La verrerie de Portieux vend sa production à des commerces de nature variée : bars, restaurants, hôtels, quincailleries, boutiques d'antiquités, confiseries, fleuristes, horlogers, bijoutiers et objets d'art, bazars, grands magasins, usines de produits alimentaires. Elle approvisionne également des maisons de gros, des compagnies maritimes... Ce vaste réseau de commerces français et étrangers impose une production variée et parfois personnalisée selon la volonté du client et en fonction de l'importance de la commande. Parmi les grands magasins, Portieux livre les Galeries Lafayettes à Paris et ses succursales à Genève, Lausanne, Levallois, Lyon, Nice, Montpellier, Caen, Nantes, Vichy, Dakar, Rabat, Casablanca. A l'occasion du 100e anniversaire des Galeries, l'usine vend des services 38 pièces porto glace cabaret à un prix de revient. Les Galeries revendent ces articles sans bénéfice. Par ailleurs, la verrerie livre bonbonnières, cendriers, services à porto, verres, mohs 837 , services à cerises, carafes, cruches, lave-raisin, vases, seaux à glace, plats à gâteaux...
Le Bon Marché, le Printemps et surtout la société centrale d'achats de Paris (monoprix) figurent en bonne place parmi les clients. Cette dernière possède sept implantations à Paris, dix-huit en province, une à Casablanca et à Tunis, deux à Alger 838 . Portieux honore d'importantes commandes émanant des grossistes tels :
Il conviendrait d'ajouter à cette brève liste l'importante maison Charlionnais et Cie à Toulouse, Panassier frères à Lyon mais bien d'autres devraient être mentionnées également tel le groupement de clients Damber à Fives-Lille qui comprend sept commerces différents à Croix, Saint-Amand-les-Eaux, Bergues, Denain, Valenciennes, Lille, Hazebrouck 839 ! Les compagnies maritimes tiennent une place importante dans ce réseau. C'est ainsi que la société générale des bateaux à vapeur du Nord à Dunkerque est cliente depuis 1892.
Le réseau compte plus de 2600 clients en 1935, uniquement pour les territoires français et hors métropole.
Le représentant Vaché, 26 boulevard Carnot, Le Vésinet (Seine-et-Oise) visite la clientèle des orfèvres pour laquelle il a l'exclusivité des modèles. Portieux facture avec une majoration de 12 %, 10 % allant au représentant et 2 % à Portieux en justification du choix orfèvre. Rétrocédés par avoirs mensuels, ces 10 % dévolus à Vaché sont déduits de son chiffre pour prime de fin d'année. Le réseau des orfèvres totalise quelque 170 clients 840 . Le représentant doit se limiter à prendre des commandes parmi sa clientèle spécifique. Regnault, représentant à Lyon, proteste lorsque Vaché honore la commande d'un confiseur 841 . Le voyageur de Portieux vend : cabarets, services à glace, à porto, à gâteaux, à sirop, dessous-de-plat, porte-carafe, vases, lave-raisin, cendriers, coupes, ...
A la demande d'un client de Vittel, la gravure à l'acide de la signature de Vaché apparaît sur des pièces fantaisie, carafes, brocs et grandes pièces. La verrerie n'accepte pas de porter la signature sur vases et coupes sur lesquels on place des étiquettes. Vaché sollicite la possibilité de réserver à sa clientèle les décors bordures or ou platine pavillons dominos ce qui lui est accordé sauf pour le service porto qui a déjà été noté pour quelques clients. Il se dit à peu près certain de vendre plus de 100 services porto cylindres évasés, décor pavillons et 100 services santiago, décor dominos avec filets or ou platine en fonction des prix qui seront consentis 842 . Dès 1936, Vaché se plaint constamment de malfaçons : le bouchon d'un service à cerises maxime a une ébréchure, les assiettes d'un service marguerite sont pour la plupart informes, les couleurs d'une carafe sont mauvaises. Il est contraint à ne plus visiter les clients qui réclament trop souvent !
Par l'intermédiaire de l'usine de Vallérysthal, des représentants, des banques ou des chambres de commerce auxquelles Portieux est abonnée (Milan, Athènes, Alexandrie...), des renseignements sont recueillis qui permettent de savoir le degré de solvabilité du client et sa capacité à régler rapidement les factures. N'entre pas qui veut dans le réseau de la clientèle de l'usine vosgienne !
Parmi les informations mentionnées, relevons :
Posséder des biens ou avoir de la famille qui dispose de quelque aisance, avoir un parent fonctionnaire, être honorablement connu... voilà qui incite à faire confiance en suggérant un petit crédit, un crédit de 2.000, 3.000 ou 5.000 francs, voire dans de rares cas un crédit illimité si le client possède de la fortune. La durée du crédit n'apparaît qu'une seule fois dans cette liste : 15 jours sont consentis à un client modeste pour un petit crédit. On sait par ailleurs que la durée consentie par la verrerie dépend de la solidité de la clientèle : 30, 60, 90 ou 120 jours dans le meilleur des cas. Parce qu'il n'offre que peu de garanties de vente, le commerçant n'entre pas dans le réseau des clients. C'est le cas de l'épicier détaillant. Parce qu'il refuse une livraison, le commerçant s'en trouve définitivement exclu.
Les clients bénéficient de primes sur le chiffre d'affaires. En 1876, 50 clients reçoivent une prime. En 1884 parmi la clientèle, 23 commerçants italiens de Florence, Tunis, Livourne, Vérone et Naples en sont destinataires 844 . A titre d'exemples, voici quelques primes consenties à la fin de l'exercice 1908-1909 :
Ces primes sont versées par les représentants. Certains clients bénéficient d'une remise permanente de 5 %. Des conditions particulièrement favorables sont accordées aux groupements de clients. Les commerçants importants perçoivent également des primes de casse qui ne sont, la plupart du temps, que des ristournes déguisées qui n'ont d'autres objectifs que d'échapper à l'attention des autres concurrents.
A. Gautier touche 674 francs pour prime de casse en 1909 ; A. Le Blanc 1.076 francs pour "casse et pette" en 1909 également. En 1923, le représentant Jeandidier verse à Val, Vallot et Varène 3 % supplémentaires et 7 % au lieu de 3 % à Madame Gautier sous la rubrique << indemnité et casse divers >>.
Pour des raisons conjoncturelles : influence d'un représentant, liquidation de stocks, lutte contre la concurrence, le directeur octroie des avantages supplémentaires. En 1913, les clients du représentant Vidal qui commandent des gobelets normaux à 5.50 francs obtiennent en fin d'année une ristourne de 10 % du montant brut des gobelets, cette ristourne complétant la prime de fin d'année du client. A Vidal qui se plaint en 1914 que la nouvelle majoration des tarifs porte un coup aux affaires, le directeur consent une remise de 10 % sur les gobelets moulés à tout client qui fera un chiffre d'affaires de 1.000 francs. Seule la tournée de Vidal bénéficie de cet avantage. La discrétion s'impose alors. Il convient de ne rien annoncer par écrit au client. Pour liquider un stock, le directeur propose à Madame A. Gautier, "confidentiellement", des verres n° 2 taillés au prix de 150 francs net, prime de fin d'année maintenue.
Contre paiement à 90 jours, date de facture, l'usine expédie :
A Courbon de Saint-Etienne, on propose un stock de cylindres forts n° 5 à prix "exceptionnel et confidentiel". Lorsque la clientèle se plaint à cause des prix de base pratiqués par Bayel, le directeur prend des mesures énergiques. D'abord il menace de se retirer du groupe de la chambre syndicale de l'Est "simulacre de bonne entente" et il déclare : "il va falloir se résoudre à la guerre" 845 . Ensuite, il informe ses représentants qu'il concède les mêmes conditions que Bayel qui s'efforce à coup de baisse d'enlever la clientèle. Contre-attaquant, il propose par exemple à Gautier des prix à titre "accidentel" afin de s'aligner sur l'usine auboise. Il suggère au client de faire parvenir directement sa commande à l'usine sans passer par le cabinet d'échantillons. Il fait ainsi livrer 70.000 gobelets, 20.000 verres mirabeau, 30.000 verres médicis 846 . Toujours pour lutter contre Bayel, il accorde quelques années plus tard 8 % aux établissements Poirier de Rochefort sans toutefois vouloir pérenniser l'avantage. A un autre commerçant de Quimper qui lui signale que Bayel consent 6 % de remise, le directeur de Portieux répond qu'il offre 8 % 847 .
Le grossiste Vallot de Paris fait remarquer au directeur que dans les maisons Uniprix qui se multiplient, on vend des verres taillés n° 2 à 3 francs au détail. Ce n'est pas du Portieux mais Vallot dit vendre moins le verre mirabeau n° 2. Comme le commerçant dit prendre la défense de Portieux, Richard lui propose d'un coup 60.000 verres mirabeau Tcpl n° 2 à 1,50 franc pièce net, tout en exigeant une absolue discrétion. Les verres sont pris sur les stocks et le représentant doit tout ignorer de cette affaire 848 .
Dans bien des cas, le grossiste sert de baromètre à l'usine à qui il indique l'état de la concurrence, le positionnement des prix, la demande de la clientèle... Le contenu d'une longue lettre que Félix Piffaut de Châlon-sur-Saône adresse à A. Richard illustre bien ce rôle 849 . Le chiffre de Portieux, explique-t-il, diminue dans les maisons de gros en 1911. La concurrence des grands magasins de détail et bazars, la vente d'articles-primes, le malaise général sévissant sur les affaires en sont la cause. Indépendamment de ces facteurs, Portieux porte une part de responsabilité dans ce problème.
Piffaut qui a été amené à étudier attentivement le tarif de l'usine trouve que les articles sont réellement trop chers et cela lui suggère plusieurs remarques ou propositions. Il est obligé d'acheter tous ses verres unis à d'autres usines parce que Portieux ne fait pas ou presque pas le limonadier et parce qu'il faut en commander 3.000 pour obtenir la remise de 5 %. Pour pallier l'absence de commandes, Piffaut suggère de comprendre dans le chiffre fixé à 3.000 non seulement les verres qui y entrent mais encore les mazagrans, les verres limonadiers que Portieux accepte de faire et enfin les verres moulés tels que tulipes etc.
Le grossiste ne vend plus les cylindres ordinaires taillés parce que, malgré la supériorité de la fabrication de Portieux, le client en trouve le prix trop élevé et préfère le cylindre de Bar-sur-Seine ou de Vannes-le-Châtel qui, "tout en étant presque aussi joli est aussi meilleur marché". Le commerçant propose ici d'appliquer également la remise de 5 % par 2 ou 3.000 pièces afin d'en faciliter la vente. Piffaut signale qu'il vend de plus en plus de verres fabriqués spécialement au modèle et qu'il ne peut les commander à Portieux dans la mesure où tout ce qui n'est pas catalogué ne jouit pas de la remise de 5 %. Pourquoi, s'interroge-t-il, "ne pas faire ces verres dans leurs catégories respectives : unis taillés ou gravés et ne pas leur appliquer les remises auxquelles ils ont droit, si les conditions de quantités sont observées ?". Ces modifications, ajoute-t-il, "qui ne changeraient pas vos tarifs vis-à-vis de vos collègues, seraient profitables pour vous comme pour nous".
Dans les périodes de grandes difficultés commerciales, tous les engagements sont pris pour écouler le maximum de marchandises. Ingénieur et chef de fabrication vont même jusqu'à se déplacer pour négocier d'importantes commandes. Ils sont à Dijon aux Etablissements Céramiques de Bourgogne pour la vente de 500.000 gobelets fins rayés n° 5 Dijon ; 10.000 cruches en vert et rose empire, à la cadence de 50.000 gobelets et 1.000 cruches par mois 850 .
1935 ; 53 J 485, A.D.V.
1935 ; 53 J 479, A.D.V.
1935 ; 53 J 479, A.D.V.
53 J 524, A.D.V.
53 J 524, A.D.V.
53 J 479, A.D.V.
Journal 1884 ; A.D.V.
1927 ; 53 J 714, A.D.V.
1927 ; 53 J 714, A.D.V.
1931 ; 53 J 714, A.D.V.
1930 ; 53 J 714, A.D.V.
Lettre de Félix Piffaut adressée au directeur ; 1er mars 1911.
1932 ; 53 J 714, A.D.V.
Sars-Poteries : verrerie du département du Nord. En 1908, l'administrateur-délégué est Collet. Source : bulletin de la chambre syndicale des maîtres de verreries.