1-3-2 Dans les villes.

Des divergences sensibles affectent l’évolution des trois types de villes (cf. tableau 19). Pendant que les grandes (plus de 50 000 habitants) multiplient leur effectif par 15 et les petites (3 à 10 000 habitants) par 20, les centres de moyenne importance (10 à 50 000 habitants) ne font que le quintupler et eux qui en 1887 groupaient plus de la moitié des sociétés françaises (51,6 %) déclinent à moins de 20 % en 1895. En conséquence, les différences dans l’encadrement associatif entre les diverses catégories de villes s’atténuent fortement.

Classe de population Population totale Nb. de soc. Nb. moyen d’h. pour 1 soc.
3000 à 5000 h. 1 257 963 169 7444
5000 à 10 000 h. 1 286 672 168 7659
10 000 à 20 000 h. 1 366 190 150 9108
20 000 à 50 000 h. 1 290 128 103 12 526
50 000 à 100 000 h. 949 693 61 15 569
100 000 h. et plus 1 770 376 105 16 861
Agglom. Parisienne 2 984 097 212 14 076
Ensemble des villes 10 905 119 968 11 266
Sources : Arch. dép. et mun. ; presse de l’époque ; THÉVIN F. et HOURY C. : Annuaire général…, op. cit., 1897 ; DUPEUX G. : Atlas historique…, op. cit.

Les petites villes (1 société pour 7500 habitants) grâce à une présence associative dans la majorité d’entre elles 517 , contre seulement 3 % en 1887, supplantent maintenant les villes moyennes (1 société pour 10 000 habitants). Pendant le même temps, l’écart de 1 à 9 qu’avaient creusé ces dernières avec l’agglomération parisienne s’est réduit à un avantage de 40 % (1 société pour 14 000 habitants). Le recul ne procède pas d’une faible extension du nombre de lieux d’implantation - 95 % des centres intermédiaires sont pourvus, ils n’étaient que 35 % en 1887 - mais de leur densification ralentie. La majorité des villes moyennes ne dispose que d’une ou deux associations alors que les cités importantes, agglomération parisienne exclue, sont passées en moyenne à six ou sept. Est-ce le résultat de fluctuations divergentes du parc vélocipédique qui favoriseraient les grandes villes ? Les statistiques publiées par le ministère des finances ne livrant que le total par département, nous ne disposons comme sources disponibles que des chiffres fournis par M. Martin pour le centre et le sud-ouest 518 .

Classe de population 3 à 10 000 h 10 à 50 000 h 50 000 h et plus Total
Population totale 29 392 321 899 633 104 984 395
Nb. de vélocipèdes 318 3691 4728 8737
Taux de vélocipèdes pour 1000 h 10,8 11,4 7,5 8,9
Sources : MARTIN M. : Grande enquête…, op. cit. et Dénombrement de la population de la France en 1896.

Nota : Le tableau regroupe les données de 23 villes, ainsi réparties par ordre croissant de population :

Loin d’être servies par un taux d’équipement élevé, les grandes villes pointent au dernier rang. Le handicap n’est toutefois qu’apparent ; M. Martin explique en effet que ‘“ dans ces villes-là, le fisc est proportionnellement plus lésé ”’ ‘ 519 ’ et d’avancer 50 % de non-déclarations à Limoges, 65 à Montpellier et même plus de 70 à Toulouse. De ce fait, la densité du parc vélocipédique diffère peu d’une catégorie de ville à une autre et les variations de l’encadrement associatif urbain ne lui sont pas imputables. L’essor - c’est en fait un rattrapage - qui favorise les grandes villes, résulte en réalité de la mise à profit de leur population élevée, de leur territoire étendu, avantages jusque là peu potentialisés et qui, grâce à la marche en avant de la bicyclette, rendent possible la fondation de sociétés attachées à un quartier, à un groupe social. La lecture de la liste des sociétés parisiennes en 1895 est édifiante sur ce point : le Club cycliste de Vaugirard y voisine avec celui de la Goutte d’Or, le Club vélocipédique de Montmartre avec ceux de l’Arsenal ou des Buttes-Chaumont, la Pédale de Bercy côtoie celles de la Cité, du rond-point du XIXème, du XVIème, des Unions vélocipédiques sont présentes à la Bastille, à Montrouge, aux Champs-Élysées, dans les VIème, VIIème, XIème, XVème et XXème etc.

Carte 7. : Les sociétés vélocipédiques parisiennes par arrondissement en 1895.

Sources: THÉVIN F. et HOURY C. : Annuaire général…, op. cit., 1897

et dénombrement de la population de la France en 1896.

Les clubs investissent tous les arrondissements et s’installent jusqu’aux confins du territoire de la capitale, avec des conséquences sur leur recrutement géographique. En 1892, les sociétés anciennement créées comme le Sport vélocipédique parisien, la Société vélocipédique métropolitaine ou la Société d’encouragement pour le développement de la vélocipédie en France, née plus tardivement mais d’une dissidence au sein du S.V.P., ont conservé une structure héritée des débuts de la vélocipédie avec des membres dans respectivement 13, 14 et 17 arrondissements. Les groupements plus récents : Cyclistes des Buttes-Chaumont, Guidon vélocipédique parisien, Excursionnistes parisiens, Union vélocipédique du XVème, Véloce-club de Passy, Véloce-club de la rive gauche, Vélo-club parisien ne sont représentés que dans au maximum sept arrondissements parmi lesquels celui du siège social domine fortement 520 . L’aire de recrutement des sociétés des grandes villes tend donc à diminuer, à se concentrer sur un espace restreint. À Lyon, ‘où “ des sociétés ont été installées dans toute la ville ”’ 521 - en 1895, elles sont 25 - la situation évolue de la même façon. De la presqu’île où elle se cantonnait la géographie associative s’étend vers Vaise, la Guillotière, les Brotteaux, la Croix rousse et jusqu’à Monplaisir au sud-est. Après que les premiers clubs lillois (Véloce-club de 1887, Sport vélocipédique de 1888) se sont groupés autour de la Grand’place, leurs successeurs investissent les zones excentrées - anciennes communes annexées au milieu du XIXème siècle - de Fives ou Wazemmes. À Toulouse, jusqu’en 1892, les sociétés se localisent dans un rayon de 500 mètres autour de la place du Capitole, après 1895, quatre conservent cette implantation mais sept autres la désertent , principalement pour les quartiers sud (St-Michel, St-Roch) ou pour St-Cyprien, à l’ouest de la Garonne, sans pour cela déborder les limites de l’octroi. Ailleurs, comme à Marseille, Rouen, Nantes, Le Havre, toutes villes de plus de 100 000 habitants, les quartiers expriment moins leur spécificité par la création d’une société. Quant aux trois piliers de la période pionnière, Grenoble est étrangère au mouvement, Angers y participe petitement - création en 1895 du Vélo Doutre angevin, du nom du quartier populaire situé sur la rive droite de la Maine - , Bordeaux s’y inscrit pleinement et la diffusion y gagne même la banlieue.

En 1892, la ligne des boulevards de la cité girondine est traversée vers le Bouscat, puis l’extension atteint Bègles, Villenave-d’Ornon et Lormont en 1894, Caudéran en 1896 où en deux ans quatre clubs se constituent. Une telle propagation élargie aux zones suburbaines se retrouve en région parisienne où de trois en 1891, le nombre de localités de l’agglomération dotées d’une société s’élève à trente-et-un en 1895, soit trois sur quatre (42 localités dans l’agglomération) 522 . La vélocipédie associative lyonnaise s’avance aussi en banlieue. Dès 1890 à Oullins, puis à Villeurbanne en 1893 - trois autres groupements suivront en 1897 et 1898 - et à Tassin en 1895.

Notes
517.
Tableau 23. : Villes pourvues de sociétés vélocipédiques par classe de population (1895).

Classe de population3 à 5000 h5 à
10000h10 à 20000 h20 à 50000 h50 à 100000 h100 000h et +Aggl. parisienneEnsemble des villesNb. de villes330187984315101684Villes pourvues151137904315101447%46,173,391,810010010010065,4 Sources : idem tableau 22.

518.

MARTIN M. : La grande enquête…, op. cit.

519.

Ibid., p. 349. Il ajoute encore dans l’article Loire p. 298, à propos de St-Étienne : “ Il est évident que plus un centre est peuplé d’ouvriers et plus la proportion des non-déclarations est élevée. C’est à la fois une preuve de l’exagération du taux de l’impôt et une conséquence des milieux ”.

520.

CHÉRIÉ A. : Annuaire général…, op. cit., pp. 51-66.

521.

PÉRIER T. : Les premiers temps du cycle…, op. cit., p. 89.

522.

Cf. Annexe stat. D10 : Les localités de l’agglomération parisienne dotées d’une association (1891-1895-1909). Liste.