2-1. Une évolution sociale modérée

Pour juger de la notabilisation des adhérents des sociétés, nous disposons de statistiques plus fournies. En effet l’élargissement du cyclisme associatif s’accompagne de fait d’un gonflement du nombre des données d’ordre social et ce d’autant plus qu’aux états fournis aux autorités par les sociétés lors de leur déclaration s’ajoutent ceux contenus dans l’Annuaire général illustré des cyclistes français et étrangers pour 1892 que fait paraître Alfred Chérié, libraire-éditeur en même temps que vélocipédiste engagé puisqu’il préside aux destinées du Véloce-club de la Rive gauche à Paris. Son ouvrage, qui couvre l’ensemble du territoire français, donne ainsi accès à des informations relatives à des départements dépourvus de documents archivistiques (Aisne, Ardennes, Seine, Somme…). Toutefois, tributaire du bon vouloir des sociétés, il ne peut pas prétendre à l’exhaustivité et par exemple, n’inclut que six inventaires de groupements parisiens 533 . Cependant, sa conjonction avec les sources d’archives porte à 490 le total des listes d’associations indiquant la situation professionnelle de leurs membres, au nombre, eux, de plus de 1500.

La distribution dégagée par les deux graphiques 11 et 12 s’inscrit dans le droit fil de celle constatée entre 1882 et 1887 534 . La période 1888-1899, prise dans son ensemble, n’apporte pas de bouleversement, seulement quelques retouches. Elle confirme la domination de la bourgeoisie populaire. Les “ couches nouvelles ” renforcent même légèrement leurs effectifs (60,7% au lieu de 58,9% en 1882-1887), mais l’écart entre les petits patrons - ils progressent de 30,3% à 37,9% - et les employés - ils régressent de 28,6% à 22,8% - se creuse.

Les notables, dénomination qui rappelons-le correspond avant tout pour notre champ d’étude aux classes moyennes, arrivent toujours en second. Leur position s’effrite même légèrement de 38,4% à 35,4% avec une présence encore moins soutenue de l’aristocratie - la sociabilité cycliste ne parvient manifestement pas à attirer la haute société ou alors momentanément, nous y reviendrons -, un recul des propriétaires de 8,9% à 6,1% et un essor des “ capacités ” de 6,4% à 9%. Au total les élites locales continuent à ressentir l’appartenance à une société cycliste comme moins gratifiante que la fréquentation d’une société d’ “ alpinistes ” 535 , d’une société savante 536 ou philanthropique 537 .

Graphique 11. : Répartition socioprofessionnelle des cyclistes associatifs (1888-1899).

Sources : Arch. dép. et mun. et CHÉRIÉ A. et M. : Annuaire général…, op. cit.

GRAPH12

Sources : idem graphique 12.

Les listes de sociétés qui isolent les membres honoraires - elles sont au nombre de trente-quatre assez équitablement réparties dans le temps et l’espace 538 - révèlent une certaine spécificité de cette catégorie d’adhérents.

  Nombre %
Notables 467 50,4
Employés 100 10,8
Petits patrons 342 36,9
Ouvriers 1 0,1
Agriculteurs 17 1,8
Total 927 100
Sources : Arch. dép. et mun.

Avec plus de la moitié des occurrences, les notables s’imposent et ce grâce à toutes les composantes 539 - le personnel politique est à créditer de la plus forte progression : de 0,5 à 5,5 % - exception faite des étudiants qui n’atteignent que 0,5 % au lieu de 3,5. Cette notabilisation excluant les étudiants accrédite la définition des membres honoraires que livrent les statuts du Cyclo-club toulonnais  ‘: “ personnes qui par leur âge et leur position ne peuvent se livrer à ce genre de sport ”’ 540 . Ce que confirme encore, au sein de la bourgeoisie populaire, la faible représentation des employés (10,8 % au lieu de 22,8 %) comparativement à la bonne tenue des petits patrons.

La richesse du dénombrement permet d’entrer plus avant dans l’examen du positionnement social des cyclistes associatifs, en ventilant les données, d’une part chronologiquement, en trois phases quadriennales - 1888 à 1891, 1892 à 1895, 1896 à 1899 - (graphiques 13 et 14) 541 , d’autre part géographiquement, en quatre groupes de localités rurales (moins de 3000 h.) et urbaines - petites villes (3 à 10 000 h.), moyennes (10 à 50 000 h.) et grandes ( 50 000 h. et plus) - (graphiques 15 et 16) 542 . Le commentaire peut même s’appuyer, avec des bases suffisamment fermes, sur le croisement de ces deux variables chronologiques et spatiales 543 .

Graphique 13. : Répartition socioprofessionnelle des cyclistes associatifs par période quadriennale (1888-1899).

Sources : Arch. dép. et mun. Et CHÉRIÉ A. et M. : Annuaire général…, op. cit.

Graphique 14. : Statut social des cyclistes associatifs par période quadriennale (1888-1899).

Sources : idem graphique 13.

Graphique 15. : Répartition socioprofessionnelle des cyclistes associatifs par groupe de population (1888-1899).

Sources : Arch. dép. et mun. ; CHÉRIÉ A. et M. : Annuaire général…, op. cit. ; DUPEUX G. : Atlas historique…, op. cit.

Graphique 16. : Statut social des cyclistes associatifs par groupe de population (1888-1899).

Sources : idem graphique 15.

Au vu des statistiques particularisées, les fluctuations sociologiques se révèlent plus complexes que ne le laissaient transparaître les chiffres globaux.

Notes
533.

Alfred Chérié obtient 114 listes avec indication des professions. Une majorité des sociétés se contentent de lui fournir les noms de leurs adhérents, quelques unes s’en tiennent à l’effectif global, à la raison qu’indique l’International club de Nice : “ La société n’est pas d’avis de vous donner les noms, prénoms et professions des membres qui la composent ”.

534.

 Cf. Annexe stat. D 11 : Répartition socioprofessionnelle des cyclistes associatifs (1868-1914). Graphique et tableau – et Annexe stat. D 12 : Statut social des cyclistes associatifs (1868-1914) – graphique et tableau.

535.

Que ce soit en 1890, à la section lyonnaise, en 1891, dans cinq autres sections, le club alpin français est peuplé au moins aux deux-tiers par des “ notables ”, tels que nous les avons définis. Toutefois la composition sociale de la société des alpinistes dauphinois en 1895 révèle un effectif majoritaire de bourgeoisie populaire. Cf. LEJEUNE D. : Les “ alpinistes ” en France…, op. cit., pp. 56 à 63.

536.

“ Fonctionnaires, professions libérales et rentiers divers constituent ainsi le gros du recrutement des sociétés savantes ”. CHALINE J.P. : Sociabilité et érudition…, op. cit., p. 111.

537.

Le dictionnaire biographique de Saône-et-Loire, publié en 1897, démontre l’attrait des “ élites ” pour les sociétés savantes, les syndicats et organisations professionnelles, les sociétés de courses hippiques et les institutions philanthropiques. DUMONS B. : “ Élites locales et villes moyennes : le cas du département de la Saône-et-Loire au XIXème siècle ” in COMMERÇON N. et GOUJON P. : Villes moyennes : espace, société, patrimoine, Lyon, P.U.L., 1997, pp. 315-325.

538.

Ce sont : Allier : Pédale bourbonnaise (1899) ; Ardennes : Club des cyclistes ardennais (1892) ; Cantal : Guidon sanflorain (1896) ; Cher : Union vélocipédique (U. V.) de Baugy (1896) ; Côtes du Nord : Société vélocipédique (S. V.) de St-Brieuc (1892) ; Doubs : S. V. de Valentigney (1892) ; Eure : S. V. bernayenne (1890) ; Finistère : Véloce-club (V. C.) chateaulinois (1893) ; Gironde : S. V. d’Arcachon (1893) ; Indre-et-Loire : Vélo-sport (V. S.) d’Indre-et-Loire (1892), Pédale bléroise (1894) ; Landes : V. C. montois (1892) ; Loiret : S. V. la Lionnaise (1897) ; Maine-et-Loire : Cycle baugeois (1893), V. C. pouancéen (1893) ; Haute-Marne : V. S. andelotien (1896) ; Mayenne : U. V. lavalloise (1894), V. C. gorronnais (1896) ; Morbihan : V. C. pontivyen (1893) ; Nièvre : Société des cyclistes de Clamecy (1892), Pédale St-Pierroise (1899) ; Nord : Pédale valenciennoise (1891) ; Oise : V. S. clermontais (1890), Joyeux de Guiscard (1898) ; Hautes-Pyrénées : V. C. bigourdan (1898) ; Pyrénées orientales : V. C. roussillonnais (1892) ; Rhône : Football-club de Lyon (1894) ; Sarthe : U. V. de la Sarthe (1893 à 1895), S. V. de La Fresnaye (1898) ; Haute-Savoie : V. C. d’Annecy (1888) ; Seine-et-Marne : S. V. de Melun (1889) ; Deux-Sèvres : Pédale chef-boutonnaise (1895) ; Tarn : V. C. castrais (1892) ; Vendée : V. C. sablais (1892).

539.

Aristocratie : 0,3 % (0,3), personnel politique : 5,5 % (0,5), propriétaires : 7,6 % (6,2), “ capacités ” : 14,8 % (9), fonctionnaires intermédiaires : 6,5 % (3,9), négociants : 14,2 % (11,3), divers : 1 % (0,7). Le chiffre entre parenthèses correspond au pourcentage tous membres confondus.

540.

Arch. dép. Var, 8M 16/25, Statuts, janvier 1891.

541.

Cf. Annexe stat. B 4 : Répartition socioprofessionnelle des cyclistes associatifs par période quadriennale (1888-1899) – tableau – et Annexe stat. B 5 : Statut social des cyclistes associatifs par période quadriennale (1888-1899) – tableau.

542.

Cf. Annexe stat. B 6 : Répartition socioprofessionnelle des cyclistes associatifs par groupe de localité (1888-1899) – tableau – et Annexe stat. B 7 : Statut social des cyclistes associatifs par groupe de localité (1888-1899) – tableau.

543.

Cf. Annexe stat. B 8 : Répartition socioprofessionnelle des cyclistes associatifs par période quadriennale et groupe de population (1888-1899) – tableaux – et Annexe stat. B 9 : Statut social des cyclistes associatifs par période quadriennale et groupe de population (1888-1899) – tableaux .