2-2-1 Les petits patrons.

Les petits patrons du commerce et de l’artisanat s’affirment au fil des ans comme les plus fidèles adeptes de la sociabilité cycliste : leur taux passe de 30,1 % entre 1888 et 1891 à 41 % entre 1896 et 1899. Ils relèguent alors les notables à plus de 10 %. Même si la part des petits patrons croît dans les quatre classes de localités, leurs positions sont d’abord affermies par l’entrée de la campagne en vélocipédie. N’y atteignent-ils pas leur plus fort niveau - 44 % - avec même une pointe à 46 % entre 1892 et 1895 ? Leur supériorité est moindre dans le milieu urbain - les taux diminuent en allant des petites aux grandes villes - mais elle est quand même effective partout entre 1896 et 1899. Autre preuve de la suprématie de cette composante de la bourgeoisie populaire : dans un cas sur cinq - 93 sociétés sur 465 ⁵⁴⁴ - elle est majoritaire voire confisque l’association avec les 2/3 des membres à la Pédale d’Illiers en 1892 ⁵⁴⁵ , les 3/4 au Club des cyclistes bordelais en 1892 ⁵⁴⁶ ou au Véloce-club de Beaupreau en 1895 ⁵⁴⁷ , les 9/10 à Montpellier-vélo en 1892 ⁵⁴⁸ ou à l’Union vélocipédique du Neubourg en 1891 ⁵⁴⁹ et la totalité à la Pédale toulousaine en 1899  ⁵⁵⁰ ; et ce ne sont que des exemples.

Quels que soient les lieux, marchands et artisans du secteur des métaux accaparent le quart de l’effectif. Parmi eux l’influence des spécialistes du cycle ne se dément pas, qu’ils en fassent leur unique activité ou qu’ils la couplent à l’armurerie, l’horlogerie, la serrurerie, la librairie, la photographie, la coiffure, la tenue d’un café ou à un emploi de clerc d’avoué ou de commis de banque. D’après l’annuaire de Chérié, près de 90 % des sociétés leur ouvrent leur porte avec une fois sur deux un seul représentant ⁵⁵¹ , ce qui peut conduire à une certaine tutelle de ce dernier. Par exemple, les Cyclistes des Buttes-Chaumont dont le président est fabricant, montent à 90 % des deux-roues sortis de ses ateliers ⁵⁵² . À l’Union vélocipédique de Tours, les membres contestent le président qu’ils accusent d’avoir transformé la société en “ agence commerciale ” depuis qu’il a accepté, contre l’avis des sociétaires, l’entrée d’un marchand de machines dont il fait la promotion ⁵⁵³ .

La présence de plusieurs vélocistes limite ce risque. La Société des vélocipédistes dijonnais accueille les six de la ville, le Véloce-club rennais en attire neuf des dix que compte la capitale bretonne. D’autres clubs s’exonèrent de toute difficulté en incorporant dans leurs statuts l’interdiction d’admettre ‘“ tous fabricants ou marchands de bicyclettes ”’ ⁵⁵⁴ . Un plus grand nombre, “ afin de ne marquer aucune préférence pour l’un ou les autres des marchands de vélocipèdes de la région ” ⁵⁵⁵ , s’ils les acceptent comme simples membres, les écartent des postes de dirigeants. Au début des années 1890, la mention fleurit un peu partout en France ⁵⁵⁶ et en Isère, le Vélo-club de La Tour-du-Pin exclut non seulement les fabricants, les agents et les marchands, mais aussi les ouvriers et employés du cycle ⁵⁵⁷ . L’U.V.F. n’est pas étrangère à ce mouvement. Dès 1887, nous l’avons vu, son congrès prend une telle mesure vis à vis des membres des jurys de courses et deux ans plus tard, elle l’impose à son comité en étendant l’ostracisme au monde de la presse. Mais les fortes imbrications entre dirigeants uvéfistes et monde de la presse et du négoce vélocipédiques conduisent à l’abrogation de la décision trois ans plus tard. Le même revirement se produit dans la plupart des sociétés qui choisissent finalement, plutôt que la totale autonomie, de bénéficier d’avantages - avec contrepartie - tels que des remises pour les sociétaires, l’octroi de prix en matériel à l’occasion des courses ou encore, autre procédé courant, la décoration de la salle de banquet ou de bal par l’exposition de machines ⁵⁵⁸ .

Les quelques interdictions prises à leur égard soit d’adhérer, soit d’être dirigeant ⁵⁵⁹ , n’empêchent pas les débitants de boisson et autres hôteliers de constituer, après les travailleurs des métaux, le groupe le plus étoffé, intéressés qu’ils sont, eux aussi, au développement de cette nouvelle activité. Un petit patron sur sept, et même près de un sur deux parmi les membres honoraires ⁵⁶⁰ , appartient à cette catégorie qui devance le secteur de l’alimentation et celui du bâtiment, trois professions surtout présentes à la campagne. En effet dans les communes rurales, les photographes, libraires, imprimeurs, marchands de nouveautés, bien représentés dans les villes, cèdent la place aux cafetiers, maçons, bouchers et autres boulangers.