2-6. Évolution selon les âges et les sexes.

La moyenne d’âge des présidents (33 ans 2 mois) et des vice-présidents (32 ans 1 mois) dépassent assez nettement celle des secrétaires (26 ans 6 mois) et des trésoriers (28 ans 2 mois). L’écart est moindre entre les dirigeants pris dans leur globalité et les sociétaires. Comme avant 1888,  il demeure limité à deux ans et demi et plaide en faveur d’une osmose aisée à l’intérieur du groupe (cf. Figures 9 et 10).

 
Dirigeants Sociétaires Ensemble
Nb. % Nb. % Nb. %
< 21 ans 31 9,7 677 24,6 708 23
21-25 ans 84 26,2 633 23 717 23,3
26-35 ans 132 41,3 971 35,3 1103 35,9
36-50 62 19,4 411 14,9 473 15,4
>50 ans 11 3,4 61 2,2 72 2,4
total 320 100 2753 100 3073 100
âge moyen 30 ans 2 mois 27 ans 9 mois 28 ans
Sources : Arch. dép. et mun

Qu’il s’agisse des dirigeants ou des sociétaires, les plus de 25 ans sont majoritaires avec, comme contingent dominant, la classe d’âge 26-35 ans. Les mineurs, d’une part fortement sous-représentés dans les comités - moins de 10 % -, n’atteignent toujours pas d’autre part, malgré un taux en légère progression 661 , le quart de l’effectif total des sociétés.

Figure 9. : Le bureau du Véloce-club aiguillonnais (Lot-et-Garonne) en 1897.

In La Bicyclette, 26 août 1897.

Figure 10. : Les coureurs du Véloce-club aiguillonnais (Lot-et-Garonne) en 1897.

In La Bicyclette, 26 août 1897.

Le développement chaotique des groupements scolaires, la faible part des étudiants et lycéens dans les statistiques, le laissaient supposer. Les sociétés civiles contribuent peu à inverser la tendance ; bien au contraire puisque celles dont les statuts prévoient l’accueil de pupilles ou de novices (Véloce-sport toulonnais, 1888) après avoir été 12% entre 1888 et 1891 ne comptent plus que pour 4% entre 1896 et 1899 662 . En outre, qu’une telle catégorie soit envisagée n’implique pas automatiquement l’adoption de mesures destinées à la dynamiser. Une fois sur trois, aucune diminution de cotisation n’est accordée, pour le reste la réduction oscille autour de la moitié 663 et l’exonération totale tient de l’exceptionnel 664 . Les action de formation sont rarissimes. Tout au plus le Vélo-sport havrais prévoit ‘“ des sorties spéciales pour les enfants sous la direction d’un homme expérimenté ”’ 665 et l’Union vélocipédique de la Sarthe inclut dans ses ‘buts “ de généraliser dans les écoles le goût du sport vélocipédique ”’ 666 . En conséquence, privé d’attrait et de vie interne, le groupe des pupilles n’est souvent qu’une coquille vide, que quelques lignes dans les statuts : les statistiques font état d’1% ( !) de moins de 16 ans sur l’ensemble de la période et de 2,5% de sociétés réellement dotées d’une section pupilles en 1892 667 .

La frilosité, pour ne pas dire la méfiance, des associations à l’encontre des mineurs s’exprime aussi au travers de diverses prescriptions tendant à restreindre leurs droits telles que l’interdiction d’assister aux réunions, la privation totale ou partielle du droit de vote ou encore la possibilité de remise en cause de décisions prises par une majorité de mineurs 668 . L’associationnisme cycliste - diffère-t-il d’ailleurs des autres ? - est affaire d’adultes. Les jeunes y sont admis mais à condition qu’ils se satisfassent le plus souvent d’un statut d’infériorité qu’il partage avec les féminines vers lesquelles se tournent de plus en plus les véloce-clubs.

La perception qu’a la société française de la vélocipédie féminine change. Le corps médical oublie ses préventions concernant une pratique censée léser les organes de la procréation. Les publicitaires ne s’y trompent pas et associent à l’envi sur les affiches des marques de cycles femme et bicyclette 669 . Le docteur Tissié, après avoir asséné en 1888 “ la nature ne l’ayant pas faite pour ce genre de sport, j’estime que cette charmante et délicate moitié du genre humain a mieux à faire que de nous imiter ” 670 , revoit son jugement en 1893 : ‘“ les modifications apportées à la fabrication des machines m’a amené à modifier […] quelques idées […]. Je veux surtout parler de l’usage du vélocipède pour la femme, dont je suis le partisan aujourd’hui ”’ 671 . Le docteur Just Championnière fait même de la bicyclette “ le véritable exercice de la femme ” avant la danse, la gymnastique, l’équitation ou le tennis 672 . À entendre Madame le docteur Gaches Sarrantes, avec l’apparition du nouvel engin ‘“ un horizon nouveau s’est ouvert à la femme, elle a entrevu la possibilité de changer ses habitudes, […], elle s’est adaptée au nouveau sport avec une rapidité tout à fait imprévue ”’ ‘ 673 ’ ‘.’ La bicyclette aide à son émancipation et les débats autour du port de la jupe ou de la culotte ne relèvent pas de l’anecdote 674 .

Les sociétés vélocipédiques accompagnent le mouvement sans précipitation : 10 % d’entre elles inscrivent dans leurs statuts l’accueil des féminines 675 et rarement au même rang que les hommes. Le Cycle du Thimerais se singularise en leur accordant les “ mêmes droits et les mêmes devoirs ” que leurs collègues masculins 676 . Les autres groupements, s’ils leur octroient des diminutions de cotisation ou la gratuité, en font des membres subalternes car seulement honoraires ou interdits de réunions délibératives. Hormis le Touring-club de France - pendant deux ans, de 1890 à 1892, un des emplois de secrétaire-adjoint est rempli par une dame 677 - aucune société n’élit une femme à son instance dirigeante. D’une façon générale, la rigueur de la procédure d’entrée est renforcée. ‘“ Les dames pourront être admise comme sociétaires à condition d’être présentées par leur mari, père ou frère faisant déjà eux-mêmes partie du club ”’ 678 . Certaines sociétés exigent même pour les femmes mariées non une simple présentation mais une autorisation écrite du conjoint. Ces dispositions manifestent non seulement la prégnance de la tutelle maritale mais aussi la volonté des sociétés de se prémunir au maximum de toute conduite licencieuse et donc de préserver leur respectabilité. De cette façon les effectifs féminins ne s’envolent pas : à peine 1% sur l’ensemble des associations avec ici ou là une présence plus marquée comme à Cherbourg-pédale où 27 des 300 membres sont des dames 679 . Si des associations uniquement féminines se constituent à Paris - l’Union des dames cyclistes 680 et la Royale 681 - et à Lyon - la Société des dames cyclistes 682 - leur activité n’a pas laissé de trace. Peut-être n’ont-elles pas dépassé le stade de la réunion de fondation. Le cyclisme féminin essentiellement touristique se pratique plutôt en dehors de structures associatives, en famille, entre amis quand il ne s’enferme pas dans l’enceinte des manèges. Peu de clubs imitent l’Union cycliste du Vème arrondissement et organisent des compétitions internes spécifiques 683 . L’U.V.F. n’encourage d’ailleurs pas le mouvement. Son congrès de 1893 repousse la création d’un “ diplôme pour dames cyclistes ” et vote en même temps la suppression des courses grotesques et celle des épreuves de femmes - le rapprochement n’est pas fortuit - entravant de ce fait tout développement réel et toute autonomisation de la compétition cycliste féminine.

Au moment de conclure ce chapitre, il nous faut revenir sur la forte extension prise par la sociabilité cycliste à partir du début des années 1890 dans le sillage du “ boom ” du parc des bicyclettes. En 1899, malgré un ralentissement intervenu dans la seconde moitié de la décennie, la France compte environ 1700 véloce-clubs, soit presque vingt fois plus que douze ans auparavant.

Les groupements pénètrent alors les zones rurales, s’introduisent dans les banlieues, fleurissent à Paris devenu capitale incontestée de la vélocipédie et gagnent, avec toutefois de sensibles différences, l’ensemble du territoire.

Pour autant la répartition sociale s’en trouve peu modifiée. Petits patrons surtout et “ employés ” - les classes nouvelles - poursuivent leur domination. Le rêve de l’excellence sociale un moment caressé, quand, vers 1894-1896, la haute société s’entiche de la bicyclette et fonde des sociétés, s’évanouit rapidement avec l’arrivée de l’automobile. La moyenne bourgeoisie n’est pas plus fidèle que le “ High life ” et au contraire, à la fin de la période, l’adhésion renforcée du monde ouvrier accentue la popularisation.

En dépit de cette permanence d’un impact social déséquilibré, d’une répartition géographique hétérogène - au centre et à la périphérie de l’Hexagone quelques zones conservent un réseau lâche -, la décennie 1890 est au plan sportif celle de l’association cycliste, mais l’appréciation de son influence réelle nécessite que soit maintenant prise en compte la place qu’elle occupe à l’intérieur de la communauté locale.

Notes
661.

Cf. Annexe stat. D 17 : Répartition par groupe d’âge des cyclistes associatifs (1896-1914) – Tableau.

662.

Dans 23 sociétés sur 194 entre 1888 et 1891, 38 sur 385 entre 1892 et 1895 et 18 sur 430 entre 1896 et 1899.

663.

Le Cyclist-club lillois divise bien la cotisation par quatre (de 10F. à 2F.50) mais pour les moins de 7 ans ! Arch. dép. Nord, M1753, Statuts, mai 1890.

664.

Nous avons détecté cinq cas : à la Société des cyclistes de Clamecy, Arch. dép. Nièvre, M 5012, Statuts, juillet 1891 ; au Sport vélocipédique des Flandres (Hazebrouck), Arch. dép. Nord, M 91, Statuts, novembre 1888 ; au Cyclone de Lille, Arch. dép. Nord, M 1758, Statuts, novembre 1899 ; à l’Union vélocipédique de Provence (Marseille), Arch. dép. Bouches du Rhône, 4M 858, Statuts, octobre 1898 et au Cycle de Montaigu, Arch. dép. Tarn-et-Garonne, 4M 558, Statuts, juin1893.

665.

La France cycliste, février 1892.

666.

L’Étoile cycliste, avril 1899.

667.

Sur les 206 clubs répertoriés dans l’Annuaire de A. et M. Chérié, 5 seulement signalent un effectif de pupilles : 15 sur 167 au Sport vélocipédique de Jarnac, 4 sur 31 au Cyclophile auxonnais, 8 sur 46 à Ponthieux-vélo, 31 sur 129 au Véloce-club brestois et 5 sur 41 au Véloce-sport de Libourne. CHÉRIÉ A. et M. : Annuaire général…, op. cit.

668.

Par exemple à la Société vélocipédique carcassonnaise, Arch. dép. Aude, 7m 42, Modification de statuts, juin 1889 ou à celle de Pamiers, Arch. dép. Ariège, 7M 21, Statuts, août 1891. S’il le juge utile, le bureau a “ le droit et le devoir ” de faire réviser le vote par une assemblée à majorité d’adultes.

669.

Cf. LAPLAGNE J.P. : “ La femme et la bicyclette à l’affiche ”, in ARNAUD P. et TERRET T.( sous la dir. de) : Histoire du sport féminin, Paris, L’Harmattan,1996, 2 tomes, pp. 83-94.

670.

TISSIÉ P. : L’hygiène du vélocipédiste, Paris, Doin, 1888, p. 105.

671.

TISSIÉ P. : Guide du vélocipédiste pour l’entraînement, la course et le tourisme, Paris, Doin, 1893, avant-propos, p. x. Le Guide du vélocipédiste est en fait la seconde édition remaniée de L’hygiène du vélocipédiste, lui-même recueil d’articles précédemment parus dans Le Véloce-Sport, dans les années 1887-1888.

672.

Propos tenus lors d’une conférence prononcée le 10 août 1894 à Caen devant “ l’Association française pour l’avancement des sciences ”. La Revue des sociétés de sport du Centre et de l’Ouest en donne le texte in extenso dans ses quatre numéros de mars à juin 1895.

673.

Le Vélo, 11 janvier 1896. Extrait d’une conférence prononcée sur le thème “ Avantages et inconvénients de la bicyclette chez la femme ” à l’initiative du groupe du XVème arrondissement de l’Union des femmes de France.

674.

Un ouvrage est consacré à la question : LORIS C. de : La femme à bicyclette, ce qu’elles en pensent, Paris, May et Motteroz, 1896. L’auteur présente les témoignages sur le costume féminin à bicyclette de femmes “ dont le public connaît déjà l’autorité d’élégance et de goût ”, et de trois artistes masculins parmi lesquels S. Mallarmé s’exprime ainsi : “ Je ne suis, devant votre question comme devant les chevaucheresses de l’acier, qu’un passant qui se gare ; mais si leur mobile est celui de montrer des jambes, je préfère que ce soit d’une jupe relevée, pas du garçonnier pantalon, que l’éblouissement fonde, me renverse et me darde ”, p. 16. Sarah Bernhardt élargit la question : “ Mais le fond du procès, n’est-ce pas dans l’usage de la bicyclette qu’il faut le chercher ! […] Toutes ces jeunes femmes […] qui s’en vont dévorant l’espace renoncent pour une part notable à la vie intérieure, à la vie de famille. Je ne sais si l’intérêt physique est assez considérable pour nous permettre de négliger tout à fait le point de vue moral ”, p. 35.

675.

Un certain nombre de départements situés dans la sphère d’influence parisienne, comme la Seine-et-Oise, la Seine-et-Marne ou l’Oise présentent des taux élevés. À signaler également : un petit nombre de sociétés, dont les statuts ne prévoient pas l’accueil des féminines, en comptent dans leurs effectifs.

676.

Arch. dép. Eure-et-Loir, 4M 249, Statuts, décembre 1894.

677.

Elle est chargée de la correspondance avec les dames. La fonction est supprimée en 1892 mais les femmes étant sociétaires à part entière peuvent être promues à tous les emplois.

678.

Le Cyclophile de l’Isère, décembre 1895, Modifications des statuts du Vélo-club grenoblois. Les deux-tiers des sociétés acceptant les féminines adoptent ce genre de formule.

679.

Le Vélo, 29 mai 1896.

680.

La Bicyclette dans son numéro du 26 avril 1895 signale la présence de vingt dames à la réunion de fondation et annonce une première excursion le lundi de Pentecôte.

681.

THÉVIN F. et HOURY C. : Annuaire général de la vélocipédie et des industries qui s’y rattachent…, op. cit.

682.

Ibid.

683.

Le Vélo, 2 mai 1896. Deux féminines disputent la course de classement qui leur est réservée.