2.1.5. Nouvelles orientations et difficultés

Achille Géricot, qui en définitive n'entre pour rien dans les affaires de New-York qu'il ne surveille pas et n'en tire aucun profit, n'est plus caution au profit de Keller et Guérin et Mougin. C'est Jeanne Wallimann, l'épouse de Charles, qui se substitue à son beau-père. "Pour que cette garantie soit effective et permette à Messieurs Keller et Guérin et Mougin d'en donner main-levée à Monsieur Achille Géricot, Mr et Mme Charles Géricot (...) consentent à aliéner jusqu'à concurrence de trente mille francs une partie des valeurs déposées à leur nom à la Société Nancéienne de Nancy pour remplacer purement et simplement la garantie de leur père Achille Géricot, laquelle deviendra nulle" 800 .

La situation n'est pas florissante aux Etats-Unis. "C'est la bouteille à l'encre que ce dépôt de New-York" affirme Achille Géricot 801 . Il ne veut plus prêter son nom dans cette affaire qui lui fait peur, vivant "constamment dans l'inquiétude" et va même jusqu'à proposer la liquidation de l'affaire, tout en laissant le soin aux usines de décider si vraiment il y a lieu de laisser se perpétuer là-bas ce qu'il appelle le "désordre".

Les difficultés qui s'accumulent sont dues à l'administration américaine et à Charles Géricot. Le découvert annuel est de l'ordre de 5.000 francs 802 .

Le représentant par exemple n'envoie pas de comptes et d'inventaires entre le 15 novembre 1893 et le mois de juillet 1894. Malgré d'incessants rappels de la part de Keller et Guérin, Charles Géricot ne fournit aucun compte ni aucune explication. Georges Keller va même jusqu'à proposer d'envoyer à New-York "quelqu'un de sérieux parlant l'anglais si possible, en tout cas le lisant, pour débrouiller les affaires" et se mettre au courant de manière à pouvoir remplacer Charles le cas échéant 803 . Enfin, à la mi-septembre 1894, Charles Géricot fournit les comptes et l'inventaire. Toutefois Portieux et Lunéville éprouvent bien des difficultés à se repérer dans le travail fourni par Géricot. "C'est évidemment la comptabilité qui pêche chez lui" écrit Keller. Finalement, les charges financières respectives sont clarifiées. Lunéville et Portieux qui veulent profiter des sacrifices antérieurs souhaitent renouveler leur contrat pour cinq ans avec Géricot.

L'usine n'arrive pas à suivre les comptes car Charles Géricot adresse des factures en anglais. Il ne respecte pas l'échéance de ses factures ; le terme de paiement étant de 10 mois contre 3 en France. Les rappels se font nombreux : "vous devez avoir un certain nombre de règlements en retard" (21.04.1897) ; "votre compte de balance sur mon livre indique environ 59.000 francs et sur cette somme 20.000 francs environ sont échus ; vous nous feriez plaisir en nous remettant la couverture" (10.05.1897) ; "j'attends la couverture des factures échues et qui représentent une somme assez importante" (17.05.1897) ; "votre compte débiteur est de 54.000 francs, stock non compris, 30.000 francs sont échus" (5.07.1898) ; "nous désirons vivement voir votre stock diminuer dans de fortes proportions et le règlement de nos factures se faire promptement" (29.08.1898) ; "je vous ferai remarquer que vos règlements sont trop lents, 91.000 francs de règlement en retard c'est beaucoup trop" (14.02.1899). Acculé, Charles Géricot demande qu'on lui accorde un escompte de 5 % sur le montant des factures afin d'en couvrir une partie à 90 jours. Il essuie un refus. Les problèmes s'accumulent jusqu'au moment de la rupture avec Portieux. Le conseil d'administration lui refuse de s'adjoindre la représentation d'une usine américaine craignant qu'il n'abandonne totalement la verrerie vosgienne. Le conseil retire la représentation à Charles Géricot qui devient un simple acheteur. De nouvelles conditions sont alors édictées en octobre 1898 :

Vallérysthal refuse à Charles Géricot la représentation de sa production sur le marché américain.

Charles Géricot tient Portieux dans l'ignorance de ce qui plaît à la clientèle américaine, n'envoyant que peu d'échantillons. En réponse à une objurgation du directeur, 67 articles, dont certains arrivent en mauvais état, parviennent à la verrerie de Portieux en novembre 1899 : potiches, vases, pot à gelée, assiette, ravier, carafe, porte-bouquet, verres à vin du Rhin... Portieux refuse d'honorer certaines commandes. C'est le cas pour les 600 pièces demandées pour l'hôtel << La Touraine >> à Boston car il faudrait établir trois moules en fonte et planches pour les gravures, "ce qui entraînerait une dépense au moins égale au montant de la facture". Ce n'est qu'à partir de 1500 ou 2000 pièces que l'usine accepte de fabriquer des moules en fonte pour une production particulière. Les livraisons s'effectuent lentement pour des motifs variés. Lorsqu'une demande comporte de nombreuses couleurs, il faut pour faire une potée de verre avoir une commande assez importante d'articles de la même couleur afin de pouvoir utiliser toute la potée. En juin 1898, 1000 verres sont expédiés sur un total de 3000 demandés parce que "la fabrication en est lente" et qu'un ouvrier seulement est capable de les souffler.

Géricot réceptionne d'importantes mai ; 5.000 au 15 Juin ; 5.000 au 30 juin. Malgré l'échec de cette représentation aux Etats-Unis, Portieux souhaite poursuivre les affaires avec la nouvelle société montée par Géricot, tout en demandant la liquidation complète du compte avant le départ de New-York. En juillet 1900, X. Mougin refuse d'exécuter trois commandes sans avoir l'assurance d'être réglé. Fin 1900, l'usine retourne 60 échantillons à Paris où se trouve Géricot. Le directeur lui demande de remettre à Fondeville et Van Iderstine l'album de dessins et le tarif. X. Mougin considère que c'est à Géricot qu'il y a lieu d'attribuer la cause de la rupture et "la meilleure preuve (...) c'est la résolution identique à la nôtre prise par MM Keller et Guérin" écrit le directeur qui ajoute : "je me contenterai de vous exprimer le regret que j'ai éprouvé d'avoir à renoncer à nos relations commerciales". Début 1901, Géricot doit une somme importante : 11.004,60 francs. La société menace de le poursuivre en justice. Au lieu de régler les sommes dues, Géricot confie la défense de ses intérêts à un avocat de Paris, tandis qu'après quelques tergiversations, Portieux confie au tribunal de commerce de Mirecourt l'extrait du compte de celui qui fut le représentant de l'usine. Dans une note personnelle, datée du 17 mars 1901, X. Mougin relève : "nous serions en droit de réclamer à Charles Géricot :

  1. des intérêts pour retards dans les paiements ;
  2. la part nous appartenant du mobilier meublant notre ancien cabinet d'échantillons de New-York.

Ce qui porterait certainement le chiffre de notre créance sur lui à environ 12.000 francs. Au lieu de cela, nous nous contentons de lui réclamer 9.000 francs pour solde de tout compte".

C'est au mois d'octobre de cette année que le directeur de Portieux propose au conseil d'administration de réorganiser la représentation de New-York puisque les affaires viennent d'être liquidées avec Géricot. Il convient d'agir rapidement car l'usine a reçu des commandes directes qu'elle ne peut satisfaire. X. Mougin s'adresse à Bloch qui le met en relation avec un membre d'une importante maison de New-York. La personne proposée s'appelle Fondeville. Le directeur prend des informations sur ce représentant potentiel. La faïencerie de Choisy-le-Roi fournit des renseignements positifs et à la fin de l'année 1900, Fondeville et X. Mougin se rencontrent à Portieux. Le conseil d'administration assigne Géricot en paiement devant le tribunal de Mirecourt pour le règlement du solde débiteur. Fondeville représente Portieux en Amérique.

Notes
800.

Contrat passé entre Keller, Guérin, Mougin et Géricot fait en double à New-York le 11 mai 1895.

801.

Courrier d'Achille Géricot à Mougin le 24 juillet 1895.

802.

Conseil d'administration du 26 mars 1895 : 37 J 22, A.D.M.

803.

Lettre de Keller à Mougin le 8 septembre 1894.