Les maîtres de verreries procèdent également à des ententes sur les tarifs, ententes sujettes à de nombreux accrocs qui provoquent la déception de A. Richard et son envie de se grouper avec des verreries amies uniquement.
Les conflits les plus fréquents opposent la verrerie belge de Val-Saint-Lambert à Portieux à propos de concurrences déloyales sur le marché américain. Les courriers échangés entre A. Richard et le Val-Saint-Lambert et entre le premier et son représentant Fondeville, disent bien le peu de scrupules mis par les responsables d'usines à respecter les ententes qui dépassent le cadre de la chambre syndicale et les frontières.
Lorsque des liens d'amitiés lient les directeurs, ceux-ci échangent parfois des techniques relatives à la couleur, à la formule de verres à pied, à la composition de bain d'acide. Brocard de Bar-sur-Seine (Aube) donne à A. Richard la formule du polissage de la taille au bain d'acide bien qu'elle ne soit pas bonne "mais elle pourrait parfois vous faire découvrir autre chose. Si j'apprenais quelque chose, je me ferais un plaisir de vous le dire", écrit Brocard au directeur de Portieux en 1908 868 .
Suit la formule en question : "2/3 d'acide hydrophorique, 1/3 d'acide sulfurique ; bien mélanger et laisser passer douze heures avant de s'en servir. Le responsable de Bar-sur-Seine explique que "l'acide hydrophorique" n'existant pas, il a essayé "l'acide hydrosilicique" mais qu'il n'a obtenu aucun résultat.
Certains approvisionnements, tel le sable, créent des liens de dépendance entre usines. A cet égard, nous l'avons vu, Portieux s'efforce de s'adjuger le monopole de cette matière première essentielle pour la composition du verre.
Des ententes essaient de se nouer à propos d'autres matières premières. Ainsi, en 1914, A. Richard tente de fonder une sorte de consortium pour l'achat en gros de carbonate de chaux.
Sur la proposition de J. Sépulcre, directeur de la société nouvelle de la verrerie de Gironcourt, A. Richard étudie la création d'une sorte de groupement d'exploitation coopérative. Il compte obtenir l'adhésion de Vannes-le-Châtel, Bayel-Fains, Croismare, La Rochère, Clairey, Nancy et Bar-sur-Seine et procède à une évaluation des besoins. Bayel-Fains ne veut pas communiquer son chiffre à partir duquel, un expert peut aisément déduire la quantité de verre produit. Portieux consomme quarante tonnes de carbonate par an ; Vannes-le-Châtel de douze à quinze tonnes ; La Rochère neuf tonnes ; Clairey de dix à douze tonnes ; A. Richard évalue les besoins de Bayel à vingt tonnes. Il juge par conséquent le total trop faible pour espérer former une société 869 .
Les rapports de complicité entre verriers se soudent sur la base de liens amicaux anciens ; de liens familiaux ou de formation intellectuelle et professionnelle commune. Ces différents aspects peuvent d'ailleurs se mêler. Les Thouvenin, amis des Richard, sont parents avec E. Schmid de Vannes-le-Châtel. Les membres de ces familles ont été formés à l'Ecole centrale des Arts et manufactures. Bien que partis de Vallérysthal pour Vierzon-Forges, les Thouvenin continuent d'entretenir d'excellentes relations avec la verrerie de Portieux. A. Richard entretient également de bons contacts avec A. Daum qu'il appelle dans ses courriers "mon cher Antonin" et lorsqu'il s'adresse à la famille Daum : "ses vieux amis de Nancy". Les contacts restent toujours chaleureux entre les Didot de la verrerie de Clairey, parents de X. Mougin, et le directeur de Portieux.
Dès le rachat de l'usine vosgienne par Vallérysthal, le mouvement commercial est relancé. Entre 1880 et 1914, les ventes de Portieux égalent, voire dépassent, celles de Vallérysthal en quantité et en qualité. Ce succès est dû à la restauration de l'outil industriel mais aussi à la bonne organisation d'un large réseau de représentants parmi lesquels se distinguent ceux qui diffusent les produits à l'exportation, entre autres Fondeville et Bloch. L'excellente tenue des exportations entre 1900 et 1914 est due, en particulier, à l'action de ces deux hommes. Le marché de l'exportation permet à l'usine de tenir le cap avant 1930 puis la crise vient annihiler tous les investissements consentis.
Les différents niveaux d'ententes entre maîtres de verreries, ententes facilitées par l'appartenance à la chambre syndicale et par les liens d'amitiés ou familiaux, donnent l'image d'un cartel qui se défend pour assurer une bonne tenue des produits et des prix face à la redoutable concurrence tchécoslovaque et allemande. Après 1950, l'ère des gobeleteries à la main semble révolue.
Lettre de Brocard du 5 décembre 1908 ; A.P.
Lettre de juillet 1914 adressée à G. Sépulcre de Gironcourt ; 53 J 714, A.D.V.