Il soumet l'engagement de ses intermédiaires à l'approbation de Portieux qui s'emploie à contrôler leur moralité et surtout leur solvabilité. Le réseau se constitue progressivement. Ainsi, H.E. Alberti, agent d'Albérico, représente Portieux à Smyrne. Il décède en 1906 mais la maison poursuit sa marche sous la raison sociale << les successeurs de H.E. Alberti >>, procuration et direction étant données à Georges Vitalis, collaborateur du défunt, à Henri Kreiter son gendre et Selm Géohamy ancien collaborateur. Des différends entre ces personnes conduisent à la dissolution de la maison Alberti. Un autre agent d'Albérico avec lequel la verrerie entre en contact continue alors de s'occuper des intérêts de Portieux sur la place de Smyrne. Eugène Pétrini, établi depuis longtemps comme négociant de cuir à Smyrne, réalise d'importantes affaires. La maison << les successeurs de H.E. Alberti >> cherche alors à transférer les quelques représentations restantes à Pétrini. Ce dernier crée un office de représentation qu'il donne à son fils. Agent d'Albérico, Pétrini qui "fait bien des affaires, jouit d'une bonne réputation et paie régulièrement", devient en 1913 le représentant de Portieux sur la place de Smyrne. A sa mort, en avril 1921, son fils Michel poursuit les relations avec l'usine vosgienne.

Depuis 1904, la maison Stoltenhoff et Lucas, agent d'Albérico à Patras, remet des commandes pour Patras, Argostoli, Larissa, Nauplie, Calamata, Pyrgos... En 1916, une information parvient à la verrerie en provenance de l'Etat-major de l'armée, bureau section de contrôle, indiquant qu'il est recommandé de ne plus traiter avec cette maison, "le premier étant allemand, le second progermain". En 1919, le vice-consul de France à Patras donne des renseignements qui autorisent Portieux à reprendre les affaires avec Stoltenhoff, Lucas étant décédé, "les listes noires" n'existant plus. Le renvoi de Kuebler en 1921 ne confirme pas cette assertion du vice-consul. D'abord employé chez Singer et Nachfolger puis associé de cette maison à Jérusalem, Kuebler reprend à son propre compte une succursale à Jaffa en 1907. Sur la demande de G. Albérico, Portieux autorise Kuebler à assurer la représentation à Jaffa et, par la suite en 1911, à passer des ordres pour Haïffa car c'est "un homme intelligent, apte aux affaires et pouvant convenir comme intermédiaire". Un autre employé de Singer, Kachadour Kancachian, d'origine arménienne, reprend la suite de cette représentation à Jérusalem. Il est décrit comme "actif, intelligent, possédant quelques terres de peu de valeur". On ne lui concède donc pas de découvert sans garantie. La représentation de Kancachian s'étend, en 1921, à Jaffa et Haïffa, places reprises à Kuebler en raison de son origine allemande. La verrerie laisse à Albérico la lattitude d'accorder 7 à 10 % de remise à son agent Kancachian, via Anvers, suivant l'importance des commandes et des clients ; la remise de 10 % étant réservée aux clients les plus importants et réglant à échéance. Une remise moindre concerne les livraisons effectuées via Marseille, plus coûteuses d'expédition pour l'usine.

En 1913 et 1914, le réseau d'Albérico subit quelques changements. Ferrero et Cie succède à Bretschneider et Cie au Caire en 1913, Albérico leur ayant confié la représentation de Portieux avec l'accord de cette dernière. Pour Corfou, les ordres sont remis par l'agent E. Cambissa.

Début 1914, la verrerie se dégage de la convention accordée à Abdini en 1912 pour la place d'Alep. Désormais, Joseph Marcopoli assure la représentation de Portieux en Syrie. Caramanos, agent d'Albérico à Port-Saïd, succède à Mavroïdis en 1914. L'année suivante, Caramanos décède et sa veuve continue la représentation, les commissions étant réglées par Albérico. Toujours en 1914, avec l'accord de l'usine, Albérico confie la représentation de Portieux pour Mersine et Adana à Max et Nicolas Brazzafolli, moyennant une commission de 3 %.

D'accord avec Albérico, la verrerie offre, en 1921, la représentation d'Alexandrie à Lusena et Cie qui devient agent pour l'Egypte sauf pour Port-Saïd.

Le commerce en Orient engendre bien des difficultés et soulève parfois bien des inquiétudes. C'est par exemple le cas en 1909 sur le marché Ottoman où le chiffre d'affaires baisse considérablement, la verrerie étant éliminée par la concurrence étrangère. Portieux compte sur l'appui des Chambres de commerce pour intervenir auprès des autorités ottomanes afin qu'elles abandonnent leur projet de relever les droits de douane. C'est une question de vie ou de mort pour la verrerie française en général en Orient.

La structuration de ce réseau des représentants au fil des années 1872 à 1937 met en évidence quelques caractéristiques essentielles à sa compréhension (fig. 59). Incontestablement, la place de Paris apparaît comme déterminante dans le réseau. Cette représentation est confiée à des hommes intelligents et actifs : Monvoisin, Mansuy, Jeandidier. Les remarques adressées par le directeur à ces deux derniers attestent de leur rôle clef. Non seulement ils s'occupent d'un important réseau de clients, 527 en 1935, mais encore ils prennent des commandes à l'exportation, renseignent l'usine sur la concurrence, assurent les relations avec les administrations des douanes... C'est aussi à Paris que l'on engage la première femme qui représente la verrerie : Madame Jacquet. La même année 1937, une deuxième femme arrive dans le réseau des voyageurs : Mademoiselle Poupeney.

L'attention constante apportée au cabinet d'échantillons de Paris prouve combien la verrerie attache de l'importance à cette représentation. L'objectif consiste à valoriser la production de Portieux afin de séduire et de s'attacher de nombreux clients par l'attrait d'une présentation renouvelée.

Deux autres places consolident le dispositif : Lyon et Marseille qui possèdent également un cabinet d'échantillons. La faïencerie de Lunéville partage avec Portieux les frais d'entretien des cabinets d'échantillons de Paris et de Lyon ; quant à celui de Marseille, il est pris en charge avec la faïencerie de Choisy-le-Roi.

Les représentants, de manière générale, s'assurent au minimum une double représentation : verrerie de Portieux et faïencerie ou porcelainerie. Seul Lazare Grumbach, fait exceptionnel, est autorisé sous réserve de bilan, à s'adjoindre la cristallerie de Baccarat pour l'Espagne. Pour des raisons évidentes de concurrence, un même représentant ne peut diffuser la production d'une autre verrerie.

La charge de représentant "n'est pas héréditaire". Néanmoins, les successions s'organisent sur des critères de continuité : un fils succède à son père, un gendre à son beau-père, un neveu à son oncle. Ces prétendants à la fonction connaissent déjà les circuits pour avoir été initiés à la vente par un de ces parents. Pour des raisons stratégiques, la verrerie confie parfois la carte de représentant à des fils de commerçants importants.

L'homme sélectionné doit posséder : sérieux, activité, intelligence, sens des affaires et surtout solvabilité. Par différents canaux, Chambres de commerce, banques, autres usines, la verrerie s'attache à vérifier la solidité du futur représentant. Le fait de le recruter comme appartenant déjà à une maison connue : faïencerie, porcelainerie ou autres prémunit, dès le départ, la verrerie contre des risques d'erreurs.

Le réseau des représentants se structure dans la période de relance de la verrerie 1875-1880 et ce jusqu'à la guerre de 1914 lorsque la production bat son plein. Il convient de trouver des solutions au maillage d'immenses territoires. Se mettent alors en place des systèmes de réseaux placés sous la responsabilité d'un représentant reconnu par la verrerie seul responsable. Le cas du réseau Albérico pour l'Orient est, à ce sujet, parfaitement éclairant. D'importantes maisons de commerce, Bloch, Fondeville, couvrent avec un système de commissionnaires, d'immenses territoires en Amérique du Sud, Amérique du Nord et Canada. Au fil du temps, le réseau commercial change progressivement dans ses modalités de répartition géographique pour se concentrer sur le territoire français. L'exportation aux Etats-Unis porte témoignage de cette nouvelle forme de pénétration des marchés étrangers qui concernent plus du tiers de la production de l'usine en 1924. Les difficultés rencontrées dans la livraison de ces marchés s'accumulent : problème de législation douanière, cours du dollar, casse lors des transbordements, retards dans les livraisons et qualité de celles-ci qui engendrent un mécontentement des clients. S'ajoute à ces nombreux facteurs la concurrence impitoyable que se livrent les usines françaises et belges mais également allemandes et tchécoslovaques pour conquérir des marchés demandeurs d'énormes quantités de verrerie.

Notes
763.

37 J 18, A.D.M.

764.

37 J 22, A.D.M.

765.

Liste des représentants pour les années 1904, 1914, 1933 : voir en annexe pp 688-690.

766.

Liste des représentants pour les années 1904, 1914, 1933 : voir en annexe pp 688-690.

767.

Liste des représentants pour les années 1904, 1914, 1933 : voir en annexe pp 688-690.

768.

Liste des représentants pour les années 1904, 1914, 1933 : voir en annexe pp 688-690.

769.

Registre des délibérations de l'assemblée générale : 30 juin 1856 - 30 octobre 1877 ; 37 J 32, A.D.M.

770.

Bulletin d'expédition pour l'exposition de 1855 ; A.D.V.

771.

Entre 1872 et 1885, le cabinet d'échantillons présente 1923 pièces ; en 1919, Mansuy en possède 7426.

772.

Modèle Mansuy : voir en annexe p 691.

773.

53 J 714, A.D.V.

774.

53 J 714, A.D.V.

775.

53 J 714, A.D.V.

776.

53 J 714, A.D.V.

777.

P. Géricot ne commande guère plus de 400 à 500 pièces à la fois et même beaucoup moins ; 53 J 505, A.D.V.

778.

53 J 479, A.D.V.