Les parcours d’une demi-journée ou d’une journée s’éloignent nécessairement peu des environs. La Société vélocipédique métropolitaine randonne aux abords de la capitale vers ‘“ Bry-sur-Marne, Savigny-sur-Orge, Meulan, Rambouillet, Montfermeil, Marines, Argenteuil, Marly… ”’ ‘ 418 ’ ‘.’ L’Union vélocipédique de Boisguillaume-les-Rouen encadre ses sorties dans une fourchette de “ quatre à dix lieues ” 419 . Les distances des promenades obligatoires du Vélo-club grenoblois, au nombre de quatre en 1883, fluctuent entre 38 et 80 km 420 . Les trajets effectués ne musardent pas sous la forme d’un circuit reliant des lieux indifférenciés, ils fixent un objectif à atteindre - le plus souvent une ville afin de la visiter ou d’y assister à une fête, à une course… - d’où les randonneurs reviennent en empruntant tout ou partie de l’itinéraire aller. Au printemps de 1870, les membres du Club des vélocipédistes d’Annecy se rendent ainsi à Albertville, Genève et Thônes, où leur arrivée pendant la messe dominicale cause un tel émoi que les fidèles sortent de l’église et le prône est interrompu 421 . Le bicycliste est le plus souvent sujet d’étonnement.
La découverte en profondeur des alentours ne constitue pas un élément déterminant des sorties et ce, d’autant moins que les velocemen privilégient pour leur circulation les axes majeurs, ceux les mieux entretenus, du réseau routier. Les contacts avec les ruraux sont exceptionnels à moins qu’un incident oblige à avoir recours à leur aide, comme ces sociétaires du Véloce-club de Saumur qui, après une chute, se rendent chez un “ rebouteur ” qui habite ‘“ une immense pièce dans une ferme, lui, sa famille (composée de plusieurs générations), un immense cochon et une demi-douzaine de chiens ”’ ‘ 422 ’ ‘.’ En dehors du déjeuner pris au restaurant, de nombreux arrêts entrecoupent le trajet. À l’aller de leur “ petit voyage ” - ils se rendent à Étauliers pour participer à des courses - cinq membres du Véloce-club bordelais s’octroient une pause déjeuner après 16 km. puis une seconde 26 km. plus loin, “ picon ” oblige. Deux repos ponctuent également le retour. L’organisation d’une partie de pêche à Étauliers, en attendant l’heure des courses, renforce encore le caractère convivial de la journée 423 .
Les quelques comptes rendus de promenades publiés dans la presse décrivent rarement ou du moins succinctement les paysages, ils s’attardent en revanche sur les conditions climatiques, l’état des chaussées, la qualité du repas ou les incidents de route. Par exemple, le récit rédigé sur le mode humoristico-épique de la première randonnée associative, celle qui conduit en mai 1868 les adhérents du Véloce-club de Valence au château de Senaud où les accueille un de leurs coreligionnaires, le baron de Bernay, fait une large place à l’accident lié au bris d’une des machines 424 . Avec treize participants, ce périple fait figure de privilégié, en effet, la plupart des sorties se soldent par la présence de moins de dix adhérents. À celles de Grenoble, en 1883, ‘“ les velocemen étaient peu nombreux et presque toujours les mêmes ”’ 425 . Afin de remédier à ce désintérêt, le club décide de supprimer toute obligation de participation et rompt le carcan du règlement en instituant l’allure libre. Preuve s’il en est des entorses aux codes de promenades dont la plupart des dispositions sont rendues caduques par l’étroitesse des pelotons. L’assouplissement décidé ne remédie pas au problème, au contraire. L’année suivante, ‘“ les promenades ont été encore plus rares que l’année passée et fréquentées par un nombre bien moindre de velocemen ”’ 426 .
L’aiguillon de la récompense ne donne pas de meilleurs résultats. Que ce soit à Saumur où le secrétaire du club promet “ un sac de voyage à véloce ” au promeneur le plus assidu 427 , ou au Véloce-club béarnais qui institue une loterie dont les billets sont attribués gratuitement aux randonneurs en fonction de la régularité de leur présence 428 . Tentatives bien timides comparées aux sommes investies dans les compétitions. Au budget des sociétés, la part du tourisme entre pour une part infime, seulement 2,5 % des dépenses à Grenoble en 1883 429 quand l’ensemble des frais liés aux courses monte à près de 70 % 430 , et encore les 108 F. relevant du tourisme correspondent au financement de réception de velocemen étrangers.
Sources : Le Sport vélocipédique, 2 février 1884.
Nota
Les dépenses d’administration incluent les frais de bureau, de correspondance, d’impression et les appointements de l’aide-secrétaire.
Les dépenses diverses regroupent les abonnements aux revues, des frais occasionnés par le banquet, les cotisations à l’U.V.F. et l’achat et l’entretien de mobilier.
La situation est identique à la Société vélocipédique métropolitaine où une “ aumône [est] inscrite platoniquement au budget de 1887 ” 431 . Pourtant ce sont là des associations qui tentent de développer le tourisme. Dans les autres, c’est-à-dire la majorité, aucune action n’est entreprise en ce sens. Le compte rendu annuel pour 1885 du puissant Véloce-club bordelais n’inclut aucune mention de promenades ou de voyages 432 . Les sorties de ses membres relèvent d’initiatives personnelles. Le Sport vélocipédique de Bergerac organise sa première sortie officielle, six ans après sa création, le 15 août 1887 433 . Double enseignement dans cette annonce faite à l’assemblée générale par le président Ladevèze : d’abord, bien sûr, le long oubli du tourisme mais aussi l’intérêt soudain manifesté, intérêt qui prend tout son sens quand on le replace dans le mouvement décelable ailleurs en France à partir des années 1885-1886 et qui est en partie imputable à la diffusion du tricycle.
Le Véloce-sport et le Veloceman, 26 janvier 1888, Rapport annuel.
Arch. dép. Seine-Maritime, 4M 477, Statuts, mai 1884.
Arch. mun. Grenoble, 3R 29.
Les Alpes, 19 mai 1870, cité dans BAUD J.P. : “ Le cyclotourisme à Annecy… ”, art. cit., p. 57.
Le Sport vélocipédique, 3 mars 1881.
Le Veloceman, 15 août 1886.
Arch. dép. Drôme, B 967/22. Cf. Annexe doc. A6 : Promenade au château de Senaud par le Véloce-club de Valence, 19 mai 1868.
Le Sport vélocipédique, 2 février 1884, Assemblée générale du 18 janvier 1884.
Le Sport vélocipédique, 23 janvier 1885, Assemblée générale du 27 décembre 1884.
Le Sport vélocipédique, 4 mars 1880.
Le Veloceman, 1er janvier 1886, article “ La réclame ”.
Le Sport vélocipédique, 2 février 1884, Assemblée générale du 18 janvier 1884. L’année suivante la situation n’a pas varié.
Les 2430 F. consacrés aux courses se répartissent entre :
- 1456 F. : Achat de matériel et location d’un hangar pour l’entreposer,
- 115 F. : Prix des courses de club,
- 56 F. : Entretien de la piste de l’Esplanade de France,
- 160 F. : Achat d’insignes pour les championnats,
- 143 F. : Déficit de courses,
- 500 F. : Don au bureau de bienfaisance à l’occasion des courses du 3 juin.
Le Véloce-Sport et le Veloceman, 26 janvier 1888, Rapport annuel.
Le Véloce-Sport, 21 janvier 1886, Rapport annuel.
Le Véloce-Sport et le Veloceman, 16 février 1888, Rapport annuel.