2-3-2 Étudiants et lycéens.

Avant tout présents dans les villes moyennes (4,2%) et les grands centres (4,7%), les étudiants et les lycéens arrivent à un taux global modeste (3,5%) qui ne rend que partiellement compte de leur véritable poids à l’intérieur de la sociabilité cycliste du fait d’une double sous-estimation. À quoi tient cette sous-évaluation ?

D’abord au motif déjà mis en avant à propos des employés et de l’aristocratie, à savoir la quasi-absence des listes de la capitale. La majeure partie des sociétés de l’U.S.F.S.A. - elles sont aux deux-tiers parisiennes (cf. infra) - se trouvent ainsi éliminées, or certaines regroupent un grand nombre de jeunes fréquentant les établissements d’enseignement. Par exemple l’Association vélocipédique d’amateurs qui dès 1891, en installant son siège social dans le quartier latin, ‘“ a planté son drapeau au milieu de la jeunesse des lycéens, des étudiants futurs ou présents”’ ‘ 589 ’ ‘.’

Le second handicap s’explique par la réticence des services préfectoraux à autoriser les sociétés composées de mineurs 590 , réticence qui incite la plupart des groupements exclusivement scolaires à se dispenser de toute déclaration. Parmi les véloce-clubs lycéens, ceux de Bar-le-Duc (Rapid club barisien 591 ) et de Dijon (Amical cycle de Dijon 592 ) font exception. Sinon, qu’il s’agisse de l’ Union vélocipédique du lycée de Lille, de son homologue alençonnaise, de la Pédale bahutière moulinoise, des Véloce-clubs lycéens de Niort ou de Bordeaux, du Pédale-club angevin, aucun n’entreprend de démarche officielle. Pourtant peu de temps après leur création, ces deux dernières associations dépassent les 20 membres 593 . Manquent également à l’appel les adeptes du deux-roues pratiquant dans les sociétés multisports de tel ou tel établissement d’enseignement - elles appartiennent pour la plupart à l’U.S.F.S.A. dans le cadre des associations athlétiques scolaires -, de même que leurs aînés des sections vélocipédiques des “ associations générales ”, “ unions sportives ” ou “ sociétés générales ” d’étudiants telles qu’elles fonctionnent dans nombre d’universités. Ce sont donc les lycéens et les étudiants qui affirment le plus nettement leur identité sociale en intégrant une association à eux réservée qui ne se retrouve pas dans les statistiques. En conséquence les taux des villes moyennes et des grandes agglomérations - les lieux d’implantation des lycées et facultés - sont particulièrement touchées. L’écart entre ces deux catégories de localités et le reste du territoire, déjà significatif, est en réalité plus accentué encore, mais sans qu’aucun taux puisse être avancé. Un bref historique de la vélocipédie scolaire apporte toutefois quelques enseignements.

Ses origines sont à rechercher dans le mouvement qui, à la fin des années 1880, s’inspirant des méthodes utilisées dans les collèges anglais, aboutit, à la suite d’actions concurrentes, à la mise en place dans le milieu scolaire des premières associations et compétitions sportives. C’est ainsi qu’en 1889, à l’initiative de Georges de Saint-Clair et de Pierre de Coubertin, naît l’U.S.F.S.A. et que sont organisés les premiers lendits - concours scolaires d’exercices physiques - de la Ligue nationale de l’éducation physique, à Paris sous l’action de Paschal Grousset, à Bordeaux ceux de la Ligue girondine d’éducation physique grâce au docteur Philippe Tissié 594 . L’éclosion du premier véloce-club lycéen, celui de Bordeaux (1888), s’insère dans cette phase initiale. Les autres voient le jour entre 1890 et 1895 595 , à l’exception de l’Amical club de Dijon constitué tardivement en 1899. Les sections vélocipédiques d’associations estudiantines naissent aussi majoritairement dans la première moitié des années 1890 (Bordeaux 1890, Toulouse 596 et Caen 597 1892, Montpellier 598 1894) puis s’essoufflent au-delà. À l’Association générale des étudiants bordelais ‘“ à partir de l’année universitaire 1895-1896, l’activité cycliste connaît un net déclin’  ” 599 , le challenge inter-facultés parisien instauré en 1895 par l’U.S.F.S.A. - l’idée en reviendrait au futur Dr Ruffier, à l’époque étudiant en médecine 600 - ne prend pas une grande extension et disparaît en 1899. Enfin si l’Association générale des étudiants de Montpellier organise le 26 mai 1898 six courses, sur la route de Palavas, la moyenne des partants pour chacune d’elles n’est que de cinq cyclistes 601 . L’évolution “ en chapeau de gendarme ” avec le maximum des effectifs entre 1892 et 1895 se trouve ainsi confirmée.

Elle l’est aussi à considérer les associations scolaires affiliées à l’U.S.F.S.A.. En effet, le pourcentage croissant de celles déclarant s’adonner au cyclisme - il double de 1894 à 1898 602 - ne doit pas occulter la vie chaotique des championnats interscolaires. Ils sont institués en 1891 et les adaptations de leur programme, les fluctuations de la participation indiquent clairement que l’engouement lycéen s’essouffle rapidement. La première édition, courue sur la piste de St James à Neuilly, comporte quatre épreuves : deux de vitesse - catégories des juniors (moins de 16 ans) et des seniors (16 ans au moins) - sur la distance du mile anglais (1609m.) et deux de fond sur 4km. (juniors) et 10km. (seniors). En 1895, le championnat de fond juniors n’est pas organisé et l’année suivante la partition juniors-seniors disparaît. L’Union ne décerne alors plus que deux titres : vitesse (1km. au lieu du mile anglais à partir de 1895) et fond (10km.). La participation connaît une phase ascendante jusqu’en 1895 (plus de 40 inscrits contre 19 en 1892) mais décline ensuite rapidement (17 inscrits en 1898). Il est vrai qu’en 1896, faveur des courses sur route oblige, est institué un challenge interscolaire sur 30km. L’expérience n’est pas très probante et surtout, à l’instar des championnats, elle n’attire que les Parisiens. Les 37 titres individuels ou par équipes décernés entre 1891 et 1901 reviennent tous à des établissements de la capitale 603  ; en province l’activité est très ponctuelle et semble plutôt rythmée par la préparation des lendits que par des organisations unionistes 604 .

Le rapport présenté à la commission pédagogique de l’U.S.F.S.A. en novembre 1894 par E. Maneuvrier fait écho à cette extension limitée. Intitulé “ Les associations athlétiques dans l’enseignement secondaire ” 605 , il traite la vélocipédie en parent pauvre. Demande-t-il des terrains d’évolution, il néglige les vélodromes, liste-t-il les activités, il occulte le cyclisme. Tout au plus signale-t-il que trois associations, à Angoulême, Mâcon et Laon, entretiennent de bons rapports avec les sociétés vélocipédiques locales. À l’évidence les dirigeants de l’Union privilégient les sports athlétiques, activités initiales de la fédération et activités qui posent moins de problèmes matériels (remisage des machines par exemple) et d’encadrement dans les établissements secondaires. La création de l’Association vélocipédique de l’enseignement en 1895 - elle devient Union vélocipédique en 1896, puis Société vélocipédique des universitésen 1897 - à l’initiative de membres du corps enseignant, ne remédie pas au problème en dépit du but revendiqué de ‘“ propager et développer le goût de la vélocipédie chez les élèves des différents établissements d’instruction de France ”’ ‘ 606 ’ ‘. ’

Les lendits, qu’ils soient nationaux, académiques ou d’établissements 607 , corroborent l’impact déclinant et limité de la vélocipédie en milieu scolaire. Dans le Sud-ouest, les quatre épreuves de 1890 608 cèdent la place à une seule en 1893, laquelle disparaît dès 1899 609 . Quant aux associations sportives scolaires qui s’y constituent sous l’action de la Ligue girondine, elles investissent d’autres disciplines dont prioritairement la “ barette ”, forme adaptée de football-rugby.

Les étudiants et lycéens, même si leurs effectifs dépassent ceux avancés dans les statistiques, n’ont donc pas, dans le cyclisme, l’influence décisive qu’on leur accorde dans les sports athlétiques. Non seulement ils n’en sont pas les initiateurs, mais encore ils ne participent que ponctuellement à son extension 610 et dès le milieu des années 1890 préfèrent définitivement les sports anglais.

Notes
589.

La France cycliste, février 1892.

590.

Le préfet du Rhône explique son refus d’autoriser le Cercle des sports – il ne compte que trois membres majeurs dont deux au bureau – par le “ peu de garantie de vitalité et de durée ” qu’offre une telle société et par ses insuffisances “ au point de vue de la solvabilité ”. Ce dernier point apparaît le plus déterminant, l’administration voulant avant tout “ sauvegarder les droits des tiers ”. Arch. dép. Rhône, 4M 603, Lettre du 23 février 1895.

591.

Le Rapid club barisien n’est autorisé qu’à sa seconde demande, après avoir précisé ses statuts et modifié ses buts qui, de “ réunir les vélocipédistes qui désirent se promener ensemble ” deviennent “ former des vélocipédistes capables de rendre des services à l’armée ”. Arch. dép. Meuse, 251M 1, Statuts novembre 1890 et avril 1891.

592.

Le préfet accorde l’autorisation à cette société, née au sein des externes du lycée Carnot, en insistant sur le consentement et donc la responsabilité clairement acceptée des parents et tuteurs. Arch. dép. Côte-d’Or, 20M 1075, Statuts novembre 1899.

593.

Le Véloce-club lycéen de Bordeaux est fort de 28 membres en décembre 1888 (le Véloce-Sport et le Veloceman, 13 décembre 1888), le Pédale-club angevin de 21 membres actifs et 9 honoraires en décembre 1891 (la France cycliste, 1er décembre 1891).

594.

Sur ces diverses innovations, cf. ARNAUD P. : “ L’Union des sociétés françaises de sports athlétiques ou la construction de l’espace sportif dans la France métropolitaine (1887-1897) ”, in ARNAUD P. et TERRET T. : Le sport et ses espaces…, op. cit., pp. 287-312, pp. 291-294 ; LEBECQ P.A. : Paschal Grousset et la ligue nationale de l’éducation physique, Paris, L’Harmattan, 1997, pp. 104-133 ; AUGUSTIN J.P. et GARRIGOU A. : Le rugby démêlé, essai sur les associations sportives, le pouvoir des notables, Bordeaux, Éd. Le Mascaret, 1985, pp. 28-38.

595.

Rapid club barisien (1890), cf. supra note 22, Union vélocipédique du lycée de Lille (1891) et du lycée d’Alençon (1892), THÉVIN F. et HOURY C. : Annuaire général de la vélocipédie…, op. cit., 1897 ; Pédale-club angevin (1891), cf. supra note 24, Véloce-club lycéen de Niort (1893), La France cycliste, 22 février 1893 ; Pédale bahutière moulinoise (1895), Le Centre sportif, 12 janvier 1895.

596.

Annuaire de Haute-Garonne, 1893.

597.

Arch. dép. Calvados, M 3637, Statuts de l’Union sportive des étudiants de Caen, 15 décembre 1892.

598.

La Vie montpelliéraine, 1er décembre 1894. 27 adhérents à la fondation.

599.

CALLÈDE J.P. : “ La naissance du sport universitaire à Bordeaux et les débuts du B.E.C. (1880-1907) ”, in ARNAUD P. et GARRIER G. : Jeux et sports dans l’histoire, Paris, Éditions du C.T.H.S., 1992, 2 tomes, pp. 65-87, p. 75. Ce déclin contraste avec l’année 1893 où les étudiants bordelais affrontent lors de deux matchs inter-universitaires leurs condisciples toulousains. Ibid, p. 75.

600.

RUFFIER Dr : “ Cinquante ans de cyclisme ”, Le Cycliste, juin 1936.

601.

La Vie montpelliéraine, 15 mai et 5 juin 1898.

602.

Déclarent s’adonner au cyclisme 16 associations sur 63 (25%) en 1894, 22 sur 69 (32%) en 1896 et 40 sur 75 (53%) en 1898. Annuaires de l’U.S.F.S.A., 1894,1895-1896 et 1898-1899.

603.

Onze établissements se partagent ces 37 titres. Le lycée Condorcet est vainqueur à huit reprises, Charlemagne six fois, Janson de Sailly cinq fois, le collège Rollin quatre fois…

604.

Le premier championnat interne à un établissement, signalé par Les Sports athlétiques (6 juin 1891), se déroule au lycée du Mans le jeudi 4 juin 1891. Le mois suivant sont annoncés des championnats interscolaires de Normandie à Caen. Ensuite l’élan tourne court. Les Sports athlétiques ne signalent plus que de rares compétitions. Lors des fêtes marquant le jubilé de l’Union, une seule association scolaire, l’Avant-garde du lycée de Bourges, organise des courses. Elles se déroulent le 27 novembre 1892, au matin. Annuaire de l’U.S.F.S.A., 1892-1893.

605.

Ce rapport qui fait le point sur la situation des sociétés athlétiques, dans le but de les développer, est paru dans la Revue internationale de l’enseignement du 15 décembre 1894 ainsi qu’en fascicule (Paris, A. Colin, 1895). L’auteur y regrette leur extension encore limitée : “ c’est donc tout au plus si un établissement sur quinze est dotée d’une société de jeux, et si un élève sur vingt fait partie d’une association ! ”, p. 9.

606.

Arch. nat. F7 12376 b/548. Lors de la demande d’autorisation, le comité directeur de 8 membres comprend 7 professeurs (école Arago, collège Chaptal, école centrale, association polytechnique, écoles commerciales) et le directeur de la galerie française. La première organisation, deux parcours de 50 et 100 km. le 5 mai 1895, s’adresse aux “ élèves des lycées, collèges, écoles et institutions de l’Académie de Paris ”. Les Sports athlétiques, 16 mars 1895.

607.

Pour un historique général des lendits, cf. LEBECQ P.A. : Paschal Grousset…, op. cit., pp. 177-194 ; cf. également THIVOLLE M. et BRUN NOBLET J. : Les lendits girondins de Philippe Tissié entre 1888 et 1903, mémoire de licence dactylographié, Lyon, 1989 ; DESQUENNES J. : “ Aux origines du sport dans le Calvados : le lendit normand 1892-1895 ”, Annales de Normandie, 1984, n°4, pp. 381-396. À signaler qu’un cinquième lendit normand se déroule au Mans en 1898, cf. POYER A. : Les débuts du sport en Sarthe…, op. cit., p. 99 et POYER A. : “ Les activités physiques dans les établissements scolaires de la ville du Mans avant 1914 ”, in ARNAUD P. et TERRET T. (sous la dir. de) : Sport, éducation et art. XIXème-XXème siècles, Paris, Éditions du C.T.H.S., 1996, pp. 177-196, pp. 194-195.

608.

Ce sont deux rallie-papier courus à l’ouest de Bordeaux, une course de bicycles et une autre de tricycles disputées au vélodrome de St Augustin. Le Véloce-Sport, 15 mai 1890.

609.

La tentative d’implanter la bicyclette aux lendits des écoles primaires de Bordeaux périclite rapidement de la première édition en 1896 à la dernière en 1898.

610.

Le Véloce-club lycéen de Bordeaux, deux ans après sa création, se mue en Young cycle-club qui accueille des jeunes gens extérieurs à l’établissement. Le Véloce-Sport, 22 mai 1890.