2.1.1. La triple alliance

Courant 1889, des contacts sont noués entre Keller et Guérin, fabricants de faïence à Lunéville, Hache de la maison "Hache, Julien et Cie" de Vierzon, porcelainiers, Mougin directeur de la verrerie de Portieux dans le but d'établir à New-york un cabinet d'échantillons afin de conquérir une place sur le marché américain. Les trois industriels sont eux-mêmes en relation avec Achille Géricot et son fils Charles. Achille Géricot dirige à cette époque le cabinet d'échantillons de la faïencerie de Lunéville à Paris.

Alfred Hache souhaite que l'affaire débute en Amérique dès janvier 1890 ce qui semble impossible à Edmond Guérin qui séjourne alors à Heiden en Suisse avec son fils malade 779 . L'impossibilité de respecter la date préconisée par Hache est due selon Guérin à plusieurs raisons : d'une part, Charles Géricot se trouve mobilisé par l'exposition universelle qu'il ne quittera que vers fin novembre pour aller nouer contacts avec Portieux et Vierzon avant de partir ; d'autre part, Georges Keller procède à des études de tarifs pratiqués sur le marché américain et à des comparaisons de prix proposés par des "usines de divers rangs" ; enfin Lunéville effectue "un certain nombre de créations indispensables pour entrer en lutte avec chances de succès, tant comme formes que comme dessins". Il s'agit de tomber d'accord sur le principe de cette association qui, néanmoins, pose un certain nombre de questions 780 quant aux dépenses annuelles : traitement de Géricot et de l'employé, montant du loyer et des frais divers, répartition des frais entre les trois maisons, durée d'engagement entre les usines, frais d'installation, prise en charge du voyage de Géricot, date d'installation probablement vers fin février ; enfin, modes de paiement et modalités de facturation des expéditions.

Charles Géricot, le futur représentant "qui ne manque pas d'ambition" négocie auprès de Guérin le montant de sa part sur le bénéfice éventuel consenti, bénéfice qui lui semble "faible et aléatoire". Il demande, ou plutôt il se satisferait d'un montant de 1 % en dehors de son salaire de 12.000 francs garantis 781 .

C'est le 1er novembre 1889 que la convention 782 est signée par Messieurs Hache, Guérin, Mougin d'une part et Géricot père et fils d'autre part. Elle stipule que "Charles Géricot fils s'engage à représenter les trois sociétés (...) sur la place de New-York, à leur donner tout son temps et ses soins à ne représenter aucune autre maison que celles désignées (...) et à installer un cabinet d'échantillons de leurs produits dans le quartier de Barclaystreet" 783 . Lorsque l'installation sera terminée, Charles Géricot s'engage à nouer des relations avec des villes telles que Philadelphie, Boston... 784 . Il doit s'assurer de la solvabilité des clients mais ne portera pas la responsabilité du paiement des marchandises 785 . Le montant de la commission attribuée à Géricot et son salaire se trouvent réglés. "Il sera alloué à Charles Géricot trois pour cent de commission du prix des marchandises prises à l'usine et remises déduites sur toutes les commandes adressées par lui à chacune des trois sociétés et livrées par elles". La commission sera supprimée sur toutes "les affaires véreuses".

Le représentant obtient une garantie : "si le chiffre annuel total des affaires n'atteint pas six mille francs (il) aura droit pour l'usine à une somme fixe de 12 000 francs et à 1 % sur le chiffre net d'affaires" 786 .

Charles Géricot qui doit partir dans la deuxième quinzaine de décembre 1889 a pour objectif de terminer l'installation du cabinet d'échantillons pour fin février. Avant son départ, il passe une huitaine de jours dans chacune des trois manufactures "pour se mettre au courant des formes, de la nomenclature des articles et de leurs prix" 787 . D'autres clauses règlent la question du salaire de Géricot jusqu'à la date d'ouverture du cabinet d'échantillons et le salaire de son employé 788 . Monsieur Géricot père intervient au présent contrat comme caution solidaire de son fils jusqu'à concurrence de la somme de trente mille francs.

Les dépenses d'installation sont partagées par tiers entre les trois sociétés. Par la suite, les dépenses seront réparties proportionnellement au chiffre d'affaires respectif des trois maisons.

Les dépenses communes seront soldées par Keller et Guérin à charge pour les deux autres usines de procéder par virements à un compte ouvert chez "Munroe et Cie de Paris et de New-York" ou dans telle autre maison de banque qui pourrait être choisie d'un commun accord, le tout par tiers" 789 . En outre, les trois maisons doivent s'entendre au mieux pour adopter le même mode de vente et de règlement, le même prix pour les emballages... afin de faciliter le travail de leur représentant commun. A contenance égale, le prix des tonneaux de Lunéville est de 50 % supérieur à celui de Portieux. Keller et Guérin se disent prêts à en abandonner la fabrication et à prendre le fournisseur de Portieux 790 .

Les deux conventions règlent un certain nombre de points mais bien des interrogations subsistent quant aux opérations financières nécessitées par l'agence de New-York, aux comptes en banque, à la tenue du grand livre des ventes, au dédouanement... Ces questions sont discutées entre Keller, Guérin et Géricot qui arrive effectivement à Lunéville fin novembre avant de se rendre à Portieux. Cette dernière usine se trouve chargée de trancher tous ces problèmes.

"Munroe et Cie", banque retenue, verse environ 3 % d'intérêts, sans prendre de commissions sur les sommes à verser faisant un bénéfice d'environ 1/2 pour cent sur le change ; "ils sont principalement marchands d'argent" 791 . Charles Géricot s'installe début février 1890 à New-York, 78-80 Murray Street.

Notes
779.

Lettre de Guérin datée du 9 août 1889, adressée à Mougin, A.P.

780.

Lettre de Guérin datée du 9 octobre 1889, adressée à Mougin, A.P.

781.

Lettre du 15 octobre 1889 de Guérin à Mougin, A.P.

782.

Convention du 14 novembre 1889.

783.

Art. 1

784.

Art. 2

785.

Art. 3

786.

Art. 4

787.

Art. 5.4

788.

Trois mille francs par an.

789.

Convention entre les trois sociétés du 5 février 1890.

790.

Lettre du 4 décembre 1889 de Guérin à Mougin, A.P.

791.

Lettre de Keller et Guérin à Mougin 6 décembre 1889, A.P.