L’autre composante de la bourgeoisie populaire, à savoir les “ employés ” - fonctionnaires subalternes compris -, régresse au cours des douze années de la période. Sa part dans l’effectif associatif chute de 25% et en 1896-1899, les “ employés ” sont deux fois moins nombreux que les petits patrons (20,5% contre 41%) alors qu’ils s’en approchaient en 1888-1891 (27,1% contre 30,1%). La propagation de la sociabilité cycliste vers les zones rurales les dessert. Ils y obtiennent leur plus faible pourcentage (17%). D’ailleurs leur influence, à l’inverse de la boutique et de l’atelier, se restreint au fur et à mesure que la taille des localités d’implantation décroît. Les grands centres urbains constituent leurs théâtres de prédilection d’autant plus qu’ils réussissent à y progresser au fil du temps - de 28,1% à 29,4% - alors qu’ils reculent partout ailleurs. Ce dynamisme dans les villes de première importance, le plus souvent lieux de négoce actif, repose sur les bataillons bien fournis d’employés de commerce alors que dans les sociétés rurales dominent par contre les clercs de notaire, d’avoué ou les petits fonctionnaires (instituteurs, agents des finances, des postes, des ponts et chaussées…).
- de 3000 h | 3 à 10 000 h | 10 à 50 000 h | 50 000 et + | Total | ||||||
Nb. | % | Nb. | % | Nb. | % | Nb. | % | Nb. | % | |
commerce | 105 | 16,3 | 161 | 18,1 | 230 | 26,4 | 337 | 31,9 | 833 | 24,1 |
bureau | 419 | 64,9 | 457 | 51,4 | 394 | 45,2 | 336 | 31,8 | 1606 | 46,3 |
contremaître | 8 | 1,2 | 27 | 3 | 21 | 2,4 | 15 | 1,4 | 71 | 2 |
sans précision | 114 | 17,6 | 245 | 27,5 | 227 | 26 | 369 | 34,9 | 955 | 27,6 |
Total | 646 | 100 | 890 | 100 | 872 | 100 | 1057 | 100 | 3465 | 100 |
Sources : Arch. dép. et mun. ; CHÉRIÉ A. et M. : Annuaire général…, op. cit. ; DUPEUX G. : Atlas historique…, op. cit. |
Nota.
Les “ employés ” pour lesquels la spécialité n’est pas indiquée, appartiennent en majeure partie au secteur commercial.
Les listes disponibles d’adhérents minorent le taux des employés du fait de l’intégration trop partielle, pour ne pas dire insignifiante, de l’agglomération parisienne. Sept relevés seulement la concernent sur les 490 recensés 561 . Or, dans les sociétés parisiennes et de la banlieue, la présence des employés est majoritaire : 57% parmi plus de 300 membres en 1892 562 . Pourtant, à cette date, Paris-Vélo n’a pas encore lancé l’idée d’organiser des épreuves à l’intention des cyclistes des maisons de nouveautés sous le nom de “ Sport pour tous ”. Il le fait l’année suivante. D’abord disputées au sein de chaque établissement, ces courses débouchent en 1894 sur une compétition commune intitulée “ intermagasins ”. En même temps que s’institutionnalisent les épreuves, de nouvelles sociétés se structurent. Celle du Bon Marché fondée le 26 avril 1892 est rejointe par ses consoeurs de la Belle Jardinière, du Louvre, de la Samaritaine, de St Joseph et de la Grande Fabrique, de la Ville de St Denis…L’U.S.F.S.A. pénètre le mouvement et dote l’intermagasins d’un challenge à partir de 1896 (Cf. Figure 7). Le succès est amplifié au point que lors de l’épreuve de 1898 “ on ne s’écrasait plus autour de la piste, on se portait littéralement ” 563 . En outre, aux sociétés des grands magasins s’ajoutent des véloces-clubs d’autres corporations pour lesquelles l’U.S.F.S.A. institue en 1897 un challenge spécifique, inter-corporations celui-là, sur le modèle de l’intermagasins 564 . La vélocipédie corporative bat alors son plein et, juste retour des choses, 18 sociétés d’entreprises ou de branches d’activité sont affiliées à la fédération d’amateurs en 1898 contre une seule en 1895. S’y mêlent des corporations du commerce et de l’artisanat (grands magasins, cuirs et peaux, articles de Paris, bijouterie…) à d’autres de services administratifs (bourse ou universités). La première corporation de ce type à rejoindre la sociabilité cycliste semble être celle des postes et télégraphe. Son union vélocipédique se déclare en 1892 à Paris dans le but de “ faciliter l’achat de machines dans les meilleures conditions ” 565 avant qu’en 1893 une modification de statuts lui assigne des objectifs sportifs. Suivent ensuite l’Union vélocipédique de la Banque de France (1894), l’Association de la Bourse cycliste (1895), la Société vélocipédique des Universités (1895)… Le Club cycliste des sourds-muets, par son homogénéité identitaire et sa localisation, peut être associé aux sociétés corporatives parisiennes. Il débute son activité en mars 1899 et installe son siège social à proximité de l’Institut national des jeunes sourds. La communauté silencieuse affirme ainsi son existence et le cyclisme contribue à y réhabiliter l’usage du corps 566 .
In La Bicyclette, 3 septembre 1896.
In La Bicyclette, 13 mai 1897.
En province, Bordeaux joue un rôle de pionnier. En 1892, le Vélo-touriste bordelais, créé en 1890, est exclusivement constitué d’employés. Trois ans plus tard, par son intitulé, le Vélo-touriste commercial revendique ouvertement son originalité qui est de ‘“ grouper les employés de commerce de la place ”’ ‘ 567 ’ ‘.’ Se créent encore dans la ville des bords de la Gironde la Réunion amicale de la pédale foraine (1894) 568 , la Société des cyclistes coiffeurs-parfumeurs girondins (1896), l’Union cycliste des postes et télégraphe de la Gironde (1897)… Ailleurs les créations ne revêtent pas la même ampleur - une Union vélocipédique des coiffeurs de Rennes fonctionne en 1895 - même si en 1897 voisinent à Lyon deux associations cyclistes de magasins : le Vélo-club Sineux et celui des Cordeliers, autant de groupements d’ailleurs dont les relevés de sociétaires ne nous sont pas parvenus.
Des lacunes identiques affectent la catégorie des notables et nous amèneront à apporter des correctifs à l’analyse basée sur les données statistiques, analyse qui conduit à un premier constat.
Avec 1,2 % des occurrences, nous sommes loin des 16,6 % de l’effectif des clubs français que groupe l’agglomération parisienne en 1895.
6 des 7 clubs, hormis le Véloce-club de la Rive gauche (22,7%) dépassent les 40% avec pour 4 d’entre eux des taux égaux ou supérieurs à 65%. L’Union vélocipédique de Clichy atteignant 81,6%. CHÉRIÉ A. et M. : Annuaire général…, op. cit., pp. 51-65.
La Vie au grand air, 15 septembre 1898. Lors de cette édition remportée par le Bon Marché, neuf magasins s’affrontent.
Après que le conseil de l’U.S.F.S.A. a ratifié la création du fait du “ grand nombre de courses corporatives données sous les règlements de l’Union ”, la commission de vélocipédie décide d’appliquer le même règlement que celui antérieurement établi pour l’intermagasins. Le challenge est décerné à la suite d’une épreuve de 2000 m. courue par séries comprenant un coureur de chaque corporation. Le classement s’effectue par addition des points des concurrents lors des séries. Les Sports athlétiques, 25 août 1897.
Arch. nat., F7/12 376b /547. Les statuts de 1892 précisent que l’Union veut “ mettre à la portée de chacun un moyen de locomotion agréable et rapide qui peut leur permettre de chercher des conditions de vie matérielle meilleures en éloignant leur domicile des grands centres de population ”.
SÉGUILLON D. : De la gymnastique amorosienne au sport silencieux : le corps du jeune sourd entre orthopédie et intégration ou l’histoire d’une éducation “ à corps et à cris ”, 1822-1937, thèse dactylographiée, Bordeaux, 1998, pp. 223-224. La première course à laquelle participent de jeunes sourds, se déroule sur 100 km. entre Épernay et Mézières à l’initiative de l’Union vélocipédique d’Épernay en 1891.
Arch. dép. Gironde, 1R 112, octobre 1894.
Cette société qui regroupe les vélocipédistes pratiquant parmi les forains, ne comporte ni président ni dignitaires et les adhérents ne paient aucune cotisation. Ils doivent par contre appartenir soit à l’U.V.F., soit au T.C.F. Le Vélo, 15 août 1894.