1.1.1 : Les buts des véloce-clubs

Le texte statutaire commence par l’exposition des buts. Si quelques clubs, tel le Cognac cyclist-club ou l’Avenir vélocipédique de Toulouse ne mentionnent qu’un dessein général dans leur article initial - 159 , pour l’un, “ propager le sport vélocipédique ” 160 , pour l’autre -, ils font figure d’exception. Les objectifs affichés varient de trois à quatre à la fin du second empire, de quatre à cinq par la suite et débordent la simple satisfaction des besoins individuels des membres, comme le démontrent, à titre d’exemple, les buts que s’assigne en 1883 le Véloce-club de Tours :

Article premier.

‘“ Le Véloce-club de Tours a pour but de développer le goût et l’usage du bicycle et du tricycle, de faire apporter tous les perfectionnements possibles à leur construction, de concourir aux fêtes de bienfaisance et aux fêtes publiques par des courses organisées de concert avec les administrations municipales, d’entretenir, avec les autres Sociétés vélocipédiques et les autorités, des relations ayant principalement pour objet les courses, promenades et voyages, enfin, de fournir aux vélocipédistes, tous les renseignements qui sont en sont pouvoir ” 161 .’

Les sociétés n’ambitionnent pas de vivre en vase clos, tournées vers elles-mêmes. Elles projettent de s’ouvrir à la collectivité, de se positionner dans l’environnement local et national et même de modifier les comportements de leurs contemporains, comme l’énonce la disposition placée le plus souvent en tête - 85 % des sociétés le retiennent - : “ développer ”, “ propager ”, “ favoriser ”, “ répandre ”“ étendre ”, “ encourager ”, “ vulgariser ” “ les exercices vélocipédiques ” ou “ le goût du véloce ” ou encore et majoritairement “ le goût et l’usage du vélocipède ” 162 . L’entreprise de prosélytisme est ambitieuse. Au-delà du développement du sport, les clubs s’arrogent la mission d’introduire le nouveau mode de locomotion le plus largement possible, voire “ dans toutes les couches de la société ” 163 . Réponse aux campagnes “ vélophobes ” que mènent certains journaux ou certains membres du corps médical. Pour étayer leur aspiration, près du tiers des associations insistent sur les bienfaits que l’être humain retire de la pratique, qu’ils soient d’ordre eugénique et hygiénique (“ développement des forces physiques ”), utilitaire, éducatif ou d’agrément. Le Club des cyclistes stéphanois note en préambule que ‘“ les exercices de locomotion pris avec modération [sont] une bonne hygiène et une distraction d’un effet moralisateur très puissant ”’ 164 . ‘“ Faire apporter tous les perfectionnements possibles à la construction du vélocipède ”, “ stimuler le zèle des constructeurs ”, “ coopérer aux progrès du véloce ’ s’inscrivent dans le même contexte. Pour élargir le cercle des amateurs, parfaire l’instrument s’impose et les associations - un tiers d’entre elles le mentionnent - se doivent d’y contribuer. La Société pratique du vélocipède en fournit l’illustration la plus probante quoique la plus précoce, en 1868, dans les paragraphes 3 à 5 de ses buts :

  • “ rechercher quels sont les meilleurs systèmes inventés jusqu’à ce jour ”,
  • “ favoriser la construction de nouveaux modèles ”,
  • “ … créer des expositions à l’occasion desquelles elle décernera des récompenses ” 165 .

Qu’il s’agisse de ‘“ se mettre en rapport avec les autorités ”, de “ prêter son concours à l’administration municipale ” ’ou encore de “ concourir aux fêtes publiques ou de bienfaisance ” - le Bicycle-club dunkerquois insiste sur son concours “ au soulagement des infortunes locales ” 166 - la nouvelle société tient à marquer son attachement au milieu ambiant. Le Cercle vélocipédique de Tonneins envisage même ‘“ d’organiser des concerts, bals… et en un mot de créer des distractions qui manquent à la ville ”’ ‘ 167 ’ ‘.’ Ce souci d’inscrire son œuvre au sein de la localité explique, pour partie, le fort attachement manifesté par la presque totalité du corpus étudié à l’organisation de courses. Par ce biais, le groupement allie son désir d’animer la ville et sa volonté de marquer son territoire en affirmant sa spécificité et son savoir-faire. La manifestation qu’il propose a le mérite de l’originalité et même s’il n’en est pas toujours commanditaire - ce peut être la municipalité ou un comité des fêtes - elle lui permet de mettre en avant ses capacités à en assurer le bon déroulement par la fixation de règles intangibles ‘(“ prêter son concours aux administrations municipales pour la direction des courses ”’ ‘ 168 ’ ‘).’ L’ouverture sur l’extérieur se manifeste encore dans l’affirmation de ‘“ se mettre en rapport avec les sociétés similaires ” et “ d’établir et d’entretenir des relations amicales entre les vélocipédistes français et étrangers ”’. Près d’un cycliste associatif sur deux revendique ainsi son appartenance à un ensemble national voire international et, ce faisant, cherche à rompre l’isolement dans lequel le place le réseau encore lâche de sociétés. En revanche, les allusions à l’attachement à la patrie, à sa défense, n’abondent pas et sont tardives. Avec trois mentions seulement, toutes de 1887, la singularité de la vélocipédie associative éclate par rapport aux sociétés de gymnastique, de tir et de préparation militaire 169 .

La société se soucie cependant de ses adhérents. Certaines des courses qu’elle envisage leur sont réservées. Les promenades et voyages ne s’adressent qu’à eux mais la place du tourisme est nettement moindre que celle de la compétition. Une petite moitié des statuts l’intègre et le Club des velocemen touristes de l’Isère est le seul à le retenir comme but principal. La promesse d’avantages - mise à disposition d’un lieu de réunion, fourniture de renseignements, enseignement des néophytes, prêt de matériel, recherche de rabais auprès des constructeurs, protection juridique - faite par un tiers des sociétés vise encore plus nettement à satisfaire les membres. Le Vélo-sport de Marseille s’attache particulièrement à la protection des cyclistes et à la reconnaissance de leurs droits. Il veut ‘“ protéger les promeneurs si besoin est, assurer aux vélocipédistes le droit de rouler sur les routes de France et veiller à leurs intérêts quant à ce qui concerne les lois, décrets réglant l’emploi du vélo ”’ ‘ 170 ’ ‘.’ Nombre de sociétés du sud-est reprendront cette formulation dans les années 1890.

Notes
159.

Arch. dép. Charente, 4M 68, Statuts, août 1887.

160.

Arch. dép. Haute-Garonne, 13M 84, Statuts, décembre 1887.

161.

Arch. dép. Indre-et-Loire, 4M 280, Modifications des statuts, novembre 1883.

162.

Cf. Annexe stat. D2 : Les buts des sociétés vélocipédiques (1868-1914). Tableau.

163.

Arch. dép. Seine-Maritime, 4M 477 (Union vélocipédique de Boisguillaume-les-Rouen, Statuts, mai 1884) et 4M 479 (Sport vélocipédique rouennais, Statuts, septembre 1885).

164.

Arch. dép. Loire, UDP 426, Statuts, octobre 1881.

165.

GÉBERT F. et FORESTIER : Almanach de la vélocipédie illustrée pour 1884, Rouen, impr. Blondel, 1884, hors texte.

166.

Arch. dép. Nord, M 222/198, Statuts, décembre 1886.

167.

Arch. dép. Lot-et-Garonne, 4M 390, Statuts, avril 1884.

168.

Arch. dép. Marne, 87M 59, Statuts du Bicycle-club de Reims, septembre 1881.

169.

La totalité des sociétés de ce type à Lyon et dans le Rhône font figurer dans leurs buts une allusion au patriotisme, au civisme ou à la défense du pays. ARNAUD P. : “ Pratiques et pratiquants : les transformations de la sociabilité sportive. L’exemple de Lyon et du département du Rhône entre 1850 et 1914 ”, in ARNAUD P. et CAMY J. (textes réunis par) :La naissance du mouvement…, op. cit., p. 193.

170.

Arch. dép. Bouches du Rhône, 4M 862, Statuts, avril 1886.