Le but des deux usines n'est pas de se faire concurrence sur le marché mais plutôt de conjuguer leurs efforts de manière loyale afin d'emporter le maximum de ventes. X. Mougin qui souhaite clarifier la répartition des marchés intervient auprès du conseil d'administration en 1901. Il pense "qu'il est inadmissible pour la société que les usines se fassent concurrence en opérant isolément sur des marchés communs". Le directeur de Portieux propose alors à Vallérysthal, en échange de l'Amérique du Sud, pays où Portieux fait de grosses affaires, toute l'Europe moins la France ainsi que l'Asie Mineure et la Tripolitaine. Vallérysthal par l'intermédiaire de Verdelet argumente contre ces propositions. Après expériences, les marchés d'Autriche-Hongrie et de Russie n'ont pas présenté d'intérêt pour la gobeleterie. Le marché de Suède, pays qui possède des verreries, est également nul pour la vente de la gobeleterie. En Espagne et au Portugal, les affaires sont considérablement réduites par le fait de change élevé. Quant à la Grèce et aux pays balkaniques, ils ne présentent guère d'intérêt étant donné qu'ils sont alimentés par les verres de Bohème. Autre argument avancé par Vallérysthal, les Amériques demandent surtout "l'article riche" tandis que tout le bassin méditerranéen demande l'article "bon marché" et, par conséquent, l'échange n'est pas équivalent en chiffre d'affaires. De surcroît, Vallérysthal a pris ordres dans les Amériques directement par l'intermédiaire des places de Paris et de Bordeaux puis par celle de Hambourg. C'est en réalité cette dernière place, indépendante de Portieux, qui alimente presque seule Vallérysthal pour ces marchés américains. Verdelet pousse le raisonnement plus loin en exposant que les Amériques possèdent de fortes colonies allemandes et que l'on risquerait de perdre une partie des commandes en transmettant directement les ordres en France. En définitive, Vallérysthal s'engage à ne pas faire voyager directement un de ses agents comme elle l'a déjà proposé pour le Mexique et l'on maintient le statu quo. On ne doit pas, en effet, rencontrer de problème si chaque usine offre à la clientèle des avantages identiques de façon loyale 826 .
L'entente paraît se faire entre les deux verreries en 1903. Le marché Sud Américain et Mexicain est ainsi réparti : 20 % à Vallérysthal, 80 % à Portieux. Cette dernière réalise son plus important chiffre de ventes en Amérique du Sud. Pour l'année 1909, le produit des ventes atteint 1.741.037 francs tandis qu'il n'est que de 773.795 francs pour la France (province). X. Mougin respecte les règles édictées. Portieux retire sa collection d'échantillons à son commissionnaire Bloch de Paris pour le marché du Transvaal dans la mesure où ce pays, devenu colonie anglaise, entre dans les marchés de Vallérysthal. Les relations entre Portieux et Vallérysthal nécessitent quelques négociations devant le conseil d'administration. Les problèmes trouvent des solutions de compromis.
Adrien Richard, dès son accès à la direction, entend défendre son usine avec fermeté. Les courriers échangés avec Bricka ainsi que les interventions auprès du conseil d'administration montrent combien les relations deviennent conflictuelles à certains moments. Ainsi, en juillet 1909, A. Richard intervient auprès de son collègue de Vallérysthal pour lui rappeler que le marché Sud Américain a été créé par Portieux et que le conseil d'administration a tranché suite à une discussion entre X. Mougin et R. Verdelet. A. Richard ne voit pas d'inconvénients à ce que Vallérysthal vende sur ce marché par l'intermédiaire des commissionnaires de Hambourg dans la mesure où les prix et autres conditions ne sont pas inférieurs à ceux pratiqués par Portieux. Dans le cas contraire, affirme-t-il, "les suites seraient nuisibles pour la société en général et pour Portieux en particulier" 827 . Les problèmes existent aussi sur le marché de l'Amérique du Nord. Le directeur de Portieux qui apprend que Vallérysthal concurrencerait son usine rappelle quelles furent les difficultés d'implantation de Portieux : dépenses considérables de Charles Géricot sans grands résultats commerciaux, départ de ce représentant qui quitte la société, engagement de Fondeville en 1901 et développement des affaires, "procès terrible" pendant un an entre Fondeville et les douanes américaines qui le prenaient pour un fraudeur, sortie indemne de Fondeville après l'épreuve subie. "La marche normale des affaires a repris alors que Vallérysthal vient concurrencer Portieux sur le marché où il nous a laissés nous débattre seuls, alors que nous étions à la peine ", s'exclame A. Richard. Ce dernier connaît la maison. En effet Borgfeld qui fait les offres de Vallérysthal a combattu Portieux aux Etats-Unis et le directeur vient de refuser ses propositions, restant en cela fidèle à la parole de X. Mougin donnée à Fondeville. D'urgence, A. Richard demande une réunion du conseil d'administration car les usines ne doivent pas se concurrencer sur les terrains qui leur sont dévolus 828 . Devant le conseil 829 , le directeur renouvelle sa position : il n'est pas question pour lui d'accepter la maison Borgfeld et Cie, d'ailleurs explique-t-il, cette maison a mal agi envers un important céramiste et verrier de Maastricht ainsi qu'envers le syndicat des verreries de Suède qu'elle a privé de toute clientèle américaine. Acceptant l'argumentation de Portieux, le conseil d'administration demande à Bricka d'écrire à Borgfeld pour décliner l'offre. Au cours de cette même réunion, A. Richard élargit la discussion à la répartition des marchés. Il propose que les factures concernant les ventes de Vallérysthal en Amérique du Sud soient adressées à Mansuy pour vérification. Le conseil d'administration confirme alors la répartition des marchés. Il demande cependant au directeur de Vallérysthal de se préoccuper des ventes dans les colonies anglaises "dont quelques-unes renferment une population énorme".
Grâce à son obstination à défendre son usine, A. Richard remporte la partie de bras de fer qui l'oppose à Bricka. Pourtant, à peine ce conflit est-il réglé, qu'un autre surgit à propos d'autres marchés. Dans les années 1909-1910, les territoires de la Chine et du Japon s'ouvrent à l'expansion européenne. N'ayant pas de titulaire Vallérysthal s'arroge, sans rencontrer A. Richard, la propriété future de ces marchés. Bricka fils, représentant de Vallérysthal se rend à Paris en février 1910 afin d'offrir au commissionnaire Jules Bloch un monopole exclusif pour l'Extrême-Orient et c'est J. Bloch qui informe Portieux 830 .
Le conseil d'administration n'a pas encore pu se prononcer sur la répartition entre Portieux et Vallérysthal. Fort irrité, le directeur fait parvenir un télégramme au conseil d'administration : "je n'accepte, écrit-il, aucune décision prise par Vallérysthal à mon insu, concernant Chine et Japon" 831 . André Gérardin, secrétaire du conseil d'administration, propose la conciliation entre les deux directeurs. On parvient à une entente. Vallérysthal obtient la Chine et Portieux gagne le Japon et les Philippines 832 . La concurrence se développe sournoisement à nouveau sur le marché Sud Américain. La maison Borgfeld vend pour Vallérysthal au Chili à l'insu de la maison Bloch, commissionnaire de Portieux. Un des principaux clients de Valparaiso, Bahre, possède un stock de la verrerie de Vallérysthal qu'il vend en gros. Bahre préfère en effet acheter de la gobeleterie unie à Vallérysthal parce qu'elle est bon marché. Apportant la preuve de ses accusations, Bloch envoie à Portieux des articles achetés chez Bahre à Valparaiso et provenant de Vallérysthal 833 . Quelques semaines plus tard, le directeur de Portieux écrit à son représentant à Paris, Mansuy, à propos des changements de tarifs à la baisse introduits par Vallérysthal sans en aviser Portieux : "C'est d'ailleurs la façon habituelle employée à notre égard" 834 . Malgré toutes les discussions devant le conseil d'administration, on mesure combien les tensions demeurent. En 1913, la répartition des marchés s'établit ainsi 835 :
Cette répartition est accompagnée de clauses qui prévoient que chaque usine a la direction des marchés attribués. Par conséquent, il ne peut être question de vendre des articles identiques sur le marché de l'autre usine. Des commandes d'articles que ne fabrique pas l'usine qui a le marché peuvent être satisfaites par l'autre usine sous réserve de respecter les conditions de vente de l'usine titulaire. Les factures, dans ce cas, doivent passer par l'usine qui détient le marché.
A force d'obstination A. Richard réussit à clarifier les relations entre les deux usines mais c'est surtout, après le départ de Bricka et avec l'arrivée à la direction de François Schwaller que ces relations s'améliorent. Il est inévitable, considérant que les deux usines fabriquent les mêmes produits et que l'on se trouve dans une période de conquête des marchés, que des relations concurrentielles débouchent sur des tensions. Nous ne verrons plus de telles difficultés par la suite car la guerre arrive et la reprise difficile après 1918 oblige chaque usine à se concentrer sur ses propres problèmes.
Lettre du 2 juillet 1909 ; 53 J 714, A.D.V.
Lettre de A. Richard à André Gérardin année 1909 ; 53 J 714, A.D.V.
Conseil d'administration de septembre 1909 ; 37 J 24, A.D.M.
Lettre de J. Bloch à A. Richard ; A.P.
Lettre de février 1910 ; 53 J 714, A.D.V.
Conseil d'administration du 21 mai 1910 ; 37 J 24, A.D.M.
Lettre de J et M Bloch à A. Richard ; 53 J 714, A.D.V.
Lettre à Mansuy du 29 août 1910 ; 53 J 714, A.D.V.
Lettre de Richard de novembre 1913 ; 53 J 714, A.D.V.
Conseil d'administration de décembre 1910 ; 37 J 24, A.D.M.
Un moh : cruche à bière.