2-3. Les succès de l’U.V.F.

Premier indice de réussite, le plus banal : l’Union , en un temps de pérennité aléatoire des associations, présente une existence continue. Conformément aux statuts, les délégués des sociétés affiliées se rencontrent chaque année en un congrès à l’occasion du championnat de France. Le premier se tient à Paris le 25 septembre 1881. Ensuite la puissance des groupements provinciaux face à leurs homologues de la capitale s’inscrit dans une réelle décentralisation : des six assemblées qui se succèdent de 1882 à 1887, quatre ont pour cadre une ville de province : Grenoble (1882), Agen (1883), Bordeaux (1885) et Pau (1887). 254 Les débats, parfaite illustration de la démocratie en action, y sont passionnés et à trois reprises (1882,1885 et 1887) la réunion se prolonge sur deux jours. Après les traditionnelles vérifications de pouvoirs des délégués, élections du bureau du congrès, rapports moraux et exposés de la situation financière, et avant la nomination des membres délégués à l’administration, s’intercale la discussion de nombreuses propositions : déjà treize en 1883, plus de trente en 1885 et cinquante-sept en 1887. A leur propos, le vote d’abord garant de l’égalité entre les clubs quelle que soit leur importance (1 club = 1 voix) adopte à partir de 1883 le mode proportionnel 255 .

A partir de 1883, le comité exécutif disparaît et le bureau exécutif maintenant désigné à la majorité des voix, au congrès annuel, hérite de l’appellation. Son effectif s’étoffe peu à peu avec l’adjonction d’un second vice-président et d’un consul général (1885) puis de membres honoraires (président et vice-président en 1886, seulement vice-président en 1887). Les nominations révèlent un double souci : maintenir un équilibre entre la province et Paris (respectivement 23 et 26 titulaires) et s’assurer de l’efficacité de l’action - les provinciaux trustent les postes les plus représentatifs (18 présidences ou vice-

présidences, actives et honoraires, sur 22), les Parisiens les fonctions de secrétaire ou trésorier (22 mandats sur 24 dont 20 pour la seule Société vélocipédique métropolitaine) 256 .

La présidence, après le passage éclair de P. Devillers (février-septembre 1881), revient au Lyonnais E. Varlet (1881-1885), au Palois, le baron Séguier, (1885-1886 et 1887-1888) et au Montpelliérain J. Messine (1886-1887). Toutefois il convient de chercher ailleurs les dirigeants unionistes les plus influents. Trois personnalités se détachent : H. Pagis, actif secrétaire de 1882 à 1887, L.Viltard, inamovible trésorier depuis la création et surtout le bouillant et autoritaire E. Dumolard, vice-président de 1883 à 1885 et qui refuse à deux reprises (1885 et 1886) la présidence. Il en assure seulement l’intérim entre la démission d’E. Varlet intervenue au début de 1885 et l’assemblée de Bordeaux.

Le renouvellement du comité, la tenue régulière des congrès, les débats démocratiques qui s’y tiennent, source d’une constante évolution des statuts, attestent de la vitalité de l’Union. Toutefois, aux yeux du monde vélocipédique, son principal succès tient à sa gestion, certes encore embryonnaire, mais de plus en plus efficace du secteur compétitif.

La classification des coureurs adoptée au congrès fondateur entraîne une vive campagne de protestations menée par diverses personnalités tel H. Pagis dans les colonnes de la Revue des Sports, Léon Saint-Faust, président du Véloce-club réolais, dans celles du Sport vélocipédique, ou encore Albert Bouvier, président du Véloce-club de Saumur, qui

estime que ‘“ les clubs du nord ont enlevé d’assaut la question amateur ”’ ‘ 257 ’ ‘.’ L’assemblée suivante se penche à nouveau sur le problème et infléchit la première décision. En effet si le terme “ amateur ” est conservé pour désigner les compétiteurs unionistes, une partition est instaurée entre des amateurs de première série qui se disputent médailles et objets d’art et peuvent concourir au niveau international et des amateurs de deuxième série qui courent pour des prix en espèces mais sans pour autant “ vivre du véloce ”. Selon le chroniqueur d’Herville du Sport vélocipédique, l’U.V.F. échappe ‘ainsi “ aux ravages de ce nouveau phylloxéra ”’ 258 qu’est l’amateurisme à l’anglo-saxonne. Toutefois les tensions persistent et en 1882, à Grenoble, les délégués - surtout des méridionaux - ont le mérite de trancher nettement. Ils abandonnent le principe de classification en fonction des prix perçus et lui substituent un nouveau critère de distinction : les qualités physiques. Le comité exécutif reçoit la mission de répartir les coureurs entre “ seniors ” et “ juniors ” qui, tous, peuvent prétendre à n’importe quel type de récompense. Un vélocipédiste débutant entre dans la dernière catégorie et y reste au moins un an. Il sera ensuite “ déclassé ” c’est-à-dire intégré au groupe supérieur si ‘“ sa force, d’après ses performances publiques, est reconnue égale à la moyenne de celle des seniors ”’ ‘ 259 ’ ‘.’ Le cheminement inverse est impossible. Le climat qui entoure les courses s’apaise.

Le congrès de 1883 juge alors nécessaire de fixer plus précisément les modalités des compétitions et demande à H. Pagis de rédiger un nouveau code des courses. Avec ses soixante-dix-huit articles il remplace avantageusement celui, beaucoup plus succinct - dix-neuf articles -, élaboré par Hoffmann et joint aux statuts initiaux. Le nouveau texte induit une formalisation poussée de la pratique autour de trois grands axes :

Ces diverses dispositions devenues obligatoires pour les sociétés unionistes empiètent peu sur leurs prérogatives. Elles leur laissent l’essentiel de la responsabilité.

Figure 3. : Henri Pagis.
Figure 4. : Ernest Dumolard.

L’instance centrale, avant tout autorité morale, n’a d’autre pouvoir que la classification des coureurs et la possibilité d’étendre l’exclusion d’un coureur à toutes les réunions courues sous les règles de l’U.V.F., mais seulement à la demande de la société qui a prononcé cette peine. S’y ajoute, en 1885, le dépôt auprès de l’U.V.F. des couleurs sous lesquelles se présentent les coureurs. La réglementation nouvelle reçoit un accueil favorable et renforce d’autant plus la notoriété et l’influence de la fédération que certains clubs non-affiliés s’en inspirent.

Le code des records rédigé par E. Dumolard, sur la sollicitation également du congrès de 1883, s’inspire du même travail réalisé par A. Berthoin, capitaine du Vélo-club grenoblois 260 . Pour l’heure, les prescriptions ne concernent que des tentatives sur route, sur des distances d’au moins 50 kilomètres. L’homologation appartient au comité de l’Union appelé à statuer au vu du tableau remis par le prétendant, des procès-verbaux de départ et d’arrivée ainsi que des diverses attestations réunies au cours du trajet 261 . M. Jacquot le remanie et le complète en 1886 262 .

L’aménagement d’un calendrier plus dense d’épreuves nationales prolonge cette institutionnalisation des pratiques. Le championnat de France initial, une course de vitesse (10 km.) pour bicycles, coexiste, à partir de 1884, avec un championnat de vitesse pour tricycles (5 km.) 263 et “ deux courses annuelles des juniors ”, vitesse bicycles et vitesse tricycles, sur les mêmes distances que les seniors 264 . À partir de l’année suivante, sont décernés des titres de champion de fond bi et tri seniors sur respectivement 100 et 50 km. Par contre la tentative des “ grands prix nationaux ”, réservés aux Français 265 , tourne court. Institués en 1885, ils ne connaîtront qu’une édition et encore tronquée, après l’annulation de l’épreuve pour bicycles. En dépit de demandes réitérées de la part des Parisiens qui avancent que les championnats des autres sports se déroulent dans la capitale, le congrès accorde majoritairement les épreuves à des sociétés de province. Sur 27 disputées jusqu’en 1887, 6 seulement ont lieu à Paris alors que le sud-ouest s’en adjuge 16 (6 pour Bordeaux, 5 pour Agen, 2 pour Cognac et Montpellier et 1 pour Miramont). Les cinq dernières se répartissent entre Lyon, 2 épreuves, et Grenoble, 3. L’U. V. F. ne se contente pas de désigner les organisateurs, elle fixe également les distances des diverses épreuves ainsi que le montant des prix à allouer 266 . En 1886, elle s’implique jusqu’à solliciter, à l’occasion du championnat de fond bicycle disputé à Longchamp, une aide du ministère de la guerre. Demande qu’agrée le général Boulanger. Il attribue une somme de 150 F. dans le but d’être ‘“ affectée à l’achat d’un objet d’art qui devra être décerné comme prix, et en [son] nom, au gagnant de la course ”’ ‘ 267 ’ ‘.’ Ce don se veut une marque de reconnaissance pour le concours que l’U.V.F. a prêté à l’armée au cours des grandes manœuvres du 18ème corps.

En effet, dans le climat de fort patriotisme ambiant, les dirigeants uvéfistes, désireux de gagner les faveurs du gouvernement, au même titre que l’Union des sociétés de gymnastique de France, tentent, à partir de 1885, de pousser à l’emploi du vélocipède dans l’armée. Par cette démarche l’U.V.F. innove doublement puisque d’une part aucun document n’atteste de rapports entre l’Union et les autorités gouvernementales depuis sa demande d’autorisation de fonctionner transmise au ministère de l’intérieur le 15 juillet 1881 268 , et d’autre part la vélocipédie militaire n’a été jusque là l’objet que de quelques velléités. Les premières traces datent de la fin du second empire. Le Vélocipède illustré y consacre alors quelques articles vantant les services que l’engin, par sa rapidité, peut rendre en temps de guerre et encourageant son expérimentation lors des manœuvres 269  ; mais aucun écho officiel ne répond à ces vœux. Quinze ans plus tard les contacts que prend H. Pagis avec les bureaux du ministère débouchent sur une audience avec le chef de cabinet du ministre de la guerre avec lequel il s’entretient d’un service vélocipédique dans l’armée 270 . Fort de ce succès, révélateur d’une évolution favorable au vélocipède au sein de la hiérarchie militaire, H.Pagis offre, au mois d’août suivant, de mettre à disposition de l’armée des cyclistes expérimentés afin de prouver les qualités du bicycle et du tricycle comme moyen de transmission des dépêches. Le ministère répond favorablement et demande à l’U.V.F. de désigner quatre personnes pour participer aux grandes manœuvres du 18ème corps. Finalement le groupe cycliste se compose de huit unités désignées, après appel aux sociétés affiliées, par le comité exécutif 271 . Les résultats enregistrés encouragent le congrès de fin d’année (Pau, 16 octobre 1886) à créer une commission militaire de trois membres (H.Pagis, P. Rousset de Bordeaux et Payet de Lyon) chargée de fournir tous les renseignements dont le ministère pourrait avoir besoin pour l’organisation de la vélocipédie militaire. Mais afin d’établir un contact plus étroit avec l’ensemble des responsables de l’armée, la commission est remplacée dès 1887 par des délégués commis auprès de chaque commandant de corps d’armée. De plus le comité exécutif institue dans sa séance du 13 avril 1887 un contrôle militaire des membres de l’Union dont les éléments seront fournis par les sociétés et qui consistent en un état détaillé portant les noms, prénoms, adresses des membres montés, le genre de machine qu’ils possèdent et leur situation vis à vis de l’armée (active ou territoriale). Et des projets de fleurir : ainsi le tout nouveau secrétaire-adjoint, P. Bergelin, imagine que “ deux ou trois hommes spéciaux ” (des cyclistes uvéfistes) aillent former à l’École normale de gymnastique de Joinville des moniteurs capables ensuite de faire à leur tour des élèves 272 . La participation renouvelée aux manœuvres de 1887 entretient l’optimisme des dirigeants qui se prennent à rêver d’une prochaine reconnaissance d’utilité publique de l’U.V.F.

Notes
254.

Cf. annexe stat. D4 : les congrès de l’U.V.F. (1881-1913). Liste.

255.

Le nombre de voix varie d’abord, de 1883 à 1885, en fonction de la cotisation globale versée : une voix pour 100 F., une voix supplémentaire, avec un maximum de trois, par tranche de 50 F. – de 1883 à 1885 – puis relativement au nombre de sociétaires : une voix pour 100 membres et une en plus par groupe de 50 avec toujours un maximum de trois.

256.
Tableau 12. : Répartition entre Paris et la province des postes au sein du comité exécutif de l’U.V.F. (1881-1887).

ProvinceParisPrésidents71Vice-présidents83P. etV-P. honoraires30Secrétaires08Secrétaires adjoints26Trésoriers08Consuls généraux30Total2326Source : Annuaire de l’U.V.F., Paris, U.V.F., 1895, pp. 91-92.

257.

Le Sport vélocipédique, 2 avril 1881. Beaucoup de clubs, craignant que les coureurs ne se déplacent plus, passent outre à la décision du 6 février. Aussi la première circulaire du 16 février du bureau exécutif encourage-t-elle au paiement des frais de déplacement.

258.

Le Sport vélocipédique, 29 octobre 1881.

259.

Article 9 du règlement des courses rédigé par H. Pagis (cf. infra) et promulgué le 19 janvier 1885 par le comité exécutif. Le Sport vélocipédique, 2 février 1885.

260.

Le Sport vélocipédique, 29 mars 1884.

261.

Un premier projet (Le Sport vélocipédique, 12 avril 1884) est refondu et adopté par le congrès de 1884. Le comité exécutif le promulgue le 19 janvier 1885. Le Sport vélocipédique, 2 février 1885.

262.

Le tableau à présenter comporte alors dix rubriques : localités traversées, distances présentées par le recordman, distances vérifiées par le comité, heures projetées, heures réelles et arrêts, état de l’atmosphère et autres circonstances importantes (vent, température, soleil… ; foire, encombrement), état du sol, rafraîchissements et nourriture, noms et adresses des témoins, pointeurs et accompagnateurs, observations. Règlement paru dans le Sport vélocipédique du 7 mai 1886.

263.

Un premier championnat, disputé à Grenoble le 3 juin 1883, ne figure pas au palmarès officiel car couru avant la ratification du projet le 23 juin suivant.

264.

Les distances passent à 5 km. (bicycles) et 2,5 km. (tricycles) pour les juniors, en 1887. Les vainqueurs des “ courses annuelles ” portent le titre de “ lauréats des juniors français ”, l’appellation “ champion de France ” étant réservée aux seniors.

265.

Cette décision fait suite au vote du congrès de 1885 qui ouvre les championnats aux étrangers résidant en France depuis au moins six mois. Ainsi, en 1886, l’Anglais Duncan et le Belge Van Beredonck (pseudonyme Éole) sont sacrés champions de France, le premier à bicycle (vitesse), le second à tricycle (vitesse et fond). VIOLETTE M. : Le cyclisme, Paris, Lafitte, 1912, réimpr. en 1980 par Slatkine, Genève, pp. 344-351, donne le palmarès des championnats jusqu’en 1911 (3 premiers, distance, lieu).

266.

Dans les statuts de 1884, la répartition est la suivante :

- championnat de France bicycles : 360 F.

- championnat de France tricycles : 270 F.

- course annuelle des juniors bicycles : 240 F.

- course annuelle des juniors tricycles : 180 F.

Chacun de ces prix doit être partagé entre les trois premiers. Le congrès de 1887 laisse aux sociétés organisatrices le soin de fixer les sommes à accorder.

267.

Le Sport vélocipédique, 22 octobre 1886, Lettre du 6 octobre 1886.

268.

La demande intervient plus de cinq mois après la création de l’U.V.F. Paul Devillers s’en explique par sa volonté de s’assurer “ du bon fonctionnement de la Société et de son succès pour l’avenir ”. Il se dit d’autre part convaincu que par l’institution de l’U.V.F. “ le sport vélocipédique reconquerra dans notre pays son ancienne prospérité, et la fabrication si intéressante du vélocipède, par contre-coup, redeviendra florissante ”. Le Sport vélocipédique, 23 juillet 1881.

269.

Le Vélocipède illustré fait paraître, les 2 septembre et 7 novembre 1869, deux articles, d’ailleurs non-dénués d’arrière-pensées militantes pour la pratique du vélocipède, puisque prétendant que “ le soldat rentré dans ses foyers, l’y importera ” (7 novembre).

270.

Le Sport vélocipédique, 6 novembre 1885.

271.

Ce sont MM. Rousset, Médinger, Payet, Briol, Giraud, Suarez, Astuguevieille et Lafilole.

272.

Lettre du 9 octobre 1887 au baron de Vaux à la suite des articles favorables à la vélocipédie militaire qu’il a publié dans le Gil Blas. Bulletin de l’U.V.F., janvier 1888, in Le Véloce-Sport, 5 janvier 1888.