2-1. Le tourisme dans les statuts.

Si près de la moitié des associations font référence au tourisme dans leurs buts, elles ne sont plus que 15 % à intégrer, à la suite du Vélo-club grenoblois (1882) le responsable des promenades, parfois secondé d’un adjoint, au sein du bureau et à lui conférer ainsi la légitimité de l’élection et une durée au moins annuelle de fonction. Sinon la nomination intervient au début de chaque promenade. Ce “ capitaine ” assure la direction de toutes les sorties officielles, au terme desquelles il rédige et envoie un compte rendu à la presse vélocipédique s’il le juge utile. Son second, le “ capitaine-adjoint ” ou “ lieutenant ”, l’aide à maintenir la marche régulière de la colonne et le respect des dispositions incluses dans le règlement.

Même si celui du Véloce-club nantais envisage la promenade “ en caravane ” comme un entraînement aux courses de fond, il n’en marque pas moins sa spécificité puisqu’ ‘“ on ne doit nullement chercher à se dépasser, au contraire on se doit un appui mutuel et cordial ” ’ 397 . L’absence d’esprit de compétition - l’allure est même réglée “ sur celle des moins habiles ” 398 - se conjugue donc à la discipline et à la bienséance pour donner aux excursions un visage exemplaire. Au Véloce-club nancéien, la “ compagnie ” conduite par le capitaine roule par “ sections ” de dix randonneurs, chacune sous l’autorité d’un lieutenant 399 . L’influence militaire ne s’arrête pas au vocabulaire employé, elle préside au déplacement du groupe. Les promeneurs roulent deux par deux sur les bonnes routes mais l’un derrière l’autre sur les mauvaises avec une distance d’au moins six mètres entre deux bicyclistes. Le commandement s’effectue à la trompette, par signaux ou au sifflet suivant un code bien défini :

  • Un coup long : Attention,
  • Deux coups longs : Ralentir,
  • Un coup bref, un long et un bref : (Descendre et tenir son vélo à la main), pour descendre une côte par exemple un peu rapide,
  • Deux coups brefs : Deux rangs,
  • Un coup long et bref : Un rang,
  • Trois coups longs : Descendre de véloce,
  • Trois coups brefs : Monter en véloce. 400

Promeneur modèle, le cycliste associatif doit respecter les autres usagers. À leur rencontre, il garde sa droite et circule sur une file. Vient-il à les rattraper, il les avertit de la voix ou avec son timbre, les dépasse et ne reprend le cheminement en colonne que quelques temps après. La nuit, une lanterne signale sa présence. Le capitaine veille à une avance prudente. ‘“ À l’approche d’une côte rapide [il] s’avance seul jusqu’à la crête et juge s’il doit ou non la laisser descendre sur les machines ou à pied ”’ ‘ 401 ’ ‘.’ Ainsi, les statuts étendent aux excursions des dispositions similaires à celles qu’ils imaginent pour la tenue des réunions. Que ce soit dans l’espace clos de la salle du siège social ou en pleine nature, le sociétaire se doit d’obéir et de respecter les autres. Mais les dirigeants peinent autant à faire accepter ce comportement exemplaire dans le cadre des excursions que dans celui des réunions à des membres qui n’ont que minoritairement la réputation du groupe comme priorité.

Cette attitude individualiste transparaît dans la quasi-impossibilité à imposer le port d’un uniforme. Henri Pagis peut affirmer : ‘“ ce n’est que par une tenue correcte que nous arriverons à implanter notre sport dans la haute société ”’ ‘ 402 ’ ‘,’ peu de clubs optent pour l’obligation du costume, par crainte que la dépense assez élevée qui en résulte n’éloigne des sociétaires potentiels 403 . Comme toute autre association, les véloce-clubs qui choisissent un uniforme sont légalement obligés - circulaire du 12 septembre 1885 - d’éviter toute ressemblance avec la tenue militaire. Mais cette astreinte n’explique pas le manque d’originalité de costumes qu’inspire le vêtement bourgeois avec quelques adaptations à l’activité. Sur le buste, au dessus d’une chemise de flanelle ou d’un maillot collant à manches longues en jersey, le veloceman endosse une veste. Les jambes sont entièrement couvertes d’une culotte courte descendant sous le genou et de bas. Les couleurs sombres - noir, bleu-marine - sont seules retenues. La culotte blanche tolérée à la Société vélocipédique du Midi 404 fait figure d’exception. Les cyclistes respectent ainsi les stricts codes vestimentaires de l’époque hérités de la Réforme protestante qui veulent que “ ce qui touche le corps doit être blanc, ce qui est montré au dehors, doit être digne, c’est-à-dire sombre ” 405 . Les tenues des coureurs révèlent la même tendance 406 . La coiffure offre plus de fantaisie du moins dans ses formes. Le choix se porte sur la toque (Véloce-club de Narbonne) 407 , le casque Stanley (Bicycle-club rémois) 408 ou la casquette américaine à grande visière (Vélo-sport versaillais) 409 .

Si en randonnée la tenue officielle obligatoire confine à l’exception, par contre le port d’un insigne se généralise. Fixé à la boutonnière ou sur la coiffure, il se compose presque exclusivement des initiales entrelacées du nom de l’association 410 . Cependant quelques groupes arborent des emblèmes plus élaborés. Le Bicycle-club rémois ajoute un bicycle à son chiffre et place le tout sur “ un écusson en velours noir avec un ruban tricolore en diagonale ” 411 . La Société vélocipédique lexovienne (Lisieux) a choisi un croissant doré surmonté d’un petit vélocipède nickelé 412 . Trois autres sociétés se singularisent même en y introduisant une devise rappelant la qualité première du vélocipède, sa rapidité. Ne reniant pas l’influence anglaise, le Club des cyclistes stéphanois indique, en dessous d’un gentleman sur deux roues, la formule “ Time is money ” 413 . Plus sensibles à la caution du latin, les membres du Vélo-sport caennais explicitent la présence d’une flèche traversant les lettres V.S.C. par la phrase : “ Sicut Telum Velox ” (“ Rapide comme la flèche ”) 414 . La Société vélocipédique du Midi, fidèle à son terroir, entoure un vélocipède avec son cavalier, des mots : “ Toutsoun may bisté ” (“ Toujours plus vite ”) 415 .

Outre ces informations d’ordre général, les statuts nous livrent des enseignements sur la période et le rythme des excursions. La saison s’étend de mars à octobre, c’est-à-dire au printemps et à l’été. Le nombre des sorties, toujours prévues le dimanche ou un jour férié, varie fortement d’un club à l’autre. Au Véloce-club de Saumur, elles sont hebdomadaires 416 , quand le Sport vélocipédique de Louviers se contente de deux par an 417 . La moyenne s’inscrit à une par mois, du moins en ce qui concerne les sorties officielles, à savoir celles auxquelles les membres actifs sont tenus de participer. D’autres peuvent s’intercaler selon le désir des adhérents.

Notes
397.

Arch. dép. Loire-Atlantique, 1M 1113, Règlement des promenades en caravane, avril 1870.

398.

Ibid.

399.

Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 4M 85, Statuts, mars 1882. La partie “ direction des excursions du club ” absorbe 12 des 48 articles des statuts.

400.

Arch. dép. Bouches-du-Rhône, 4M 862, Règlement de course de la Société des vélocipédistes de Marseille, 1er janvier 1886. Selon les cyclistes marseillais, ces sonneries “ ont été acceptées par tous les clubs français et anglais ”.

401.

Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 4M 485, Statuts du Véloce-club nancéien, mars 1882.

402.

Le Sport vélocipédique, 22 décembre 1883.

403.

Lors du débat sur le costume, certains membres du Bicycle-club rémois menacent de se retirer si le port des gants est rendu obligatoire. Le Sport vélocipédique, 6 août 1881.

404.

Arch. dép. Haute-garonne, 13M 85, Statuts, juin 1883.

405.

PASTOUREAU M. : “ Les couleurs du stade ”, XXème siècle, n° 26, avr.-juin 11990, pp. 11-18, p. 13.

406.

À la suite de l’obligation faite aux seniors de déposer leurs couleurs auprès du comité exécutif de l’U.V.F., 14 sur 25 ont choisi le noir, les autres adoptant “ des nuances presque aussi foncées ”. Le Sport vélocipédique, 18 décembre 1885.

407.

Le Sport vélocipédique, 23 février 1884.

408.

Arch. dép. Marne, 87M 59, Statuts, juin 1883.

409.

Arch. mun. Versailles, R3 2041, Statuts, décembre 1887.

410.

Cf. Annexe doc. D 1 : Insignes de sociétés vélocipédiques.

411.

Arch. dép. Marne, 87M 59, Statuts, juin 1883.

412.

Arch. dép. Calvados, M 3649, novembre 1885.

413.

Arch. dép. Loire, UDP 426, Statuts, octobre 1881.

414.

Arch. dép. Calvados, M 3637, décembre 1885.

415.

Arch. dép. Haute-Garonne, 13M 85, Statuts, juin 1882.

416.

Le Sport vélocipédique, 29 avril et 4 juin 1880.

417.

Arch. dép. Eure, 4M 196, Statuts, mai 1885.