CONCLUSION

Unique rescapée des verreries forestières vosgiennes, la verrerie de Portieux aurait probablement disparu avant la fin du XIXe siècle si le conflit franco-prussien n'avait éclaté.

La société << Mougin frères >> destinée à être vendue tombe alors dans l'escarcelle d'une solide société anonyme, située en territoire annexé, celle de Vallérysthal à la tête de laquelle se trouvent des hommes qui possèdent fortune et compétences techniques.

La << vieille verrerie >> de Portieux dispose, il est vrai, d'une artère vitale : le raccordement à la ligne de chemin de fer de l'Est et d'une deuxième artère qui vient s'ajouter dans les années 1880 : le canal de l'Est. Ainsi, le mouvement du commerce et l'approvisionnement en matières premières et combustible en sont grandement facilités.

Les capitaux de Vallérysthal, les dirigeants du conseil d'administration et de l'usine, l'apport d'ouvriers fuyant l'annexion vont littéralement transformer la verrerie de Portieux.

La période 1880-1914 peut, à juste titre, être considérée comme la phase de réussite de la verrerie malgré un contexte du commerce qui est loin d'être favorable. La production dépasse alors en quantité et souvent en qualité celle de << l'usine mère >> de Vallérysthal.

L'embauche d'ingénieurs, l'enracinement des ouvriers, la mise au point de techniques de travail en série grâce à l'amélioration du coupage - rebrûlage, la construction de fours siemens, l'achat de carrières de sable sur la Marne sont autant d'éléments qui favorisent la relance et le développement de Portieux ; en témoigne l'extension importante du réseau des représentants à travers la France mais aussi à travers le continent américain et l'Extrême-Orient.

Deux familles marquent cette réussite de leur empreinte : d'abord celle des Mougin qui, par leurs alliances matrimoniales, se trouve à la tête de l'usine jusqu'au décès du directeur Xavier Mougin en 1912. En réalité, la dynastie Mougin se prolonge au travers d'André Gérardin, président du conseil d'administration jusqu'en 1942 ; ce dernier étant tout à la fois neveu et gendre de Xavier Mougin. La famille Richard ensuite : Jules et son fils Adrien, l'homme dont le souvenir reste très vivant aujourd'hui encore à la Verrerie de Portieux. La famille Richard, très liée aux Mougin, se prolonge elle aussi au travers d'Auguste Moulin, gendre d'Adrien Richard, et d'André Hanus, neveu de ce dernier..

Sous l'impulsion d'Adrien Richard, l'usine est relancée après la première guerre mondiale, notamment par le développement du marché Sud-américain que dirige la famille Bloch.

Par la suite, l'effondrement de ce marché conjugué à la crise du commerce des années 1930 contribue à dérégler la marche de l'usine qui connaît une véritable déchirure avec la grève du 30 novembre 1938. L'intervention de l'Etat par le biais des lois sociales accélère en outre la disparition du paternalisme.

Alors qu'elle avait su surmonter bien des difficultés depuis sa création de 1705, la verrerie n'a pas su passer de techniques quasi artisanales à des procédés de fabrication automatique.

Si les améliorations techniques de la fin du XIXe siècle avaient permis à Portieux de produire en série des objets de qualité, la mécanisation qui se solde par un échec retentissant et irréversible précipite le déclin de l'usine. Cet échec s'explique par des difficultés techniques objectives mais également par le refus des ouvriers de consacrer toute leur énergie à une production qui fait fi d'un savoir-faire patiemment conquis et qui exige une technicité nouvelle. Le métier de verrier doit pour cette "aristocratie ouvrière" rester un métier d'art qui garantit l'indépendance et la créativité de l'homme. Ne demeurent vivaces que les verreries automatisées qui produisent en série et à prix compétitifs [exemple Arques] ou les verreries qui produisent des objets de luxe [exemple Saint-Louis (Moselle) ; Baccarat (Meurthe-et-Moselle)].

Il est donc possible de penser qu'une création artistique renouvelée par la recherche de formes, de couleurs, de produits aurait permis à cette verrerie de conquérir un nouvel espace de vente. Or, comme on l'a vu, Portieux n'a jamais su se doter d'un atelier de création digne de ce nom.

Dans les années 1950, les tensions se font vives avec Portieux Centre, l'usine vend ses bâtiments écoles et c'est la commune qui construit alors une école maternelle... Le bouleversement de l'habitat ouvrier, on rase des cités pour édifier des HLM, témoigne également de la fin d'une époque.

La deuxième partie du XXe siècle est extrêmement agitée. L'usine connaît les situations de liquidations suivies de reprises parfois hasardeuses. Quelques ouvriers perpétuent actuellement la tradition verrière du travail à la main. Leur histoire méritera d'être consignée parce qu'elle reste l'expression d'un courage quotidien, une aventure humaine ; celle de nombreuses générations qui se sont succédées autour des fours et qui ont formé la << grande famille des verriers >>.