1-2. Une réalité contrastée.

La cessation de fonctionnement d’une société est beaucoup plus difficile à déterminer que son origine. Pourtant les statuts incluent toujours - la loi l’exige - les modalités de dissolution. La décision en revient à une assemblée générale convoquée spécialement à cet effet et de laquelle doit se dégager une majorité en général des deux-tiers, voire parfois des quatre-cinquièmes. Si la suppression est votée, les sociétaires se plient aux directives émises par les fondateurs quant à l’emploi de l’actif restant, à savoir soit le partage entre les membres à jour de leur cotisation, soit la remise à une œuvre de bienfaisance ou, plus rarement, l’affectation à l’organisation d’une fête vélocipédique. Les adhérents du Vélo-sport de Marseille se conforment, en octobre 1885, aux exigences statutaires. Après un vote favorable à la disparition du club, les neuf membres qui le composent s’en partagent les fonds 193 . En revanche, l’Union vélocipédique de Louviers et Evreux s’éteint à petit feu sans qu’intervienne une décision formelle en assemblée générale. La totale désaffection des sociétaires empêche toute réunion et le président se résout à répartir le solde en caisse entre les adhérents ayant acquitté leur dû 194 . Une telle conjoncture d’asphyxie progressive qui ne débouche pas sur un acte datable concerne l’essentiel des arrêts d’activité. Le Vélo-sport de Lyon s’éteint vers 1876-1877 ‘par “ le départ ou la démission successifs de la plupart des sociétaires ”’ 195 . Ainsi les sociétés disparaissent sans laisser de trace d’autant plus que même celles qui respectent les dispositions de leur texte fondateur n’ont aucune obligation légale d’avertir les autorités de leur dissolution. En conséquence la connaissance précise de la durée de vie des associations se dérobe et une seule possibilité d’estimation subsiste par le repérage du maintien ou de la disparition des groupements entre deux dates pour lesquelles des listes sont disponibles.

Des 38 villes pourvues d’un véloce-club avant le conflit franco-prussien 14 en sont encore nanties au début des années 1880 196 . N’en concluons par pour autant à la survie de la société initiale, bien au contraire. Les documents d’archives amènent en effet à ne retenir, en toute vraisemblance, que deux cas de permanence. D’une part le Véloce-club toulousain qui se réorganise et requiert une nouvelle autorisation en 1873 197 , d’autre part le Véloce-club d’Ay qui, aux dires du maire, en 1888, ‘“ existe bien depuis le 15 septembre 1869…[et]… fonctionne dans les meilleures conditions ”’ ‘ 198 ’ ‘.’

Doit donc être rejetée la filiation hagiographique avec un ancêtre des temps héroïques que revendiquent tardivement certaines sociétés avides du prestige que confère l’ancienneté. Ainsi le Véloce-club de Tours affirme un temps ses liens avec la société fondée en 1868 199 . Du moins revient-il sur son assertion momentanée - il fête son 25ème anniversaire en 1906 - au contraire du Véloce-club rennais qui, créé en 1879, mais au seul fait qu’il compte en son sein le président du vélocipède-club de 1869 en serait le prolongement direct 200 . Les prétentions du Bicycle-club de Lyon 201 ou encore celles du Véloce-club rouennais 202 ne sont pas plus fondées et le taux de survie, au début des années 1880, des sociétés de la fin du second empire ne s’élève bien qu’à 5 % - deux sociétés sur quarante. L’évolution au cours des années 1880, si elle est moins négative, révèle pourtant que seulement un peu plus de la moitié des associations repérées entre 1880 et 1882 - 28 sur 52 - perdurent en 1887 et qu’un quart de celles figurant sur une liste de 1885 203 - 13 sur 48 - ont disparu deux ans plus tard. Les sociétés cyclistes se conforment donc au modèle qui prévaut dans le mouvement sportif de l’époque où la brièveté de la vie des associations l’emporte sur la longévité 204 .

Le très faible taux de survivance constaté entre les années 1868-1870 et le début de la décennie 1880 tient essentiellement au conflit armé qui oppose la France à la Prusse. Même si les opérations militaires débutées au mois d’août 1870 débordent peu sur 1871, même si les combats ne touchent guère que le nord du territoire et une zone comprise entre Orléans et Le Mans, le choc du conflit, la défaite qui le clôt, l’occupation partielle et la Commune de Paris qui le prolongent, conduisent à une désorganisation notable du pays. La vélocipédie, activité naissante, en subit de plein fouet les conséquences. A Paris et ailleurs en France, les fabricants cessent leurs activités. Les ateliers de la Compagnie parisienne, la seule entreprise de type industriel, se reconvertissent dans la fabrication de fournitures militaires et ses manèges, devenus inutiles, servent d’entrepôts à blé. Le retour de la paix ne suffit pas à restaurer la situation antérieure, conséquence d’autant plus dommageable que la Compagnie parisienne ‘“ était le grossiste, le fournisseur en pièces détachées de la plupart des marchands-assembleurs ’ français 205 . A ce bouleversement des structures de production dont va profiter l’industrie anglaise s’ajoute la disparition du phénomène de mode d’ailleurs en déclin avant le déclenchement des hostilités. Privée de ces deux bases -constructeurs et public - la vélocipédie associative ne peut pas survivre et ne reprend pas ses activités. Si le Véloce-club rouennais réussit toutefois à passer le cap et à maintenir une certaine vitalité en 1871 206 , il doit se résoudre à la fin de l’année à abandonner son local de réunion et à cesser son fonctionnement, du fait de nombreuses démissions.

En dehors de cette période précise fortement marquée par la guerre, phénomène exogène, l’instabilité des associations procède de diverses causes, endogènes pour la plupart 207 . D’emblée une analyse des effectifs s’impose.

La source la plus fournie, les déclarations souscrites lors des demandes d’approbation, nous éclaire sur la taille de près de soixante associations à leur naissance.

 
< 3000 h. 3 à10 000 h. 10 à 50 000 h. > 50 000 h. Ensemble
Nb. soc. % Nb. soc. % Nb. soc. % Nb. soc. % Nb. soc. %
< 21 mb. 1 100 4 28,6 9 39,1 8 40 22 37,9
21-30 mb.   6 42,9 11 47,8 6 30 23 39,7
31-50 mb.   3 21,4 2 8,7 5 25 10 17,2
> 50 mb.   1 7,1 1 4,4 1 5 3 5,2
Total 1 100 14 100 23 100 20 100 58 100
Sources : Arch. dép. ; DUPEUX G. : Atlas historique…, op. cit.

Trois groupements sur quatre ne dépassent pas 30 membres et un tiers même réussit à obtenir l’aval des autorités sans justifier du minimum légal de 21membres. C’est ainsi que le Vélo-sport de Brie-Comte-Robert est déclaré en 1887 puis autorisé avec seulement 9 membres fondateurs ou que le Véloce-club de Valence peut fonctionner en 1868 avec 10 membres. Cette entorse à la loi se pratique dans de nombreux départements : Seine-et-Marne et Drôme comme ci-dessus évoqué mais aussi Maine-et-Loire (Vélo-club de Saumur, 1878, 13 fondateurs), Eure (Sport vélocipédique de Louviers, 1885, 12 fondateurs), Charente (Cognac-cyclist-club, 1887, 15 fondateurs)… et concerne aussi bien des localités rurales (Brie-Comte-Robert) que de petites villes (Louviers, Saumur…) ou de grandes agglomérations comme Reims (Bicycle-club, 1881, 19 membres) ou St-Etienne (Club des cyclistes, 1882, 16 fondateurs). Aucune discrimination ne se découvre au sein des sociétés les mieux pourvues (plus de 50 membres). Elles se répartissent entre les diverses catégories de villes et aucun parallèle ne peut donc être établi entre taille des sociétés et population des localités. Bien au contraire puisqu’à Nérac, chef-lieu d’arrondissement de 4000 habitants, le Vélo-sport produit la liste la plus fournie avec 127 noms, probablement liée aux conditions de la fondation, dans l’euphorie d’une réunion de courses bien réussie.

Hormis quelques situations exceptionnelles, il ressort que quelle que soit l’importance de la localité, la création repose sur un petit groupe de personnes (moyenne de 26 membres) y habitant. Nous avons déjà relevé la forte proportion des membres (95 % avant 1870, 85 % dans les années 1880) résidant dans la ville, siège de la société, et la vanité des intitulés (Véloce-club de l’Hérault…)supposant un recrutement départemental. D’ailleurs l’extension géographique limitée, la suprématie du milieu local au moment de la création sont confirmées par la faible représentation des membres correspondants.

Au-delà de la création, les renseignements deviennent malheureusement bien minces. L’obligation portée par de nombreux arrêtés d’approbation de faire parvenir chaque année aux autorités la liste des adhérents n’est pas suivie d’effet à moins que ces documents n’aient été systématiquement détruits, ce dont nous doutons. Nous devrons nous contenter de quelques glanes et de deux relevés partiels. Le premier figure dans un annuaire d’A. de Baroncelli 208 - il fournit l’effectif de 23 sociétés en 1883 -, le second émane de l’U.V.F. qui décline en 1887 l’extension de 15 de ses sociétés 209 . Dans les deux cas la moyenne est nettement plus élevée qu’à la création (63 membres en 1883, 81 en 1887) mais ces chiffres masquent une profonde disparité.

En 1883, 6 sociétés, donc un quart du corpus, regroupent 60 % de l’effectif total, en 1887 le tiers des associations - 5 sur 15 - confisquent 70 % des adhérents 210 .

Ces groupements exclus, la moyenne s’abaisse aux deux dates à 35 sociétaires. C’est ainsi que se côtoient en 1883 le Touriste-club de Paris (10 membres) et le Véloce-club troyen (200 membres) ou, en 1887, le Club vélocipédique d’Orléans (15 membres) et le Véloce-club bordelais (300 membres). Pas plus que lors de la création ne se fait jour une différenciation en fonction de la population de la ville. Un seul exemple : en 1883 le chef-lieu du Lot, Agen, avec ses 18 000 habitants, compte deux sociétés fortes de 125 et 80 membres pendant que les quatre associations parisiennes ne totalisent que 68 membres. Une autre certitude : les sociétés présentées comme puissantes, celles de Pau, Bordeaux, Angers, Grenoble… appuient leur dynamisme sur un nombre important de sociétaires constitué en majorité par des membres honoraires : 153 sur 258 au Vélo-club grenoblois en 1884 211 , 253 sur 415 au Véloce-club bordelais en 1881 212 , 61 sur 91 au Sport vélocipédique de Bergerac en 1887 213 . Ce que traduit un rédacteur du Velocemandans une affirmation qui gagnerait à être nuancée : ‘“ Dans une société vélocipédique, il y a toujours la moitié, ou même les deux-tiers de cette société qui se compose de membres non-actifs, de gens qui n’ont aucun intérêt dans notre sport et qui sont membres d’un véloce-club sans savoir trop pourquoi ”’ 214 . En fait, la faculté de savoir attirer à elle des membres honoraires en grand nombre et donc une source de revenus non-négligeable influe grandement sur la bonne santé d’une association. M. Viallet, trésorier du Vélo-club grenoblois, ne s’y trompe pas au début de 1884 dans son exposé de la situation financière de la société qu’il conclut en adressant des remerciements aux ‘“ membres honoraires, qui par leurs généreuses cotisations, ont mis [le club] en situation de vivre et de prospérer ”’ ‘ 215 ’ ‘.’ Leur apport représente en effet le quart des recettes de l’exercice 1883, il passe même au tiers l’année suivante avec 1530F. sur 4624F 216 .

La typologie se doit d’être complétée par des groupements infimes qui pourtant se parent du nom de club. L’enquête uvéfiste de 1885 en fournit des exemples précis comme celui du Véloce-club d’Aire-sur-Adour : ‘“ Nous ne sommes à Aire que six vélocipédistes qui, malgré nos efforts, n’avons pu arriver à grouper un nombre d’individus suffisant pour nous constituer régulièrement en société ”’ ‘ 217 ’ ‘.’ Le Véloce-club de Gray élargit le propos : ‘“ La seule réponse au questionnaire que je puisse vous donner, et qui, sans doute, sera la même dans un grand nombre de réponses…, est celle-ci : les causes particulières qui tiennent notre club en dehors de l’Union, puisqu’il faut le dire, c’est que nous n’avons pas de club ”’ ‘ 218 ’ ‘.’ Et les initiateurs de cette consultation de conclure que nombre de créateurs de clubs ont pris “ leurs désirs pour des réalités ” et ont fondé “ une société sans en avoir les éléments ” 219 . La Légion vélocipédique du Mans, constituée en 1884 par le fils d’un commerçant aisé, Leguicheux, est typique de cette situation. Grâce à des signatures de complaisance de quelques amis, il obtient sans difficulté l’approbation préfectorale. Fort du blanc-seing officiel, s’appuyant sur la notoriété familiale, le fondateur se lance dans un ambitieux programme : achat de vélocipèdes, location d’un local, édition d’une revue et même édification d’un vélodrome 220 . En janvier, le titre de la société devient Légion vélocipédique internationale avec, selon Leguicheux, des correspondants ‘dans “ 55 villes importantes, disséminées dans le monde entier ”’ 221 . Finalement, au printemps, le jeune Manceau quitte la ville, probablement effrayé par les 4500F. de passif de l’association. Pour anecdotique et forcée que soit cette affaire, elle n’en est pas moins révélatrice du décalage qui existe entre les aspirations des passionnés de vélocipède et la société du temps encore très réticente à leur égard. Un véloce-club n’a de chance de réussir que si les membres “ montés ”, toujours en petit nombre - ils sont estimés en France à 5000 au début de 1888 - parviennent à agréger autour d’eux un bon noyau de sympathisants.

Un effectif élevé se justifie d’autant plus que beaucoup de membres s’impliquent peu dans la vie associative. À l’assemblée générale qui clôt la saison 1883 du Vélo-club grenoblois - les remarques seront les mêmes ou presque l’année suivante - le rapporteur requiert une plus grande assiduité car, en dehors du conseil d’administration et de quelques membres, ‘“ toujours les mêmes,… bon nombre de sociétaires ne paraissent jamais ou fort peu aux réunions ”’ 222 . Cette “ inconstance du zèle vélocipédique, ce défaut de dévouement à la cause commune ”, que stigmatise E. Dumolard est la cause première des dissolutions à l’instar de celle qui touche le Véloce-club rouennais en 1885 confronté ‘au “ peu d’empressement des membres de la société à assister à ces séances ’ 223 . Le cas est identique à Nancy mais ces deux clubs se réorganiseront en 1887. Face au même problème le Véloce-club béarnais le contourne et cherche à en atténuer les effets en décidant en août 1885 d’éditer mensuellement un bulletin officiel du club remis gratuitement à chaque sociétaire. Les membres qui ne fréquentent pas les séances y trouveront ‘“ un résumé des décisions prises par la société et des faits vélocipédiques survenus dans la région ”’ ‘ 224 ’ ‘.’ Son coût de 12F.50 par numéro est équilibré par des encarts publicitaires et la suppression de l’envoi des convocations. L’exemple pionnier de la société paloise est rapidement imité. Dès le mois suivant le Vélo-club grenoblois inaugure son organe officiel où figurent résumés des procès-verbaux, notification des candidatures, comptes rendus de courses, récits d’excursions, nouvelles vélocipédiques et ‘d’où “ les sujets de polémiques [sont] rigoureusement éliminés ”’ 225 .

Le désintérêt vis à vis de la marche de la société est d’autant plus dommageable qu’il s’accompagne et se nourrit d’un déficit de convivialité. Obnubilées qu’elles sont par l’organisation de réunions de courses aux résultats financiers aléatoires (cf. infra), les sociétés négligent de susciter les occasions de resserrer les liens amicaux entre leurs membres. Hormis le banquet annuel, du reste pas toujours organisé, les divertissements proposés se limitent à la conversation et à la lecture des journaux et revues vélocipédiques. Les comptes rendus d’activité mentionnent peu cet aspect de la vie associative, même au Véloce-club bordelais qui dispose pourtant, d’après son règlement intérieur, d’un siège social avec plusieurs salons dont un de lecture. Le zèle des sociétaires à se rencontrer hors de toute contrainte ne semble pas plus élevé qu’à assister aux réunions officielles. Les banquets ne groupent qu’une minorité. Le projet de création d’un cercle annexé au Vélo-club grenoblois est refusé au profit d’un cercle totalement indépendant 226 . Les partisans d’une convivialité nourrie font peu d’adeptes et au début de 1886 un rédacteur du Veloceman se demande ‘“ quel sera le premier club, en France, qui se décidera à se donner la peine d’organiser un premier smoking-concert ? ”’ à l’imitation de ceux que préparent les sociétés anglaises. Et d’ajouter des conseils pour organiser ces concerts à moindres frais 227 . En fait la majorité des cyclistes associatifs défendent une orientation étroitement sportive qu’ils n’entendent pas brouiller avec des manifestations à finalité spécifiquement conviviale. Il suffit pour s’en persuader de lire le texte de la conférence prononcée par M. Garsonnin le 31 mars 1888 à Tours, dans laquelle il ironise sur “ la campagne ” que le Vélo-sport de Marseille a acquise l’année précédente à Aubagne 228 . Selon la presse, l’inauguration de ce local d’été à laquelle est convié “ tout Aubagne ” regroupe plus de trois mille personnes 229 . La fête organisée en juillet 1884 en l’honneur de Pierre Rousset, président du Véloce-club bordelais, déroge aussi à la règle. Elle revêt un caractère exceptionnel avec banquet de cent couverts, lancement d’un ballon, feu d’artifice, illuminations et concert 230 .

Les règlements qui prévoient remontrances et amendes, forte autorité du président, restent trop souvent lettre-morte et masquent en réalité une discipline relâchée, dont “ une séance au Vélo-club d’Y,Z ”, saynète parue dans l’Almanach de la vélocipédie donne un exemple, on l’espère forcé. L’auteur y met en scène un président incapable de juguler propos oiseux, interruptions intempestives et même parties de dominos 231 . E. Dumolard le regrette et y voit l’effet ‘de “ notre tempérament français naturellement impatient de tout joug ”’ 232 . Qu’un bureau fasse preuve d’intransigeance et il risque de provoquer une scission fragilisante pour la société-mère comme pour le nouveau groupe. L’éclatement du Véloce-club réolais en 1881 - vingt-trois dissidents s’associent au sein du Sport vélocipédique réolais - aboutit à la disparition des deux groupes avant 1885. A Grenoble, fin 1886, le Vélo-club se scinde en trois sociétés concurrentes dont une ne dure qu’un an. La même année, la bipartition du Vélo-sport de Marseille repose sur un conflit de générations, les jeunes du club affirmant leur autonomie. Autre exemple, mais à motivation sociale, l’émancipation de quelques membres du Véloce-club de Rouen en 1870, pour constituer la société plus huppée de l’Union des velocemen de Normandie. A Lyon, la création du Club des cyclistes découle de l’exclusion de deux membres du Bicycle-club qui, en dépit de l’interdiction faite par ce club soucieux de ne pas mêler “ le véloce à des gens de foire ”, se sont alignés aux courses organisées par ‘“ un industriel,… M. Bargossi, coureur à pied [avec le concours] de saltimbanques […] les frères Richard, gymnasiarques ’ 233 . Le nouveau club lyonnais, après avoir végété, rejoint le giron du Bicycle-club cinq ans plus tard. En dehors du dommage causé aux associations elles-mêmes, ces querelles contribuent également à ternir l’image du cyclisme associatif aux yeux des autorités qu’il cherche pourtant à gagner à sa cause et dont il sollicite le soutien financier.

Les clubs vélocipédiques se tournent d’abord vers les municipalités. En effet, les conseils généraux, quand ils sont invités à participer pécuniairement, se bornent à assurer les quémandeurs de l’intérêt qu’ils portent à leurs courses avant de refuser l’aide escomptée. La réponse des assemblées communales est en revanche assez souvent favorable, même si joue contre les cyclistes associatifs l’idée communément admise, et dont se fait l’écho un conseiller municipal de Bayonne en 1886, selon ‘laquelle “ il n’y a que les riches qui ont des vélocipèdes ”’ 234 . L’octroi des subventions n’est pas automatique. La requête doit porter sur une manifestation d’importance au regard de la localité : dans les grandes villes, des courses internationales s’imposent, dans les plus petites des courses régionales suffisent. Autre condition, que la demande ne se renouvelle pas au cours de l’année. Aussi le Vélo-club grenoblois, en 1882, néglige ses courses de printemps et sollicite une aide pour celles qu’il donne du 13 au 15 août avec un championnat de France au programme. L’argumentaire que développent alors les cyclistes de la métropole alpine 235 reprend les thèmes communément avancés par leurs collègues d’autres localités. La requête souligne en effet :

Ce faisant, elle vise à activer l’amour-propre d’édiles soucieux de l’image de leur ville et à convaincre les élus que leur notoriété en sortira grandie. Dans ce cas, l’objectif est atteint puisque le vœu des demandeurs est exaucé à hauteur de 500F. La municipalité d’Angers accorde la même somme à son véloce-club au début des années 1880 avant de la porter à 700F. en 1885 236 . Les subventions atteignent rarement ce niveau et se limitent plutôt à 200 F. comme à Rouen, voire à 100F. à Troyes, sauf en 1883 où, la ville accueillant un concours régional, consacre 1000F. aux courses vélocipédiques 237 , et même une simple médaille d’or à Bordeaux 238 . Quoiqu’il en soit les crédits ne sont en aucun cas reconduits automatiquement. Leur attribution est ponctuelle et à chaque fois remise en cause. C’est le cas à Bordeaux en 1882 239 et à Rouen où la ville, “ tout en rendant justice à l’habileté et à la grâce déployées dans ces exercices par les membres du Véloce-club ”  refuse en 1884 l’aide demandée, car “ cette société ne présente pas un caractère suffisant d’utilité publique ” 240 . Même si les cyclistes affirment que leur discipline ‘est “ une gymnastique nationale digne des patriotes tout comme une autre ”’ 241 , la différence de traitement est nettement accusée avec les sociétés de gymnastique qui peuvent se prévaloir de leur caractère patriotique reconnu pour prétendre à un soutien plus accentué et plus continu.

La fragilité des clubs vélocipédiques est donc pour une part liée à la relative réticence des autorités à les subventionner, relative réticence qui s’ajoute ainsi aux autres handicaps que sont la faiblesse des effectifs, un investissement limité des membres, une action trop étroitement sportive et des querelles intestines. Face à ces problèmes internes, les sociétés s’engageront-elles avec fermeté dans la voie de la cohésion, dont la création de l’Union vélocipédique de France est le symbole, pour trouver des réponses à leur vulnérabilité ?

Notes
193.

Ce n’est qu’après coup, à l’occasion de la reconstitution de la société, que les autorités préfectorales sont informées de la dissolution. Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 4M 862, Lettre au préfet, 19 mars 1886.

194.

Arch. dép. Eure, 4M 192, Lettre au préfet, juin 1886.

195.

Arch. dép. Rhône, 4M 605, Témoignage de 1884.

196.

Sont dans ce cas : Ay, Besançon, Bordeaux, Dieppe, Le Havre, Lyon, Marseille, Paris, Reims, Rennes, La Roche-sur-Yon, Rouen, Toulouse et Tours.

197.

Arch. dép. Haute-Garonne, 13M 85, Demande d’autorisation, novembre 1873. La filiation de la société de 1873 avec celle de 1869 est attestée par la présence du président, Auguste Fumel, et de trois autres dirigeants dans l’effectif du véloce-club initial ainsi que par la permanence du siège social au gymnase Léotard.

198.

Arch. dép. Marne, 87M 8, Lettre au préfet, 11 juillet 1888.

199.

Pour la première fois l’édition de 1890 de l’Annuaire statistique et commercial de Tours et du département d’Indre-et-Loire, Tours, Deslis, dans l’habituelle notice consacrée au Véloce-club – l’éditeur est adhérent à la société – rappelle d’abord la fondation en 1868 de la Société vélocipédique de Tours qui n’eut “ un succès que de courte durée ”, puis affirme, sans autre précision, “ vers1881, la société se reforme et prend le nom de Véloce-club de Tours ”.

200.

La filiation entre les deux sociétés n’est avancée qu’à partir de 1897 (!), lors d’une demande de subvention et alors qu’à la suite d’une fusion, l’association prend le nom de Vélo-cycle rennais. Arch. mun. Rennes, R 103. Le Vélo-cycle fête son 30ème anniversaire, avec dix ans d’avance, en 1899.

201.

Un article de Lyon-Sport du 1er avril 1899 présente le Bicycle-club constitué en 1880 comme l’héritier du Vélo-club de 1869 avec lequel il aurait fusionné “ par la suite ”. Au-delà du flou qui entoure ce prétendu regroupement, l’article de référence perd beaucoup de sa crédibilité en affirmant que la course lyonnaise du 8 mai 1870 “ fut la première course vélocipédique donnée en France ”. La recherche de l’exceptionnel passe bien souvent, dans la presse sportive de l’époque, avant celle de l’exactitude des faits rapportés.

202.

En 1882, la Société rouennaise de vélocipédistes, deux ans après sa création, se rebaptise Véloce-club rouennais, nom de la société fondée en 1869. Le lien entre les deux n’est pas alors revendiqué, il le sera à l’occasion d’une modification de statuts en 1891 et C. Petiton, dans la brochure qu’il rédige en 1896, confirme l’assertion en précisant qu’en 1882 la caisse s’enrichit de “ 800 F. du premier V.C.R., remis par M. Collignon, vice-président en 1871, sur l’engagement pris d’organiser des courses ”. PETITON C. : Histoire du Véloce-club…, op. cit., p. 20.

203.

Liste parue dans Le Sport vélocipédique du 1er mai 1885 à l’occasion d’une enquête menée par l’U.V.F. auprès des sociétés non-fédérées, alors au nombre de 48.

204.

A partir d’un corpus de 297 associations gymnastiques ou sportives civiles du département du Rhône, Pierre Arnaud arrive à la conclusion que dans plus d’un cas sur deux la durée de vie associative est inférieure ou égale à cinq ans. ARNAUD P. : “ Le sport en marge… ”, art. cit., pp. 112-117.

205.

SERAY J. : Deux roues…, op. cit., p. 110.

206.

Le Véloce-club reprend ses réunions en mai et organise le 17 septembre 1871 une course de Rouen à la Bouille. PETITON C. : Histoire du Véloce-club…, op. cit., p.17.

207.

À noter cependant que la disparition du Cosmopolite-véloce-club de St-Pierre-les Calais résulte essentiellement de la décision municipale de gravillonner les allées du parc qui prive les cyclistes de leur lieu d’entraînement et de courses. GÉBERT et FORESTIER : Almanach de la vélocipédie illustée pour 1885, Rouen, impr. Blondel, 1885, p. 26.

208.

BARONCELLI A. de : L’Annuaire de la vélocipédie pratique, 1883-1884, Paris, A. de Baroncelli, 1883, pp. 87-103.

209.

Le Véloce-sport et le Veloceman, 17 février 1887.

210.
Tableau 11. : L’effectif des sociétés en 1883 et 1887.

<21 mbres21 à 30 mbres31 à 50 mbres51 à 100 mbres>100 mbresTotal des sociétés1883455362318872341515Sources : BARONCELLI A. de : L’annuaire de la vélocipédie…, op. cit., pp. 87-103 et Le Véloce-Sport et le Veloceman, 17 février 1887.

Les 6 sociétés dépassant 100 membres en 1883 sont le Sport vélocipédique agenais (185), le Véloce-club angevin (110), le Véloce-club bordelais (150), le Vélo-club grenoblois (122), le Club des cyclistes de Lyon (150) et le Véloce-club troyen (200).

Les 5 sociétés affiliées à l’U.V.F. dépassant 100 membres en 1887 sont le Véloce-club agenais (151), le Sport vélocipédique de Bergerac (155), le Véloce-club bordelais (300), le Vélo-club grenoblois (152) et le Vélo-club béarnais (107). Le Véloce-club angevin n’est pas affilié à l’U.V.F.

211.

Le Sport vélocipédique, 8 novembre 1884.

212.

BELLIARD G. : Le livre d’or du cyclisme girondin, Bordeaux, Comité départemental de la Gironde, Union vélocipédique de France, 1934, p. 13.

213.

Le Véloce-sport et le Veloceman, 16 février 1888, Compte rendu de l’année 1887.

214.

Le Veloceman, 1er janvier 1886.

215.

Le Sport vélocipédique, 2 février 1884.

216.

Le Sport vélocipédique, 23 janvier 1885.

217.

Le Sport vélocipédique, 8 mai 1885.

218.

Ibid.

219.

Le Sport vélocipédique, 15 mai 1885.

220.

POYER A . : “ Quelques aspects des sociétés vélocipédiques de la ville du Mans avant 1914 ”, Info-vélocithèque, n° 30, nov. 1997, p. 6.

221.

Le Veloceman, 15 janvier 1885. Le journaliste qui relate la correspondance reçue ajoute : “ le but proposé nous paraît excellent ; mais avant d’exhorter nos lecteurs à faire adhésion à ce Cycliste-Touring-club français, nous serions bien aise de connaître les statuts, les actions et de plus amples détails sur l’entreprise de cette société de formation récente ”. Par ailleurs des articles concernant cette société paraissent dans le Sport vélocipédique, les 15 et 22 novembre 1884 et le 9 janvier 1885.

222.

Le Véloce-sport, mai 1888, Bulletin officiel de l’U.V.F.

223.

Le Sport vélocipédique, 2 février 1884.

224.

Le Sport vélocipédique, 28 août 1885.

225.

Le Sport vélocipédique, 11 septembre 1885.

226.

Le Sport vélocipédique, 22 décembre 1883.

227.

Le Veloceman, 1er janvier 1886. L’article recommande de solliciter des membres du club, les sociétés musicales et de prévoir “ un panier ou deux de champagne, un punch et des cigares ”.

228.

GARSONNIN : Conférence sur la vélocipédie…, op. cit., p. 17. La “ campagne ” dispose d’un poste pour le tir aux oiseaux et d’une “ bastide où l’on se régale, entre Marseillais, le dimanche, de bouillabaisse ”. Sur cette tradition des bastides marseillaises cf. BEUNARD B. : “ La plaisance et les régates à Marseille au 19ème siècle. Histoire locale d’une pratique sportive ”, in TERRET T. (sous la dir. de) : Histoire des sports, op. cit., p. 221.

229.

Le Véloce-sport et le Veloceman, 23 juillet 1887, qui reprend des articles parus dans Le Petit Provençal de Marseille et L’Avenir d’Aubagne.

230.

Le Sport vélocipédique, 19 juillet 1884.

231.

GÉBERT et FORESTIER : Almanach de la vélocipédie illustrée pour 1884, op., cit., pp. 65-78.

232.

Le Sport vélocipédique, 18 décembre 1885.

233.

Le Sport vélocipédique, 3 mars 1881.

234.

Arch. mun. Bayonne, 1D 33, Séance du 12 juin 1886, cité dans SUTEAU L. : La vie sportive…, op. cit., p. 90.

235.

Cf. annexe doc. A 2 : Demande de subvention adressée au maire de Grenoble par le Vélo-club grenoblois, 1er août 1882. Arch. mun. Grenoble, 3R 29.

236.

Arch. mun. Angers, Registres des procès-verbaux du conseil municipal, 1885.

237.

Arch. mun. Troyes, R 905.

238.

Arch. mun. Bordeaux, 1817 R 11. Le cas se produit à plusieurs reprises entre 1883 et 1885.

239.

Ibid. Non contente de refuser la subvention, la municipalité exige le versement de la moitié du bénéfice aux pauvres de la ville contre la mise à disposition du Parc bordelais.

240.

Arch. dép. Seine-Maritime, 5T 15.

241.

Le Sport Vélocipédique, 23 août 1884.