2-2. Fondation de l’U.V.F.

Selon Louis d’Iriart d’Etchepare “ l’idée mère ” 243 revient à Henri Pagis, qui, dès 1876, alors que “ le vélocipédiste était voué au ridicule ”, cherche à grouper les éléments dispersés de la capitale au sein de l’Union vélocipédique parisienne. Toutefois si Henri Pagis milite précocement en faveur de l’union, son action se restreint à la capitale et quatre ans plus tard, en 1880, alors que l’U.V.P. a disparu, il n’initie pas le processus qui conduira au congrès fondateur de l’U.V.F. le 6 février 1881. Le Cosmopolite Véloce-club de St-Pierre-les-Calais et Paul Devillers, rédacteur en chef du Sport vélocipédique, portent le projet : l’un rédige et envoie une circulaire invitant les clubs à se rencontrer, l’autre reprend le document dans les colonnes de sa revue le 9 décembre 1880.

Le dessein fédérateur du congrès projeté repose d’abord sur la volonté de légitimer, d’organiser et de dynamiser la vélocipédie française, mais aussi sur le désir de nouer des liens plus étroits avec l’Angleterre et les Etats Unis, les deux nations dominantes de la vélocipédie d’alors, déjà pourvues de groupements nationaux. Outre-Manche, en 1878, la formation le 16 février de la Bicycle Union (B.U.) - elle se mue ensuite en National Cyclist’s Union (N.C.U.) et s’oriente vers la compétition - précède de six mois celle du Bicycle Touring-club (B.T.C.) 244 , à vocation touristique. Il est rebaptisé Cyclist’s Touring-club (C.T.C.) en 1883 lorsqu’y furent admis les tricyclistes. Outre-Atlantique, la League of American Wheelmen (L.A.W.) sort des limbes à la suite d’un grand rassemblement organisé à l’occasion du Memorial Day 245 (30 mai), en 1880. Ces trois groupements prospèrent rapidement : le B.T.C. compte 2629 membres en juillet 1880 246 , plus de 3000 début 81. A la même date la B.U. est forte d’au moins 1500 sociétaire et la L.A.W. de plus de 900 adhérents 247 .

L’alignement structurel sur les pays anglo-saxons doit-il se doubler de l’adoption de leurs critères de classification des coureurs ? La question figure à l’ordre du jour du congrès et elle est primordiale. De sa réponse découle la possibilité ou non de compétitions internationales. En effet, un amateurisme intransigeant - il interdit tout gain en argent et aussi toute confrontation avec un professionnel - règne en maître en Angleterre et aux Etats Unis et contraint les coureurs de ces deux nations, sous peine de disqualification, à ne courir que contre des amateurs “ purs ”. Les clubs du nord de la France - ils comptent souvent dans leurs rangs des ressortissants britanniques - soutiennent la conception anglaise. Ceux du sud en préfèrent une autre qui “ s’adapte mieux à nos mœurs égalitaires et républicaines ” 248 . Ils s’opposent à la vision aristocratique d’un sport réservé aux élites et admettent que l’amateur reçoive des prix en espèces à condition qu’il ne fasse pas de la course son métier.

Pour débattre de cette question et fonder un organisme de coordination au plan national, douze sociétés vélocipédiques répondent à l’appel lancé :

  • le Cosmopolite Véloce-club de St-Pierre-les-Calais représenté par M. Bertrand, son président,
  • le Vélocipède-club dieppois représenté par M. Hoffmann, son secrétaire,
  • le Bicycle-club de Lyon représenté par M. Varlet, son président,
  • le Véloce-club de Montdidier représenté par M. Poulain,
  • le British-residents-bicycle-club de Paris représenté par M. Hoffmann (V.C. dieppois),
  • le Cercle vélocipédique de France représenté par M. Clément, son trésorier,
  • le Sport vélocipédique parisien représenté par M. Devillers, son président,
  • le Vélo-sport de Paris représenté par le baron de Graffenried, son président,
  • le Véloce-club réolais représenté par M. Viltard, secrétaire du Cercle vélocipédique de France,
  • la Société rouennaise de vélocipédistes représentée par M. Loisel, son secrétaire,
  • le Véloce-club de Saumur représenté par M. Bouvier, son président,
  • le Véloce-club de Tournus représenté par M. Varlet (B.C. de Lyon).

Au vu de la liste, l’assemblée reflète imparfaitement la réalité du réseau associatif de l’Hexagone. La France du Nord, que favorise le choix de la capitale comme lieu de rencontre, est surreprésentée avec quatre clubs de Paris et quatre autres de Calais, Dieppe, Rouen et Montdidier (Somme). Deux de l’Est (Tournus et Lyon), un de l’Ouest (Saumur) et un du Sud-Ouest (La Réole, d’ailleurs représenté par un Parisien) complètent le cénacle. Manquent à l’appel plusieurs associations puissantes comme celles d’Angers, de Bordeaux, de Marseille ou de Grenoble.

Les dix délégués se réunissent au siège social du Cercle vélocipédique de France, au premier étage du café Marengo, rue du même nom, à deux pas du Louvre et du Palais Royal, dans le premier arrondissement parisien. La séance s’ouvre sur la définition à donner au terme “ amateur ”. La version de M. Hoffmann qui reprend la formulation adoptée par la Bicycle Union remporte les suffrages face à celle de M. Devillers 249 . Toutefois, alors que les Anglais s’y refusent, les congressistes votent une amnistie complète pour les faits de professionnalisme antérieurs au 6 février (“ enfreint ” est préféré à “ a enfreint ” à l’alinéa 3) et suppriment le paragraphe qui intègre aux professionnels ceux qui donnent des leçons de vélocipède contre rétribution. Le libellé définitif est alors le suivant :

‘“ Est Professionnel :’
  1. Celui qui court pour de l’argent ;
  2. Celui qui prend part à des courses où la définition d’un “ amateur ” de l’Union Vélocipédique de France n’est pas observée ;
  3. Celui qui enfreint en pays étranger, à partir de la fondation de l’Union Vélocipédique de France, la définition du mot “ amateur ” adoptée par l’Union de ce pays ;
  4. Celui qui fait des tours d’adresse en public, pour de l’argent ;
  5. Celui qui court avec un professionnel (tel qu’il est décrit dans les 4 paragraphes ci-dessus), sauf dans un cas spécialement autorisé par l’Union Vélocipédique de France (ou son bureau).
‘Cette définition n’a pas d’effet rétroactif.
Est Amateur :
Celui qui n’est pas compris dans un des cinq cas de la précédente définition ”. 250

Les délégués décident alors qu’il y a lieu de fonder l’U.V.F. et consacrent l’après-midi à l’élaboration des statuts. L’Union, uniquement constituée d’amateurs, s’arroge le contrôle de l’ensemble du champ de la pratique vélocipédique, incluant à la fois compétition et tourisme. Un code de courses est élaboré, un véritable championnat de France institué car celui organisé en 1880, sans consultation des autres associations, par le seul Sport vélocipédique parisien avait soulevé de nombreuses contestations 251 .

Au plan touristique, l’U.V.F. copie le B.T.C. et se dote d’un personnel bénévole - les chefs-consuls au niveau d’un département, les consuls dans les villes importantes - chargé de renseigner les cyclistes en voyage sur l’état des routes, leur profil, leur distance, les curiosités dignes d’intérêt, l’hébergement… et, spécialement pour les chefs-consuls, de transmettre au président un rapport trimestriel de l’évolution de la vélocipédie dans les limites de leur ressort. Guide du touriste, le personnel consulaire est aussi l’œil du comité dans sa région.

L’U.V.F. affirme son existence par l’adoption d’un insigne obligatoire‘, “ un écusson émaillé  aux couleurs nationales sur lequel les lettres U.V.F. se détachent en or ”’ mais laisse le port de l’uniforme facultatif. De couleur bleue foncée, il se compose ‘“ d’un veston, d’une culotte, de bas et d’une casquette de chasse à deux visières ”’ 252 .

Enfin l’administration de l’Union est confiée à un comité composé de tous les présidents de clubs affiliés qui délègue ses pouvoirs à un bureau exécutif réuni chaque mois, aux attributions restreintes, soumis qu’il est au contrôle du congrès annuel des délégués des associations, détenteur exclusif du pouvoir décisionnel.

La séance s’achève après sept heures de débats par la nomination des membres du bureau : trois Parisiens occupent les postes de président (P. Devillers), secrétaire de bureau (Hénon, président du C.V.F.) et trésorier (Viltard), deux provinciaux sont élus vice-président (Varlet) et secrétaire de correspondance (Hoffmann). Au banquet de clôture, “ dans les vastes et splendides salons du restaurant Douix ”, le toast de Paul Devillers, empreint du climat de la journée, appelle à “ l’union des velocemen du monde entier, à l’union des Français, des Anglais et des Américains ” 253 . Reste à faire vivre l’U.V.F.

Notes
243.

IRIART D’ETCHEPARE L. d’: Historique de l’Union vélocipédique de France, Bordeaux, impr. Gounouilhou, 1893, p. 6. La réunion se tient le 30 décembre au café Vercingétorix, rue de Rennes.

244.

Le Bicycle Touring-club naît le 5 août à Harrogate lord d’un meeting organisé à l’initiative de Stanley J.A. Cotterell et auquel participent une cinquantaine de bicyclistes. Cf. A’GREEN G : This great club of ours, the story of the C.T.C., Londres, Cyclist’s Touring club, 1953, pp. 4-10 et OAKLEY W.: Winged wheel, the history of the first hundred years of the C.T.C., Godalming, Cyclist’s Touring club, 1977, pp. 3-4.

245.

DODGE P. : La grande histoire…, op. cit ., p. 82. Le promoteur de la manifestation, Charles Pratt, rédacteur en chef du magazine Bicycling World, devient le premier président de la L.A.W.

246.

OAKLEY W. : Winged wheel…, op. cit., p. 5.

247.

Le Sport vélocipédique, 2 avril 1881. Circulaire de l’U.V.F. “À Messieurs les présidents des véloce-clubs ”.

248.

Le Sport vélocipédique, 24 juin 1880. Extrait d’un article “ L’amateur en question ” qui fait suite à la décision du Cosmopolite-Véloce-club de St-Pierre-les-Calais de réserver ses courses aux amateurs, décision en grande partie à l’origine du débat et donc de la tenue du congrès.

249.

P. Devillers reprend la définition qu’il avait inscrite à l’article 34 de son projet de statuts paru les 9 et 23 décembre 1880, 6 et 20 janvier 1881 dans le Sport vélocipédique :

“ Un amateur est celui qui ne fait pas métier de courir et qui se conforme, en pays étrangers, aux règles établies pour les amateurs de la B.U. du pays.

Est considéré comme ne vivant pas exclusivement du produit des courses, tout amateur qui se contente de gagner annuellement, en espèces, une somme ne dépassant pas 2000 francs.

Cette définition n’a pas d’effet rétroactif ”.

250.

Article 16 des “ statuts et règlements adoptés par le Congrès tenu à Paris le 6 février 1881 ”, Le Sport vélocipédique, supplément du 19 mars 1881.

251.

Cette épreuve, organisée le 5 septembre 1880 à Charenton et remportée par F. de Civry n’est pas reconnue par le Cosmopolite-Véloce-club de St-Pierre-les-Calais au motif que les sociétés de province, prévenues trop tardivement, n’ont pas pu y prendre part ; ce qui renforce le club dans sa volonté de proposer un congrès. Le Sport vélocipédique, 14 octobre 1880. Un autre pseudo-championnat de France s’était couru aux Tuileries, en 1876, sous l’égide du Vélo-sport parisien. Son vainqueur en est l’Anglais James Moore “ demeuré à peu près imbattable de 1868 à 1877 ”. DURRY J. : L’en-cycle-opédie…, op. cit., p. 174.

252.

Article 18 des “ Statuts et règlements adoptés par le congrès tenu à Paris le 6 février 1881 ”.

253.

Le sport vélocipédique, 17 février 1881.