2-3. Un essor en fin de période.

Lorsque le Véloce-club rouennais se reconstitue en 1887, il se fixe pour but de propager plus particulièrement le tourisme 434 . Il est vrai qu’au même moment naît le Club des velocemen touristes de Rouen qui répond en écho au Club des velocemen touristes de l’Isère fondé à la fin de 1886. Pour la première fois des sociétés se fixent un objectif clairement touristique et l’affichent dans leur appellation, rompant ainsi le conformisme qui présidait jusque là avec l’emploi des termes “ vélo ”, “ véloce ”, “ vélocipédique ”, quant à la désignation de l’activité dans l’intitulé des associations, termes souvent associés à ceux de club et sport.

Désignation du fait associatif Désignation de l’activité
  Nb. %   Nb. %
Association 1 0,8 Vélo 103 81,1
Cercle 2 1,6 Bicycle 7 5,5
Club 70 55,1 Cycle 9 7,1
Société 9 7,1 Pédale 1 0,8
Union 5 3,9 Touristes 2 1,6
Formules elliptiques      Allusion sportive 1 0,8
Sport 29 22,8 Sans … 4 3,1
Cycle, vélo 2 1,6      
Cyclist (es) 2 1,6      
Pédale… 1 0,8      
Amicale… 1 0,8      
Jeune… 1 0,8      
Divers 4 3,1      
Total 127 100 Total 127 100
Sources : idem carte 1. p.21.

Le souffle du tourisme dynamise également le Bicycle-club de Lyon en 1886. Parmi les “ belles promenades qui ont eu lieu ” P. Payet retient le voyage de onze sociétaires à Chambéry (230 km.), celui de dix-huit membres à Saint-Genix (150 km.) et une excursion au Mont Pilat où cinq cyclistes ‘“ bien qu’effectuant dans leur dimanche 150 km. et faisant une excursion de trois heures à pied, se sont élévés à l’altitude de 1250 mètres sans marcher à pied, en gravissant une rampe de 17 kilomètres… ”’ 436 . À Paris, l’essor du tourisme vélocipédique découle de la fondation en septembre 1884 - année de l’édition du guide des environs de Paris à l’usage des velocemen de A. de Baroncelli 437 - du Club des cyclistes de Paris à l’initiative de M. Steiner. L’association se fait rapidement remarquer par son activité excursionniste parfois originale comme cette sortie au cours de laquelle les participants, partagés en quatre sections, rejoignent le lieu du déjeuner par quatre itinéraires différents 438 .

La Société vélocipédique métropolitaine s’engage dans la même voie à partir de 1886 et à l’assemblée générale qui clôt l’année 1887, le secrétaire, Paul Devillers, fort du soutien des deux-tiers des membres, présente le “ Touring ” comme la “ grosse question du jour ” et demande que lui soit consacré “ un tiers au moins du budget ” 439 . Revirement spectaculaire pour une société qui en 1886 s’enorgueillissait de compter dans ses rangs de grands champions comme De Civry, Médinger ou J. Dubois. Le bilan pour 1887 fait état d’une trentaine de promenades de la journée auxquelles participent une moyenne de dix à douze touristes ainsi que de quatre grandes excursions sur deux jours qui, pour trois d’entre elles, s’effectuent à partir d’une ville plus ou moins éloignée de la capitale, ce qui suppose l’utilisation du chemin de fer pour s’y rendre et en revenir. En voici la liste :

Au cours de ces voyages, les pelotons assez fournis - respectivement 18, 14, 9 et 12 métropolitains - font force visites. Paul Devillers rappelle à l’assemblée que lors de leur périple d’Orléans à Amboise ‘“ aucun des magnifiques châteaux qui se trouvaient sur [leur] passage n’échappa à [leurs] investigations ”’ ‘ 440 ’ ‘.’ De plus les Parisiens nouent des liens avec les sociétés de Sens, d’Orléans ou de Louviers au point qu’à la Pentecôte, sur les bords de la Loire, la troupe, renforcée de vélocipédistes d’Orléans et de Chartres compte jusqu’à vingt-cinq unités. De véritables voyages complètent le florilège. Réalisés le plus souvent en solitaire, ils mènent des membres de la S.V.M. vers Angers, Le Havre, Trouville ou encore l’Angleterre.

En dépit de leurs mérites, ces randonneurs sont loin d’égaler Albert Laumaillé du Bignon, originaire de Château-Gontier, fondateur de diverses sociétés de l’Ouest, qui dès 1868 entreprend de grands voyages 441 . Se succèdent ainsi des expéditions vers la Bretagne (1868), l’Angleterre (1869), la Bourgogne et la Franche-Comté (1870), la Suisse (1871-1873-1877), l’Italie (1873-1876-1877-1878-1881), la Belgique (1875), l’Autriche (1875), l’Espagne (1879-1880) et même les colonies françaises d’Afrique du Nord (1879). “ Notre touriste national ” comme le désigne le Sport vélocipédique 442 , estime, en 1881, avoir parcouru ‘“ deux cent seize mille kilomètres dans l’espace de treize ans ”’ et peut se targuer d’avoir visité les villes de Bruxelles, Vienne, Berne, Genève, Venise, Naples, Rome, Barcelone, Madrid, Grenade, Alger… 443

Ne nous laissons pas abuser par les périples au long cours d’A. Laumaillé, ni par l’engouement touristique tardivement décelable dans quelques clubs. En tout état de cause, les promeneurs sur deux puis trois roues sillonnent peu le réseau routier et les pelotons régis par une discipline toute militaire, que laissent imaginer les règlements des sociétés, tiennent de l’exceptionnel. Les associations préfèrent assurer leur promotion au moyen de l’organisation de compétitions dont la dimension ludique - courses d’adresse, de lenteur - s’efface au profit d’épreuves de vitesse que l’usage vulgarisé du chronomètre et les premiers vélodromes font entrer, au milieu des années 1880, dans l’ère de la performance strictement étalonnée. Les cyclistes librement associés, d’abord débordés par des promoteurs privés, prennent ensuite le contrôle des grandes réunions sur piste - l’affrontement routier est marginal - et guident ainsi la “ sportivisation ” de la discipline. Action qu’ils prolongent au plan interne en développant championnats et handicaps. Toutefois, si la maturité naissante du secteur compétitif contraste avec l’état de friche du tourisme, elle ne concerne qu’une faible part des sociétaires. La majorité d’entre eux se contentent d’un usage épisodique de leur grand bi ou de leur tricycle et les véloce-clubs n’ont souvent de “ véloce ” que le nom.

Notes
434.

PETITON C. : Histoire du Véloce-club rouennais…, op. cit., p. 25.

436.

La Revue du sport vélocipédique, 7 janvier 1887.

437.

BARONCELLI A. de : Guide des environs de Paris à l’usage des velocemen, Paris, A. de Baroncelli, 1884. L’auteur y décrit quarante itinéraires avec une bonne précision quant à la qualité des voies et à la description du parcours.

438.

Le Sport vélocipédique, 8 novembre 1884.

439.

Le Véloce-Sport et le Veloceman, 26 janvier 1888, Rapport annuel.

440.

Ibid.

441.

Le premier grand voyage connu n’est cependant pas de son fait. Il remonte à la fin du mois d’août 1865. En huit jours René et Aimé Olivier joignent Paris à Avignon. Cf. SALMON G. : Les annales de la vélocipédie en France, cahier n° 1, op. cit., pp. 1, 4-8 et cahier n° 1 bis, op. cit., pp. 8-10.

442.

Le Sport vélocipédique, 3 mars 1881.

443.

FOUCAULT M. : Documents sur Château-Gontier, Laval, 1883, pp. 274-275, cité dans DAUPHIN V. : Le cyclisme en Anjou, op. cit., pp. 46-47.