1-4. Facteurs d’implantation.

Classe de population
1868-1870 1880-1882 1887
Nb. de soc. % Nb. de soc. % Nb. de soc. %
< à 3000 h.     1 1,9 5 5,1
3000 à 5000 h. 4 10,3 6 11,5 5 5,1
5000 à 10 000 h. 5 12,8 2 3,9 12 12,4
10 000 à 20 000 h. 7 17,9 10 19,2 22 22,7
20 000 à 50 000 h. 12 30,8 12 23,1 28 28,9
50 000 h. et plus 9 23,1 16 30,8 19 19,6
Agglomération parisienne 2 5,1 5 9,6 6 6,2
Total 39 100 52 100 97 100
Sources : idem carte 1 et DUPEUX G. : Atlas historique…, op. cit.

Du début à la fin de la période, la ventilation entre les différentes catégories d’agglomérations varie peu. Le taux cumulé des villes moyennes (10 à 50 000 h.) et grandes villes (plus de 50 000 h.) s’établit successivement à 77%, 82% et 77% avec cependant pour 1887 un recul des grandes villes (25%) alors qu’elles étaient 40% en 1880-1882. Cette légère extension vers les localités moins peuplées se confirme avec la faible progression des bourgs.

Le constat de quasi-stagnation vaut également pour une répartition s’appuyant sur le statut administratif des localités. Les chefs-lieux de départements, Paris compris, contribuent pour 60% des créations, ceux d’arrondissement s’inscrivent pour un quart et ceux de canton varient entre 5 et 12%. Il faut attendre 1886 pour que se crée une société vélocipédique dans une simple commune, à Damazan.

Statut administratif
1868-1870 1880-1882 1887
Nb. de soc. % Nb. de soc. % Nb. de soc. %
Simple commune         1 1
Chef-lieu de canton 4 10,3 3 5,8 12 12,4
Chef-lieu d’arrondissement 10 25,6 14 26,9 26 26,8
Chef-lieu de département 23 59 30 57,7 53 54,6
Paris 2 5,1 5 9,6 5 5,2
Total 39 100 52 100 97 100
Sources : idem carte 1 et Dénombrement de la population de la France en 1881

Le poids démographique et la fonction de direction des localités apparaissent nettement comme les deux facteurs favorisant la naissance du cyclisme associatif. L’un est-il plus décisif que l’autre ? Le cas des départements où chef-lieu et ville la plus peuplée diffèrent fournit un élément de réponse. Dans le Var, le Pas-de-Calais et la Marne, Toulon, Calais et Reims précèdent leur chef-lieu respectif, à l’inverse dans le Finistère la prime est au chef-lieu : Quimper, trois fois moins peuplé que Brest, le devance de deux ans, nous sommes là en 1888. Le poids démographique semble donc plus déterminant, toutefois cette influence a ses limites. En effet si les trois-quarts des villes de plus de 100 000 habitants et plus de la moitié de celles de 20 à 100 000 disposent d’au moins une société vélocipédique 58 , le nombre de celles-ci n’est pas proportionnel à l’importance démographique. L’agglomération parisienne avec six sociétés, des villes comme Lyon et Marseille, où fonctionnent deux sociétés, offrent un moindre encadrement associatif que l’ensemble des villes de 10 à 20 000 habitants. Plus précisément, une société correspond, en moyenne, à plus de 400 000 habitants dans l’agglomération parisienne, à 125 000 dans le groupe 100 000 et plus et à environ 50 000 seulement dans l’ensemble 10 à 50 000 habitants. En revanche, au dessous du seuil des 10 000 habitants, l’encadrement se relâche.

.Classe de population Population totale Nb. de sociétés Nb. moyen d’h. pour 1 soc.
3000 à 5000 h. 1 257 483 h. 5 251 496
5000 à 10 000 h. 1 238 347 h. 12 103 195
10 000 à 20 000 h. 1 222 700 h. 22 55 577
20 000 à 50 000 h. 1 347 860 h. 28 48 137
50 000 à 100 000 h. 674 683 h. 8 84 335
100 000 h. et plus 1 380 287 h. 11 125 480
Agglom. parisienne 2 648 533 h. 6 441 422
Ensemble des villes 9 769 893 h. 92 107 361
Sources : Arch. dép. et mun. ; presse de l’époque ; Annuaire de l’U.V.F., 1887 ; DUPEUX G. : Atlas historique…, op. cit

Toutefois, dans certains départements, le chef-lieu, quoiqu’étant également le centre le plus peuplé, n’est pas toujours le premier point d’implantation. Ainsi, en Dordogne, le Sport vélocipédique de Bergerac est créé en 1884, trois ans avant le Véloce-club périgourdin ; pourtant, Périgueux, chef-lieu du département, est de deux à trois fois plus peuplé que Bergerac. Dans la Vienne, l’antériorité de Chatellerault (15 000 h., chef-lieu d’arrondissement), sur Poitiers (88 000 h., chef-lieu de département) est même de quatre ans.

Un autre élément d’explication doit en effet être pris en compte : la proximité et donc les liens aisés avec un centre cycliste déjà développé qui sert de modèle voire d’initiateur. Chatellerault profite ainsi d’être plus proche de Tours pour échapper au “ véritable désert ” dont parle Maurice Martin à propos du Poitou 59 . Périgueux plus enclavée et plus éloignée de Bordeaux que Bergerac ne bénéficie qu’avec un temps de retard de l’élan impulsé par la capitale de l’Aquitaine. En effet Bordeaux, et non Toulouse, va jouer le rôle de propagateur de l’activité dans le sud-ouest. Ce dynamisme rappelle celui qu’y constate Maurice Agulhon pour la création de cercles sous la Restauration et qu’il attribue au rôle marchand de la cité portuaire, qui la prédispose à accueillir plus efficacement la modernité que sa voisine toulousaine “ terrienne, aristocratique ” 60 . Le mimétisme touche diverses localités de la région qui, à leur tour, servent de centre émetteur. Le Vélo-sport néracais se fonde en mai 1884, quelques jours après une réunion de courses dont la municipalité avait confié l’organisation au Véloce-club agenais 61 . Dans les Basses-Pyrénées, l’activité s’étend selon le même processus de Pau à Bayonne en 1883, puis, à la fin de 1885, le Cyclist club orthézien se constitue “ grâce au dévouement de M. Elisseiry ”, président du Vélo-club de Bayonne-Biarritz 62 . Les Landes sont investies dès 1884-1885 avec le concours de MM. Baby et Rousset, respectivement membres des Véloce-club béarnais (Pau) et bordelais, qui “ ont soulevé partout l’admiration et l’estime générales des populations qu’ils traversaient ” 63 lors de leurs records tentés et réussis à tricycle. Le club de la Gironde lui-même tire son origine d’une autre société : le Véloce-club d’Angers créé en 1875 sous l’impulsion entre autres de professeurs de l’Ecole des Arts et Métiers impliqués dans les recherches sur le nouvel engin. C’est en effet un Angevin, Jiel-Laval, qui, arrivé à Bordeaux en 1877, fonde l’année suivante le Véloce-club bordelais avec quelques amis. ‘Le Véloce-club d’Angers n’arrête pas là son prosélytisme. Dans l’ouest, “ plus de vingt sociétés […] de près ou de loin doivent leur origine au premier club de France ”’ 64 . Par exemple, la Société vélocipédique du Mans se constitue en 1882 à la suite de l’installation dans la ville de Laumaillé, un des membres fondateurs du club angevin. De même le Véloce-club de Tours résulte de l’impact donné dans la cité par l’organisation de la course de fond Angers-Tours-Angers qui génère un premier noyau de vélocipédistes, d’abord affiliés au club angevin.

Grenoble, autre pôle avec Angers et Bordeaux de la “ Trinité Sainte ” considérée comme “ le berceau du cyclisme français ” 65 n’a pas une telle vigueur de diffusion gênée qu’elle est par Lyon et par son enclavement partiel. La vélocipédie y prend un essor précoce sous l’action d’Alfred Berruyer, auteur en 1869 du  Manuel du véloceman, hymne à la “ Vélocerie ”, “ chevalerie moderne ” qu’il veut étrangère à toute affiliation 66 . Pourtant, dix ans plus tard, il lance le Vélo-club grenoblois qui appuie son extension sur la mentalité ouverte et conquérante d’une ville au développement industriel précoce et original, dynamisé par la houille blanche. Les contacts avec les alpinistes anglais venant découvrir le massif alpin n’a pu que renforcer l’aptitude grenobloise à intégrer au mieux le sport vélocipédique. En effet, après le traité de Francfort de 1871, l’Angleterre et plus particulièrement Coventry supplantent la France et s’imposent nettement à la première place de l’industrie du cycle. Corollaire de cette situation au plan associatif : alors qu’au cours des années 1870 l’activité française est moribonde, le nombre de clubs s’élève rapidement outre-manche, passant de 29 en 1874 67 à 675 en 1881 68 .

Dans certaines villes l’influence anglaise est très nette. À Pau que la Vie au Grand Air élève ‘“ avec Bordeaux, Grenoble et Angers [au rang] d’une des quatre capitales ancestrales de la vélocipédie d’antan ”’ 69 , quelques uns des Anglais en villégiature dans la Reine des Pyrénées, participent à la création du Véloce-club béarnais qui se ‘choisit “ pour président un Anglais, hôte assidu de Pau, le capitaine Annesley ”’ ‘ 70 ’ ‘.’ Des “ ladies ” adhèrent au nouveau groupement. En 1881, le Vélocipède-club dieppois et le Cosmopolite - l’appellation est révélatrice - Véloce-club de St Pierre les Calais, contacts commerciaux obligent, comptent dans leurs rangs de nombreux ressortissants britanniques. Six ans plus tard la situation a peu évolué sur le littoral de la Manche. Les lettres jointes aux demandes d’autorisation du Calais véloce-club 71 et des Cyclistes boulonnais mentionnent la présence de plusieurs membres originaires d’outre-manche. La formule qu’ajoutent les fondateurs de la société de Boulogne ‘: “ ces sociétaires ont tous la plus grande sympathie pour la France ”’ 72 , n’est pas que clause de style, elle vise à se prémunir d’un éventuel refus préfectoral car quoique la circulaire du 12 septembre 1885 ne concerne pas les sociétés vélocipédiques, certains responsables départementaux rejettent toute présence d’étrangers dans les clubs 73 . Tel n’est pas le cas de celui de la Marne où le Bicycle-club rémois est fondé à 40% par des Anglais. Le président, , l’industriel Holden , a installé en 1853 avec son compatriote Lister ‘“ une vaste et moderne usine de peignage ”’ dans la cité champenoise 74 . À Saumur, la présence britannique est moins forte mais le secrétaire et principal animateur, Hart, est sujet anglais.

Une tradition nautique vivace favorise également l’introduction de la vélocipédie. Le Vélocipède illustré considère “ le canotage comme le frère aîné de la vélocipédie ” 75 . À Toulouse, en 1868, les premières courses sur route sont organisées par la société des régates et lorsque le Véloce-club se déclare, il signale que ses statuts ‘sont “ identiques, sauf modifications obligées, à ceux des régates ”’ 76 . À Rouen, Dieppe, Bergerac, Marseille, Angers, Nancy, Cognac… les sociétés nautiques précèdent les groupements cyclistes avec bien souvent filiation entre elles 77 . Le président de la société des régates d’Angers, G. de Mieulle, est membre fondateur du Véloce-club 78 . À Villeneuve-sur-Lot, si les deux sociétés se créent à quelques jours d’intervalle avec un certain nombre de membres communs, c’est après l’organisation, l’année précédente, d’une journée de régates avec le concours de la Société nautique bordelaise (l’influence de Bordeaux ne se limite pas au domaine cycliste) 79 .

Echanges actifs, large ouverture vers l’extérieur, dynamisme économique, présence d’Anglais - un British Residents Bicycle Club de Paris est attesté en 1881 -, antériorité de l’aviron, autant d’atouts que possède la capitale et pourtant les contemporains ne classent Paris qu’au cinquième ou sixième rang des villes françaises pour le cyclisme. La raison ? La concurrence d’autres offres de loisir et de spectacle. “ Paris a trop de plaisirs ” écrit un habitant de la capitale, qui poursuit : “ les courses de chevaux très nombreuses font un énorme tort à la vélocipédie ” 80 . Cette remarque pose la question de l’influence acquise par la vélocipédie face aux autres activités de détente, question que nous limiterons, bien sûr, à son seul aspect associatif.

Notes
58.
Tableau 4. : Villes pourvues de sociétés vélocipédiques par classe de population ( 1887 ).

Classe de population3 à
5000 h5 à
10 000 h10 à
20 000 h20 à
50 000 h50 à
100 000 h100 000 h
et plusagglom.
parisienneEnsemble
des villesNb. de villes33417787421081659Villes pourvues511222466175%1,56,225,357,1607510011,2Sources : Arch. dép. et mun. ; presse de l’époque ; Annuaire de l’U.V.F., 1887 ; DUPEUX G. : Atlas historique…, op. cit.

59.

MARTIN M. : Voyages de Bordeaux à Paris par trois vélocipédistes, Bordeaux, Véloce-Sport, 1890, p. 85.

60.

AGULHON M. : Le cercle dans la France bourgeoise…, op. cit., p. 32.

61.

Le Sport vélocipédique, 17 mai 1884.

62.

Le Veloceman, 1er janvier 1886.

63.

Le Veloceman, 15 mars 1885.

64.

La France cycliste, janvier 1891.

65.

MARTIN M. : Grande enquête sportive du journal Le Vélo : 8300 km à bicyclette, Paris, Brocherioux, 1898, p. 39.

66.

A. Berruyer ne veut “ aucun chef, ni membre inscrit ”, hostile qu’il est “ à cette tendance moderne aux affiliations qui oblitèrent la raison, énervent le corps et enchaînent la liberté ”. BERRUYER A. : Manuel du veloceman ou notice, système, nomenclature, pratique, art et avenir des vélocipèdes, Grenoble, impr. Allier, 1869, p. 8.

67.

HOWARD A. : The bicycle for 1874. A record of bicycling for the year, Londres, Henry Kent Causton, 1874. Les 29 clubs se répartissent entre 7 londoniens et 22 provinciaux, 5 ouverts aux amateurs et aux professionnels et 24 réservés aux amateurs. Document fourni par David Herlihy.

68.

Le Sport vélocipédique, 3 septembre 1881. 209 clubs sont installés à Londres ou aux environs, 457 en province. Les 9 derniers n’acceptent que des tricyclistes.

69.

La Vie au grand air, 3 mars 1901.

70.

DESCAMPS D. : La Vie sportive…, op. cit., p. 121.

71.

Arch. dép. Pas-de-Calais, M 2307, Lettre du 11juillet 1887.

72.

Arch. dép. Pas-de-Calais, M 2303, Lettre du 13 juin 1887.

73.

La circulaire ministérielle aux préfets du 12 septembre 1885, dans le but de faciliter l’accomplissement des formalités, retient trois clauses dont le ministre juge l’insertion nécessaire dans les statuts des sociétés de tir, de gymnastique et d’exercices militaires et nautiques. La nationalité française des membres constitue la première obligation. S’y ajoutent l’interdiction de l’adoption de costumes ( rappel d’une circulaire du 10 septembre 1882 ) et du port de grades, insignes et médailles rappelant leurs homologues militaires. Une seconde circulaire du 2 novembre 1886 spécifie clairement que la disposition relative à la nationalité ne concerne que les sociétés de tir, de gymnastique et d’exercices militaires tandis que les deux autres s’appliquent à toutes les associations.

74.

DESPORTES P. ( sous la direction ): Histoire de Reims, Toulouse, Privat, 1983 , p. 314. En 1881, la ville de Reims compte plus de 6000 étrangers pour une population de 93 000 habitants. Ibid., p. 340.

75.

Le Vélocipède illustré, 5 juin 1870, cité par BONNEVILLE L. : Le Vélo, fils de France, Nice, Étac, 1938, p. 59.

76.

Arch. dép. Haute Garonne, 13 M 85, Lettre du 10 mai 1869.

77.

Cognac offre l’exemple d’une filiation au travers des intitulés anglicisés des associations. En 1864 s’y crée le Cognac Rowing-Club, en 1877 le Cognac Yacht-Club et en 1887 le Cognac Cyclist-Club. Arch. dép. Charente, 4 M 53.

78.

DELAUNAY N.: La naissance et le développement du mouvement sportif associatif à Angers, 1850-1939, mémoire de maîtrise dactylographie, Angers, 1994, p. 32. Parmi les trois organisateurs de la première course ayant eu lieu à Angers en 1869 figure Paul de Chamellier, membre de la société des régates. Ibid., p. 30.

79.

AYGUEROLLES P. : Villeneuve-sur-Lot découvre le sport à la “ Belle Époque ” (1875-1914), Fumel, impr. Blayac, 1991, p. 15 et pp. 20-22.

80.

Le Veloceman, 15 novembre 1885.