ANNEXE XXVII : Extraits de la discussion du budget du Commerce

(Journal Officiel du mercredi 21 décembre 1938)

  • M. le Président. La parole est à M. LEROY.
  • M. jean LEROY. Messieurs, de très anciennes industries françaises présentant, au point de vue national, un intérêt incontestable ont connu et connaissent encore des difficultés particulières, qui s'ajoutent à celles que leur cause la crise actuelle.
  • Nos fabriques de porcelaine et de faïence, nos verreries et nos cristalleries de l'Est, les ateliers de lutherie vosgiens ont, en effet, subi de réels dommages, du fait de la concurrence tchécoslovaque, que nous avons grandement favorisée pour des raisons de politique étrangère.
  • Pour la vente en France d'une production qui comprenait de nombreux articles - je ne les ai pas tous énumérés - les industriels de la République alliée avaient obtenu des facilités considérables. Des contingents exceptionnels importants s'ajoutaient en effet aux contingents normaux et leur gestion était entièrement concédée au Gouvernement Tchèque.
  • En réalité, la Tchécoslovaquie jouissait d'un traitement exceptionnel de faveur. La situation était telle que je ne crains pas d'affirmer que les industriels et les artisans français intéressés n'auraient pas eu la possibilité de supporter indéfiniment les sacrifices qui leur étaient demandés.
  • Mais, à l'heure où les événements ont tout à la fois modifié les conditions de notre politique extérieure et changé la structure d'un pays qui a cessé d'être un pays industriel pour redevenir un pays à peu près uniquement agricole, il est indispensable que les conventions commerciales conclues soient révisées et modifiées.
  • J'ai donc l'honneur de vous demander, Monsieur le Ministre, dans quelle mesure et pour combien de temps notre Pays se trouve lié à l'égard de l'Allemagne, qui vient d'annexer les industries des régions sudètes, par les accords anciennement conclus avec la Tchécoslovaquie.
  • Autrement dit, "Munich" et les conventions établies postérieurement nous apportent-ils, sur le terrain industriel et commercial, une liberté que nous avons en partie aliénée et qui est indispensable à la vie de nombreuses industries françaises ?
  • Je sais bien, Monsieur le Ministre, que vous avez déjà donné, à ce sujet, des renseignements qui ont été bien accueillis. Pourtant quelques motifs d'inquiétude subsistent toujours. Laissez-moi vous exposer les principaux : aujourd'hui encore ce sont les anciennes conventions franco-tchèques qui règlent les marchés et l'Allemagne conserve le droit d'introduire sous la marque tchécoslovaque des marchandises en provenance des régions sudètes.
  • Sur ce point, je prends la liberté de vous rappeler que les Etats-Unis ont, au lendemain immédiat de Munich, pris de sévères dispositions que, quant à moi, je juge justifiées.
  • J'ai dans mon dossier la traduction d'un article paru dans le "Sprechsaal" du 1er décembre 1938. Sachant combien les minutes de la Chambre sont précieuses, je me contenterai de citer les conclusions de cet article intitulé : "Made in Germany également pour les marchandises des Sudètes".
  • La voici :
  • "Toutes les marchandises provenant des territoires sudètes exportées en Amérique sont donc soumises aux prescriptions douanières de la loi américaine de 1930 et doivent porter l'indication d'origine "Made in Germany".
  • C'est là une mesure que je vous serais reconnaissant de prendre au plus tôt. La probité du commerce le demande, et sa sécurité l'exige. Des fraudes peuvent, en effet, être commises par l'intermédiaire de la Tchécoslovaquie.
  • Enfin, Monsieur le Ministre, je veux attirer plus spécialement votre attention sur la lutherie vosgienne.
  • Cette industrie d'art, qui fait connaître hors de nos frontières les qualités techniques des maîtres luthiers et la valeur de nos ouvriers de Mirecourt, subit non seulement la concurrence, dont j'ai démontré les méfaits, mais, pour des raisons qui ne s'expliquent guère, elle se voit délivrer au compte-goutte les licences qui lui permettraient d'importer en quantité suffisante les matières premières dont elle a besoin.
  • La fabrication des violons, des autres instruments de musique et de leurs accessoires exige des bois étrangers.
  • Nos luthiers sont donc obligés d'importer des sapins de Suisse, des érables de Hongrie, des chênes et d'autres essences de Tchécoslovaquie.
  • Pourquoi leur refuser les quantités qu'ils demandent ?
  • Le marché du bois français ne peut en souffrir puisqu'il n'offre pas les essences ayant les qualités requises.
  • Par ailleurs, la quantité de bois demandés est vraiment infime. Pour l'ensemble de la lutherie vosgienne, il ne s'agit que de quelques milliers de quintaux à importer. Est-ce cela qui peut vraiment modifier notre balance commerciale ?
  • J'ai sous les yeux une lettre qui m'apporte des doléances d'un maître luthier de Mirecourt.
  • Ayant demandé la permission d'importer quatre quintaux de bois par semestre, le directeur d'une très ancienne maison a reçu l'autorisation d'importer seulement trois quintaux pour toute une année.
  • Mise dans l'impossibilité de travailler, l'usine a refusé des commandes et quelques mois plus tard, des ouvriers étaient réduits au chômage. Bien des problèmes posés regardent plutôt, je le sais, le Ministère des Affaires Etrangères...
  • M. Fernand GENTIN, Ministre du Commerce. Et le Ministère de l'Agriculture.
  • M. Jean LEROY. Je vous serais reconnaissant, Monsieur le Ministre, de ne pas me renvoyer devant d'autres départements ministériels, puisque c'est vous qui aurez, en définitive, à sanctionner toutes les mesures qui seront proposées.
  • D'accord avec mes collègues du département de la Haute-Saône, en particulier avec M. LIAUTEY, dont la circonscription comprend d'importantes verreries, je vous demande, Monsieur le Ministre, de prendre au plus tôt les mesures qui s'imposent pour empêcher nos industries de mourir et nos ouvriers de connaître le chômage.
  • Vous agirez avec d'autant plus de rapidité et de fermeté que, dans votre région troyenne, la bonneterie souffre au même titre que la verrerie et la lutherie, et pour les mêmes raisons. (Applaudissements)
  • M. Arthur RAMETTE. Je n'abuserai pas des instants de la Chambre, d'autant que mon intervention est guidée par les mêmes préoccupations que celle de mon collègue M. LEROY, qui a prononcé, à ce sujet, un discours que l'Assemblée a fort apprécié.
  • M. le Ministre du Commerce...
  • MM. LEROY, RAMETTE, Adolphe VINCENT et LAROCHE ont parlé de la verrerie, de la céramique, de la coutellerie et, d'une façon plus générale, de l'introduction en France de produits tchécoslovaques.
  • On a commis, à cet égard, un certain nombre d'erreurs en disant et en écrivant qu'automatiquement tous les contingents accordés à la Tchécoslovaquie auraient été ipso facto accordés à l'Allemagne. Je dois rectifier ces erreurs :
  • Les contingents normaux qui avaient été accordés à la Tchécoslovaquie ont été, pour une part, attribués à la région des Sudètes, devenue allemande, et réduits de 30 à 25 %.
  • Je veux tout de suite tranquilliser tous ceux qui ont été inquiétés par ces écrits inexacts. Je dois rassurer la Chambre.
  • C'est sur cette base du contingent réduit de 30 p. 100 ou de 25 p. 100 que commenceront les négociations avec l'Allemagne, dans le courant du mois prochain.
  • Je suis assuré que la Chambre, en raison des explications que je viens de lui donner, ne me demandera pas d'autres précisions, de façon à ne pas gêner, le mois prochain, l'ouverture des négociations qui vont s'ouvrir. Mais la Chambre peut être certaine que les négociateurs français sauront être très fermes dans la discussion. Les intérêts des fabricants français seront défendus, comme ils doivent l'être, par le Ministre du Commerce.
  • En ce qui concerne la question de la lutherie, je puis donner tous apaisements à M. LEROY : si, au cours de l'année 1937 à 1938, il n'est entré que peu d'instruments en provenance de la Tchécoslovaquie, il peut être certain que je veillerai à la sauvegarde de cette industrie bien française de la lutherie, tant pour lui faciliter l'introduction des bois d'oeuvre dont elle a besoin que pour l'exportation de ses fabrications.