2.3 - Bloch : le marché Sud Américain : Brésil, Argentine, Chili, Pérou, Mexique... (fig. 63)

Parallèlement au développement du réseau commercial en Orient sous l'impulsion d'Albérico et au développement du système de représentation aux Etats-Unis sous la direction de Géricot puis de Fondeville se mettent en place, dans un temps de forte croissance de l'entreprise, des circuits de vente en Amérique du Sud. Une maison d'exportation domine ce marché : celle de Jules Bloch installée 17 bis rue du Paradis à Paris. Cette maison instaure un système de représentation, fondé en partie sur des membres de la famille, qui permet de diffuser à vaste échelle et par importantes quantités la production de la verrerie vosgienne. C'est ainsi que les maisons Jules Bloch et Jacques Bloch rayonnent sur le vaste continent de l'Amérique du Sud à partir de leur implantation au Brésil et en Argentine 813 . Comme nous l'avons mentionné précédemment, Alexandre Bloch loue un immeuble à Sao Paulo et un autre à Rio au Brésil. L'usine lui verse des locations ainsi que des frais de personnel et de voyages au Brésil, en Uruguay et à La Havane. Les Bloch possèdent également cabinet d'échantillons et bureaux à Buenos Aires en Argentine pour lesquels ils perçoivent des frais de location payés par Portieux. En outre, l'usine paie aussi des frais de voyages en Argentine et au Chili. Portieux livre la verrerie à Bloch qui refacture directement à ses clients. Comme pour les autres représentants, une prime de fin d'année vient couronner les efforts des commissionnaires. Ainsi, en 1910, Jules Bloch réclame une augmentation de leur prime de 2 % au lieu de 1 % car ils doivent faire beaucoup de concessions pour enlever des offres. En juillet 1910, ils touchent au total une prime de 7 %. Pour l'année 1924, la prime s'élève à 144.505,55 francs. La verrerie de Portieux réalise sur les affaires Jules Bloch et fils un peu plus de 6 % de bénéfice en 1926. Inlassablement, Bloch explore de nouvelles possibilités de vente. Leur voyageur Grumbach se déplace en Argentine, au Chili mais aussi au Pérou, Equateur et Amérique Centrale. La Bolivie et le Vénézuela comptent également des clients. La verrerie expédie ses livraisons par les ports d'Anvers, du Havre, La Rochelle (Pacific Steam Navigation), Marseille (Cie Paquet), Dieppe (Cie Frutana Hérica), Saint-Nazaire (Cie Générale Transatlantique). La clientèle habite Buenos Aires, Montevidéo, Valparaiso, Bahia, Lima, Santiago de Cuba, Porto Alegre, Habana, Rio, Cuzco, Punta Arenas, Santos, Sao Paulo, Rosario, Talcahuano, La Havane...

Afin d'avoir des facilités de vente, Bloch n'a de cesse de réclamer le monopole pour les pays où il est implanté : Argentine, Brésil, Uruguay, Mexique et La Havane entre autres. Jules Bloch traite avec le directeur de Portieux qui finit par accepter avec réticence, en particulier parce que le commissionnaire échappe alors à la tutelle directe et forte de l'usine. En 1910, la maison Bloch a annulé des ordres pour le Brésil à cause de la lutte vive qui règne sur ce marché. Une importante concurrence est faite par Val-Saint-Lambert qui travaille par le canal d'une maison de Paris, laquelle est son concessionnaire exclusif. L'avantage sur la maison Bloch est énorme puisque par un monopole, elle peut elle-même donner tel monopole de services de table aux clients importants ou faire des concessions pour enlever de grosses affaires. Prétextant que son voyageur s'embarque le 12 avril 1910 pour commencer une tournée du côté de l'Amazone et la terminer dans le Sud, Jules Bloch réclame "une vraie exclusivité", condition de succès certain 814 . Les monopoles obtenus ne font pas pour autant disparaître la rude concurrence qui règne sur ces marchés. Le premier de ces concurrents est, bien entendu, Val-Saint-Lambert. En 1908, un client de Montévidéo se plaint des tarifs et demande la suppression de la majoration comme le fait le représentant de l'usine belge qui offre les mêmes articles que Portieux 815 . Quelques années plus tard, écrivant à J. Bloch, le directeur de Portieux évoque la concurrence sérieuse du Val-Saint-Lambert qui ne vend pas cher, mais "va-t-il persister à travailler pour l'amour de l'art" s'exclame-t-il. Pourtant, les directeurs des deux usines restent en contact. En 1913, A. Richard écrit à Marcel Fraipont, directeur général des cristalleries du Val, pour lui préciser qu'il a averti la clientèle de l'Amérique du Sud que pour l'exercice 1913-1914, l'échelle des primes de fin d'année est abaissée de deux points ; ainsi, les clients touchent :

"Je pense, ajoute-t-il, que cette petite hausse trouvera écho chez vous" 816 . Une grosse commande échappe sur le marché brésilien parce que l'usine belge a annoncé au client de Bloch qu'elle vend à bas prix sans prendre en compte la majoration de tarif. La concurrence s'étend même au Chili d'où l'on rapporte à Bloch que cette usine offre à la clientèle l'envoi par voiliers, paiements à 90 jours après l'arrivée des navires, les voiliers pouvant mettre 4 à 5 mois, ou plus, pour arriver 817 ! Tout au long des années de relance, entre 1920 et 1935, les remarques liées à la concurrence du Val-Saint-Lambert reviennent régulièrement. De La Havane, Jules Bloch reçoit une lettre qui lui explique que le Val fabrique la plupart des modèles de Portieux en blanc et en couleur, y compris le service Pasteur. Plus tard, Bloch fait remarquer que Portieux est un tiers plus cher que Val-Saint-Lambert. Cette usine, lui rétorque le patron de Portieux, a perdu depuis le début des années 30 une moyenne de 4 millions de francs par an et il n'a nul désir d'en faire autant. Bien que réelle, la concurrence belge sert d'alibi à la demande de baisse de tarifs. Le comportement d'autres usines est aussi invoqué pour obtenir un tarif spécial. Le patron de Portieux répond alors sèchement qu'il ne veut pas faire un déficit comme telle ou telle verrerie. Des maisons de gros enlèvent également des ordres à Bloch. En 1909, ce dernier écrit à Portieux pour se plaindre de la concurrence faite par la maison Clarfeld implantée à Buenos Aires dont le commissionnaire à Paris est la maison Adolphe Schloss. Bloch qui ne vend plus de verrerie de Portieux s'aperçoit que les prix pratiqués par Clarfeld ont été baissés de 10 à 15 % 818 . Une autre maison allemande, aux dires du directeur de Vallérysthal, se procurerait à bon marché les modèles de Portieux en Suède 819 . Parfois, c'est le comportement de l'usine vosgienne qui se trouve à l'origine de la plainte de Jacques Bloch. Ce dernier récrimine parce que Portieux traite directement avec la maison Bourdeau, gros commissionnaire de Paris. Cette maison, lui répond le directeur, remet d'importantes commandes en gobelets "ce qui nous permet de lutter contre les articles de ce genre importés par vous en Amérique du Sud en provenance de Belgique". Est-ce à dire que la loyauté de Bloch vis-à-vis de Portieux serait en cause ? Richard fustige Bloch qui depuis quelques temps ne commande à Portieux que ce qu'il ne trouve pas ailleurs. Les importantes commandes de gravure chimique se raréfient ; "ne reste que de la poussière de commandes composées souvent de moutons à cinq pattes... bref nous sentons bien que nous avons fini de plaire." Le développement Outre-mer des affaires de la maison Bloch marche parallèlement avec l'extension toujours croissante de Portieux. C'est pourquoi le commissionnaire s'informe, par des visites régulières à l'usine, de l'évolution de la production ou informe l'usine des opportunités à saisir.

Depuis Guadalajara au Mexique, Lucien Bloch informe Portieux le 27 février 1910 du voyage en Europe de M. Gonzalès Guera, acheteur pour la maison Bowen et Cook de Mexico. Gonzalès Guera va directement à Hambourg et, de là, à la foire de Leipzig pour se rendre ensuite en Autriche, Italie et Paris où il doit être dans les premiers jours d'avril. Il compte ensuite se rendre à Portieux pour acheter des fantaisies. Bloch suggère de faire visiter le cabinet d'échantillons à l'usine et surtout de bien lui montrer toutes les fantaisies fabriquées à la verrerie car l'acheteur a promis une belle commande qu'il conviendrait d'ajouter à l'ordre déjà pris pour Mexico et en attente de livraison.

Les affaires commerciales ne vont pas avec aisance sur ce marché Sud-américain. Outre la concurrence, Bloch se plaint de perdre des clients en 1911, comme il en a déjà perdu en 1909 parce que les livraisons accusent un retard d'un an et parfois plus. La clientèle risque de passer à la concurrence, se lamente-t-il. En effet, pendant la période qui a précédé la grande crise aux Etats-Unis, les commandes ne partent plus qu'après un an de date, ce qui oblige les clients à s'adresser ailleurs. Pendant l'exercice 1909-1910, période de crise, profitant de sa bonne organisation et de sa nombreuse clientèle, la maison Bloch maintient un chiffre normal qui ne laisse pas traduire cet état de crise. La période 1910-1911 doit être une période de reprise mais les inconvénients antérieurs redeviennent d'actualité puisque les clients ont, à nouveau, à se plaindre de la lenteur des livraisons. Ces retards sont dûs à une pénurie de main-d'oeuvre. Richard qui envisage comme solution de limiter le chiffre d'affaires de Bloch s'attire des reproches : "c'est commettre une faute. Laisser les besoins de nos stocks en souffrance, ou faire attendre trop longtemps les ordres de nos clients directs c'est obliger pour une deuxième fois ceux-ci à se fournir ailleurs ; vous savez bien que nous avons des concurrents sérieux qui vendent, en même temps que leurs produits spéciaux, ceux de Portieux qu'ils copient, et nombre de clients que nous perdrions maintenant le serait sans esprit de retour (...). Par ces temps modernes de moyens de communications de plus en plus rapides, ce sont les affaires directes qu'il faut protéger, car ce sont elles qui sont l'avenir. Quand nous serons assurés de la livraison de nos commandes dans un délai normal, nous aurons le courage de marcher de l'avant et nous ne reculerons pas devant les engagements que vous pourriez nous demander pour un chiffre annuel bien au-dessus de celui que nous avons actuellement" 820 . La situation est à peine redressée que la guerre arrive. De nombreuses et importantes commandes ne peuvent plus être honorées. Plus de 11.000 pièces de verrerie pour Montévidéo demandées en 1917 et conservées en notes sont annulées en 1919. Un autre client de la capitale de l'Uruguay annule en 1920 une commande passée en 1917. Ferez-vous bientôt l'envoi, demande l'un des clients en 1917 ; nous n'avons rien de prêt, lui répond-on ; quand expédierez-vous, insiste-t-il en 1919 ; nous ne pouvons fixer la date, l'informe-t-on. Lassé, le client annule sa commande en novembre 1920. Un commerçant de Santos (Brésil) abandonne sa demande de 200 éprouvettes et de 200 verres à expériences de différentes contenances, à quoi s'ajoutent 100 bains d'oeil. L'usine renonce à livrer d'importantes commandes composées en partie de gravure chimique par manque de matière première dans cet atelier. Ce n'est qu'au fur et à mesure des disponibilités que les livraisons reprennent à partir de 1919-1920. La patience qui fait défaut chez le commerçant pénalise l'usine. La commande de 1919 d'un client de Valparaiso (Chili) doit être livrée fin août 1921. L'ordre est annulé. Les faits de guerre compliquent la tâche. En décembre 1917, un navire transportant de la verrerie est torpillé et l'usine éprouve de grosses difficultés à remplacer cette livraison qui avait sollicité les efforts des verriers. Lorsque la fabrication devient suffisante pour répondre progressivement à la demande, se posent alors des problèmes d'emballages. En 1919, le leitmotiv est évident : "nous manquons d'emballages" ; "nous manquons toujours de tonneaux et le trafic est suspendu" ; "nous ne pouvons achever d'emballer, nous manquons de tonneaux", répond-on à Bloch qui est livré pour Sao-Paulo mais non pour son stock de Buenos Aires ; "pouvons-nous emballer dans des tonneaux plus petits, nous ne pouvons nous procurer pour le moment des tonneaux assez grands pour emballer comme demandé". En 1921, les problèmes d'approvisionnement en tonneaux ne sont pas complètement résolus.

Lorsque la reprise du commerce fait sentir ses effets sur le rythme des livraisons, d'autres soucis assaillent Portieux via la maison Bloch. Les plaintes pour cause de casse parviennent nombreuses à la verrerie. Les gobelets mis en paquets, même les petits gobelets arrivent avec une casse beaucoup plus importante qu'autrefois, affirme Jules Bloch.

Au client qui proteste parce que les tonneaux arrivent en mauvais état, mauvaise fabrication occasionnant la casse de 152 coupes à champagne, on rétorque qu'aucun tonneau ne saurait résister à certains maltraitements dont chaque jour nous sommes témoins dans les gares et ports de mer". Il est vrai que certains colis à destination de l'Amérique du Sud subissent jusqu'à sept transbordements pour arriver à destination. Parmi 180 sucriers Hugo, 72 arrivent cassés en 1926 et les anses des assiettes à glace sont brisées. Bloch reçoit des réclamations de casse venant d'Argentine, Chili, Pérou, Costa Rica et Brésil. Il exige que la surveillance de l'emballage soit effective. "L'emballage était lamentable" se plaint un client de Santos qui constate que 19 douzaines de coupes à champagne sur 68 douzaines sont brisées. Pour une livraison à Callao, port péruvien, Bloch suggère de cercler les caisses et d'utiliser des tonneaux renforcés à séparations et cerclés également. En 1930, un client qui se plaint de la casse l'attribue au fait que l'expédition a été effectuée en caisses. Il demande la reprise de l'emballage en tonneaux, tout en faisant remarquer que les expéditions en caisses faites par les Allemands arrivent sans dommage par suite d'un emballage en boîtes carton contenant 6 ou 12 verres. Le client sollicite l'étude d'un tel type d'emballage. En réalité, il s'avère que la paille qui sert de matelas amortisseur glisse au cours des manipulations de l'emballage, la verrerie n'étant plus guère protégée. Après de multiples réclamations, le directeur qui exige "que ces errements prennent fin" décide de créer un livre de casse destiné à contrôler l'évolution de ce problème. La casse atteint parfois, comme pour cette maison du Sud du Chili, quelque 50 % de la livraison.

La qualité de l'emballage est fondamentale dans le périple qu'accomplit la livraison. Pour aller au Chili, par exemple, les verres sont chargés dans le train, déchargés au port d'Anvers, transbordés sur le navire, déchargés à destination après un long trajet par le canal de Panama ; à supposer encore que la cargaison ne subisse pas de nouveaux transbordements lors du parcours. Si la protection des verres appelle une grande vigilance, l'organisation interne du colis doit également être effectuée de manière très précise en fonction des exigences des douanes. A ce sujet, Bloch donne des consignes particulières. Pour le Mexique en 1922, veiller à séparer les colis de façon à n'avoir que du

Il est d'ailleurs recommandé pour la douane de ne pas mélanger dans un même colis du moulé avec du taillé ou gravé, de l'uni avec du taillé ou gravé et de la couleur de ces catégories.

Pour Cuba en 1922, tous les ordres doivent être emballés en grands tonneaux (marqués par les deux lettres J.B. entrelacées au centre d'une étoile à six branches).

Pour le Pérou en 1923, spécialement pour la côte Pacifique :

Pour l'Uruguay en 1929, une réglementation très sévère entre en vigueur concernant le marquage des colis. Tous les colis doivent être marqués au fer rouge au feu ou en lettres noires facilement lisibles. En plus des numéros et marques, chaque colis doit indiquer :

Pour le Chili en 1929, il est nécessaire de livrer en tonneaux de 120 à 130 kilogrammes. Quant au gouvernement argentin, il exige, en 1934, que les colis soient marqués sur les deux côtés et que soit indiqué sur les deux faces également le poids brut.

Malgré toutes ces précautions, des déboires surgissent. La douane brésilienne qui vérifie le contenu des colis trouve 100 huiliers de trop et les saisit, ce qui occasionne une perte de plusieurs milliers de francs. Les risques n'empêchent pas cependant de glisser une petite coupe de la maison Daum dans un colis ! En 1936, Bloch recommande d'abandonner les tonneaux comme l'ont fait les autres verreries et d'y substituer des caisses légères, renforcées sur les angles. Le poids excessif des tonneaux pénalise les clients car les droits de douane se paient sur le poids brut avec une déduction de 20 % pour la tare. Tout excédent de tare paie des droits comme s'il s'agissait de verrerie.

D'autres mécontentements remontent à l'usine. Bloch se plaint de malfaçons ; de la mauvaise attache des pots parisiens et mohs bohèmes qu'il prie de surveiller attentivement. En 1928, un voyageur porte réclamation au sujet de la mauvaise qualité de la marchandise : les verres sont craquelés, possèdent des défauts, les anses des brocs sont de travers de même que les gravures ; les pieds ont des formes fantaisistes. C'est pourquoi une commande de plus de 4.000 pièces est, par la suite, annulée. A. Richard réclame du client de Bloch des échantillons de malfaçons car il est surpris d'apprendre que toute la livraison est concernée. Il se méfie, sachant que parfois on proteste pour toute une commande, alors que seuls deux ou trois verres sont défectueux. Les articles argentins taille anglaise ont une taille non conforme et les mohs sont remplis de défauts ; de plus le verre est loin d'être blanc, proteste un client de Buenos Aires. Si le verre n'est pas bien translucide, c'est parce que les pièces de certaines commandes arrivent embuées après avoir été mouillée en mer. A. Richard suggère de placer sur le colis "craint l'humidité, prière de bâcher soigneusement". L'usine étudie le moyen de faire revenir la verrerie devenue blafarde à son état normal. Toutes les usines se trouvent confrontées à ce même problème.

La maison Bloch procéde à d'importantes commandes qui, malgré toutes les difficultés signalées, restent fréquentes entre les deux guerres. Plusieurs livraisons partent vers Buenos Aires pour reconstituer le stock que le commissionnaire s'est constitué après avoir négocié avec l'usine. En effet, posséder un stock, c'est la possibilité de gagner en indépendance en échappant au contrôle de l'usine. Bloch importe beaucoup de verres, gobelets, cylindres et ceci par milliers de pièces à chaque livraison. Dans les années d'immédiat après-guerre, il demande 12.000 gobelets par "un tour de faveur spécial" alors que sa maison a déjà beaucoup en notes à Portieux. A côté des gobelets, toute une verrerie variée est commandée. Une commande d'août 1922 totalise plus de 80.000 pièces. La même année, toute une série de commandes part pour Talcahuano. Plusieurs livraisons se composent uniquement d'articles de toilette : flacons, boîtes à poudre, vaporisateurs, boîtes à savon, baguiers, boîtes à brosses, d'autres de baignoires d'oiseaux. Un client de Bahia demande les verres 6 et 7 gravure chimique sur forme catalane.

En août 1921, plusieurs livraisons partent vers Habana et Vera Cruz (port Mexicain). Une maison de Habana attend des échantillons pour son propre représentant du Mexique. En 1920 l'usine ne peut répondre à la demande de quelque 1.200 pièces de décor riche, l'atelier du décor étant insuffisant. En 1923 elle est toujours aussi débordée. L'Amérique du Sud raffole d'articles en gravure chimique ainsi que de pièces en couleur azur, jaune, vert clair et surtout groseille alias rosaline. Pour un problème de four, les articles demandés dans cette dernière couleur ne peuvent être fabriqués en 1920. La production d'articles vert clair, azur et dychroïde (sorte de vert) ne reprend qu'en 1921. Les pièces réalisées en doublé rose sont interceptées par la douane brésilienne en 1928 au prétexte qu'elles contiennent 33 % d'oxyde de plomb, ce qui les assimilerait au cristal. En réalité, ces pièces ne contiennent que 12 % de plomb mais les envois doivent être momentanément suspendus. L'importance des commandes pour l'Amérique du Sud justifie l'attribution de remises à la maison Bloch en 1923 alors qu'aucun client n'en a bénéficié ; la période étant à la hausse des prix, justifiée par les prix du charbon et l'augmentation des salaires, à partir du premier juin.

A côté des commandes qui correspondent à la production classique de Portieux, Bloch se fait livrer des articles particuliers. Bien que réticent parce qu'il préfère écouler le stock, le directeur y consent à deux conditions essentielles : que Bloch ou son client fournissent et paient le moule ; que le commissionnaire ou son client envoient un modèle en nature de préférence à un dessin qui n'offre pas les conditions d'une fidèle reproduction. A défaut, le dessin peut être à échelle réelle (fig. 64). Pour une fête qui doit avoir lieu au Brésil, en avril 1907, Bloch souhaite une livraison rapide de 240 gobelets bohêmes n° 4 sonore et 240 gobelets vercellone n° 2 avec gravure chimique cuite représentant Don Carlos 1er, roi du Portugal avec le drapeau brésilien d'un côté et portugais d'un autre suivant photographie fournie. Le commissionnaire adresse divers modèles à l'usine : une chope incassable pour une étude dans différentes contenances ; un verre avec filet gravé à l'acide, en précisant qu'il y aurait grande vente de cet article à La Havane ; un modèle de Baccarat ce qui entraîne un refus de la part de Portieux ; le croquis d'un pot de crème de beauté pour une fabrication en opale, la première commande serait de 10.000 pièces, l'usine n'est pas intéressée ; des verres provenant de chez Villeroy et Boch dont l'usine accepte la fabrication pour des tarifs inférieurs ; des échantillons de service tchécoslovaque que Portieux refuse d'exécuter ; des modèles de poivriers et moutardiers afin que les articles livrés soient conformes au modèle, l'usine refuse la commande et retourne les échantillons parce qu'il faudrait plusieurs mois pour élaborer ces moules d'une valeur de 900 à 1.000 francs sans que l'importance de la commande le justifie ; un modèle de flacon à encre en verre blanc avec goulot pour recevoir un bouchon en souhaitant que l'usine fournisse 700 à 1000 flacons ; un modèle à créer "Corbeille Cyrano Gondole" et promis à un grand développement, l'usine accepte et crée le moule car Bloch serait immédiatement preneur de 4000 pièces. L'usine indique à Bloch de se mettre en rapport avec Frankhauser à Paris, leur fabricant de moules, pour réaliser une série de boîtes à onguent opale et une boîte à poudre dentifrice car elle ne souhaite pas prendre les moules à sa charge.

En 1929, le commissionnaire adresse à Portieux un saladier à fabriquer en six tailles. Leur client qui en souhaite 1.000 de chaque taille consent à payer le moule. La maréchalerie de l'usine étant surchargée de besogne, le moule est fabriqué par Frankhauser. En 1930, afin d'enlever une très grosse commande pour le palais du gouvernement de Cuba, Bloch demande l'exécution du dessin d'un écusson. Etant donné qu'en Amérique du Sud on souhaite "du verre qui sonne" et de la gravure chimique, Bloch fait graver la quantité de verres aux écussons du Chili, Bolivie, Pérou, Equateur, Cuba en décor B ou en dépoli ainsi que de l'église de Curitiba au Brésil... En fonction des besoins propres au pays, on fait modifier les caractéristiques d'un article. C'est ainsi qu'est remodelé le goulot d'une cruche, trop étroit pour le Brésil, ne permettant pas une entrée suffisamment facile de la glace. L'usine, dans la période de grandes difficultés, pousse la commande de certains articles. Elle invite le commissionnaire à passer à Paris au cabinet d'échantillons afin d'examiner le service Colette réservé à l'Alliance Céramique pour la France mais que la verrerie est autorisée à livrer à l'exportation avec un majoration de 5 % sur les prix de France.

Lorsque des services de table sont vendus en grande quantité, Bloch en sollicite le monopole. C'est le cas pour le service Pasteur 821 . Le directeur de Portieux qui accepte en 1922 fait diffuser une note au magasin : "le service Pasteur gravure chimique empire est réservé à la maison Jules Bloch pour l'Amérique du Sud, à condition qu'elle nous remettra annuellement commande en cet article pour une valeur de 250.000 francs. Les commandes de cet article actuellement en cours pour des tiers (Amérique du Sud) seront exécutées mais il n'en sera plus acceptées de nouvelles, hormis pour d'autres contrées." Bloch qui en a vendu en une année pour 148.000 francs alors qu'il en reste en note pour 60.000 francs pense pouvoir doubler le chiffre de 250.000 francs. La verrerie lui livre le service au rythme de 20.000 par mois.

Quelques années plus tard, après un temps de réflexion, le directeur lui accorde l'exclusivité des services Dakar, Turin et Québec pour la République d'Argentine. La même année, l'usine réserve à Starrico, client de Bloch à Montévidéo, le monopole du service Kana gravure Ferdinand 822 . En réalité, ce client est surtout intéressé par la gravure. Bloch obtient encore l'exclusivité pour le service Champlain 823 . Comme tout importateur de verrerie, le commissionnaire vend également de la porcelaine (Limoges) et de la faïence (Sarreguemines). C'est pourquoi, en 1928, il adresse à l'usine une assiette de faïence de Sarreguemines décor Corbeille. Il demande si la verrerie peut réaliser le décor en gravure chimique sur le verre Pasteur ou autre. L'usine prépare une planche pour réaliser la gravure sur la forme Palissy qui semble mieux s'adapter à ce style de décor. Satisfait des verres reçus, Bloch invite la verrerie à faire graver toutes les planches pour l'assortiment Amérique du Sud. Des premières commandes parviennent pour le Chili et le Brésil. Bloch qui obtient le monopole pour ce modèle fait rapidement exécuter les planches par une maison de Paris ainsi qu'il l'a déjà fait pour le service Pasteur gravure chimique empire 824 .

De nombreuses difficultés surgissent sur le marché Sud-Américain dans les années 30. La situation du Mexique, à cause du décalage du bi-métallisme, est dans un tel marasme que Bloch, qui a fait retenir des colis au fret d'embarquement, les retourne à l'usine à ses frais en demandant de les déballer. La dévaluation de la monnaie de 20 % entraîne des difficultés commerciales avec l'Argentine. Les envois vers le Brésil sont suspendus en 1933 en raison de la rupture économique avec ce pays. Le voyageur de Bloch ne recommence à travailler au Brésil qu'en juillet 1934. On lui envoie catalogue et prix des articles créés pendant un an. Portieux refuse de livrer un client à Médellin (Colombie) par suite des difficultés insurmontables qu'éprouvent les exportateurs.

Bien que les relations commerciales entre la maison Bloch et Portieux fonctionnent de façon rationnelle, Jules Bloch en particulier n'en demeure pas moins un ami de la famille Richard. Jules, mais aussi ses fils et d'autres membres de son cercle proche, fréquentent régulièrement Portieux pour préciser les commandes ou pour visiter le cabinet d'échantillons. Ils sont reçus au chalet du patron. "En ce qui concerne votre venue parmi nous, vous savez bien que c'est toujours une fête ici, pour nous, lorsque vous venez nous voir" écrit A. Richard à Jules Bloch.

Formidablement conquérante, la maison Bloch a largement contribué à la prospérité puis à la relance de l'usine entre les deux guerres malgré les difficultés chroniques de la verrerie qui ne peut, quel que soit le contexte économique, livrer dans les délais impartis. L'entre-deux guerres ne connaît quasiment pas de périodes sans problèmes. La maison Bloch travaille régulièrement en dessous de ses possibilités. A cet égard, les années trente marquent aussi le déclin de la prospère exportation mais les échanges sont, dans ce temps, victimes de la conjoncture mondiale.

En marge de ce marché Sud-Américain, il convient de préciser que la maison Bloch livre en 1930 des articles de Portieux au Canada. Les frères Bloch adressent divers échantillons de verres anglais avec chiffres de la compagnie Canadian Steamships pour une grosse commande. La compagnie se fournissait antérieurement au Val-Saint-Lambert. Ils font exécuter des planches pour les gravures chimiques Notre-Dame du Perpétuel Secours et Sainte-Anne de Beaupré. L'usine fait parvenir au Canada un échantillon de Sainte-Thérèse.

Dans ces années, la verrerie livre de nombreux articles d'église en Amérique du Sud, au Canada mais aussi en Irlande où Bloch possède un représentant 825 . Bloch qui est implanté également en Espagne et au Maroc en 1930 se voit refuser la carte de Portieux pour rencontrer la clientèle que ne visite pas Sauvage en Algérie. A. Richard ne veut pas "démolir" la clientèle de Sauvage, le représentant de Portieux dans ce pays, en faisant des conditions particulières à la maison Bloch. Les marchés donnés à Jacques Bloch en Amérique du Sud, en Espagne, au Maroc "sont suffisamment ingrats pour Portieux" précise le directeur. Ce dernier s'entend avec Vallérysthal afin que cette usine n'accepte pas la proposition de Bloch qui veut devenir client de gros et bénéficier ainsi de conditions avantageuses. Par contre, on lui octroie la représentation d'Egypte où il possède un correspondant au Caire : le Comptoir Commercial Economique. Toujours à la recherche de marchés, Bloch demande la représentation de l'Australie en 1938.

Notes
813.

Ce passage concernant Bloch s'appuie sur les sources suivantes :
Lettres ; A.P.

814.

J 440 ; 496 ; 497 ; 498 ; 499 ; 500 ; 532 ; 53 J 714, A.D.V
La société Jacques Bloch est en liquidation en 1932. Jacques Bloch vend toujours de la verrerie dans les années suivantes.

815.

Lettres ; A.P.

816.

Lettres ; A.P.

817.

Lettres ; A.P.

818.

Lettres ; A.P.

819.

Lettres ; A.P.

820.

Service Pasteur gravure chimique empire : voir en annexe p 691.

821.

Services Dakar ; Turin ; Québec ; Kana : voir en annexe pp 692-693-694.

822.

Service Champlain : voir en annexe p 692.

823.

Service Palissy gravure Corbeille : voir en annexe p 694.

824.

Articles d'église : voir en annexe p 695.

825.

Problème de la répartition des marchés ; 37 J 23, A.D.M. et 53 J 714, A.D.V.