1-1-2 L’action des associations.

Sans trop sacrifier au culte de la statistique, quelques repères quantitatifs sont utiles afin de démontrer le changement d’état d’esprit des associations.

Ainsi sont-elles plus nombreuses à opter en faveur d’une dénomination incluant les termes “ touring ”, “ tourisme ”, “ touriste ” ou “ excursionniste ”. La progression, sans être spectaculaire, n’en est pas moins sensible. De 1,6% avant 1888, elles s’élèvent à 3,4% entre 1888 et 1899 avec une pointe à 5 % au cœur de la période (cf. tableau 34). Or ces chiffres n’épuisent pas la veine des sociétés à pratique touristique primordiale, voire exclusive, car certaines - par exemple l’Union régionale des cyclistes de Lyon fondée en 1889 702 , le Vélo-club de Pontcharra déclaré en 1896 703 ou encore l’Union vélocipédique de Nanteuil-le-Haudouin de 1899 704 … - jettent leur dévolu sur une appellation neutre.

Figure 11. : Maurice Martin : Uniforme et bagage du touriste.

In VIOLLETTE M. : Le cyclisme…, op. cit., p. 15.

Figure 12. : L’Union vélocipédique de la Sarthe en 1892.Variétés des machines et des tenues.

In Arch. dép. Sarthe, Fonds G. Jagot.

Ensuite, les véloce-clubs qui, explicitement, inscrivent dans leurs buts l’organisation d’excursions concurremment à la compétition, deviennent majoritaires : 55% au lieu de 47% avant 1888 705 .

Enfin, l’essor est plus spectaculaire quant à l’intégration d’un responsable des promenades parmi les membres de l’organisme de direction : 45% des associations contre 15% jusqu’en 1887 le prévoient 706 . De plus ce dirigeant peut s’appuyer sur un personnel de route plus étoffé. Au Véloce-club de Bourges, le “ service des routes ” ne comprend pas moins de huit personnes réparties entre quatre officiers - un capitaine, un lieutenant, un sous-lieutenant et un sergent - distingués par le port de galons sur leur casquette et de deux moniteurs, un infirmier et un professeur de topographie chargé d’aider à l’élaboration des parcours 707 . Ne manque que le mécanicien assez souvent prévu et qui, au Vélo-club spirimontain, fait route en compagnie de l’infirmier. Tous deux “ marchent en queue et doivent être munis de leurs boîtes de pharmacie et d’outils ” 708 . La plus grande ouverture des clubs au tourisme se fait avec le désir de sécuriser au maximum les randonnées et ainsi d’apaiser les craintes des nouveaux adeptes. “ Une voiture d’ambulance ” suit, en mai 1897, la première sortie du Cycle millavois qui crée en outre des postes de secours pour ses membres dans les localités environnantes 709 . Le règlement des promenades du Cycle catésien va jusqu’à stipuler que ‘“ le capitaine fera ralentir les quatre derniers kilomètres avant l’arrivée pour que les velocemen puissent s’assécher petit à petit. À l’arrivée, il exigera la mise des vareuses, dolmans ou pèlerines pour éviter les refroidissements ”’ 710 .

Des sociétés jusque là peu investies dans le domaine touristique décident de créer ou de développer les promenades. Ainsi les Véloce-clubs d’Angers en 1892 sous l’impulsion du vice-président Clavier, de Tours à la fin de 1894 ou rouennais qui, à partir de 1889, “ ne s’occupe guère que de promenades ” 711 . Mais les témoignages abondent encore de leurs démêlés avec le monde rural. Qu’il s’agisse de membres de la Société vélocipédique de Vichy, qui, dans la même excursion, en 1889, sont aiguillés vers un chemin impraticable, puis confrontés à une perche placée en travers de leur route 712 , de L. P. Reichel indigné en 1893 de la malveillance des ‘“ incorrigibles farceurs qui plantent des pavés à travers le chemin, ou qui, bêtement sournois, cachés derrière leurs portes cochères, lancent sur vous les plus hideux spécimens de la race canine abâtardie ”’ ‘ 713 ’ ‘,’ ou encore des cyclistes de Nantes qui portent plainte en 1896 contre les agressions brutales dont ils sont l’objet de la part des paysans des environs de la ville 714 . Le contentieux entre cyclistes et ruraux ne s’estompe que lentement 715 et le bagage du touriste isolé comporte encore longtemps un revolver dont certains s’adaptent, pour plus de commodité, au guidon des vélocipèdes.

Pour contrebalancer cette entrave et stimuler le zèle des sociétaires divers encouragements sont mis en œuvre : prime annuelle ‘“ au membre du Véloce-club havrais s’étant montré le plus assidu aux excursions officielles ”’ ‘ 716 ’ ‘,’ médaille d’argent au sociétaire du Sport vélocipédique avesnois ‘“ ayant effectué le plus grand nombre de kilomètres ”’ 717 et surtout participation de la société aux dépenses des sorties. L’Union cycliste d’Orléans annonce en 1898 quatre “ excursions subventionnées par la caisse sociale ” et parmi ‘“ quantités de ballades aux environs d’Orléans […] un certain nombre avec déjeuner subventionné ”’ 718 . Le Bicycle-club rémois “ alloue une somme qui ne pourra être inférieure au quart, ni être supérieure à la moitié des cotisations annuelles ”. Pour certaines sorties, le somme attribuée s’élève à 40F.. En cas d’utilisation du chemin de fer, les frais sont à la charge de la société 719 . Le budget touristique annuel du Véloce-club havrais se monte à 300F. en 1899 720 , celui de l’Union vélocipédique de la Sarthe oscille entre 350 et 450F. - sans inclure les frais de réception - pour les années 1897 à 1899 721 , soit environ 1/5 des dépenses du club.

Graphique 20. : Les dépenses de l’Union vélocipédique de la Sarthe en 1899.

Sources : L’Étoile cycliste, janvier 1900.
Nota : Le total des dépenses s’élève à 1748F.75.

Notes
702.

Le Cycliste, 31 mars 1894, rappelle sa création et la présente comme une société modèle.

703.

Arch. dép. Isère, 99M 1, Statuts, juin 1896.

704.

Arch. dép. Oise, Mp 1953, Statuts, juin 1899.

705.

Cf. Annexe stat. D 2 : Les buts des sociétés vélocipédiques (1868-1914) – Tableau.

706.

94 statuts sur 208. La statistique s’appuie sur les dix mêmes départements que l’annexe stat. D2.

707.

Arch. dép. Cher, 26M 45, Décision de la réunion du 7 mars 1891.

708.

Arch. dép. Gard, 4M 284, Statuts, octobre 1899.

709.

Comité millavois des festivités : Un siècle d’images millavoises, Millau, 1973, commentaire doc. 554 à 556.

710.

Et de recommander :  “ il évitera que l’on véloce plus de quatre heures de suite sans prendre de nourriture. Il recommandera de boire peu, pas de bière, peu d’alcool, de préférence du café ”. Arch. dép. Nord, M 222/338, Règlement du Cycle catésien (Le Cateau), février 1892. Au Vélo-sport falaisien le capitaine de route doit prévoir des arrêts “ à l’abri du vent et des courants d’air ”. Arch. dép. Calvados, M 3648, Statuts, mars 1892.

711.

PETITON C. : Histoire du Véloce-club rouennais…, op. cit., p. 27.

712.

L’Écho de Vichy, 21 avril 1889.

713.

REICHEL L.P.: La vélocipédie dans le mouvement athlétique…, op. cit., pp. 22-23. Il fait suivre sa diatribe des articles du code pénal dont peuvent se prévaloir les cyclistes renversés ou agressés.

714.

Le Vélo, 20 mars 1896.

715.

Dans ses souvenirs, le docteur Ruffier, après avoir stigmatisé l’hostilité que soulevaient les cyclistes à cette époque, ajoute : “ Nous ne fûmes délivrés de ces ennemis aveugles et stupides que par l’automobile qui détourna sur elle leurs violences de geste et de langage ”. RUFFIER Dr : “ Cinquante ans de cyclisme ”, art. cit., avril 1936.

716.

BUCHARD G. : Le cinquantenaire…, op. cit., p. 38.

717.

Arch. dép. Nord, M 222-66, Statuts, février 1894.

718.

L’Étoile cycliste, mars 1898.

719.

Arch. dép. Marne, 87M 59, Modification de statuts, février 1894.

720.

BUCHARD G. : Le cinquantenaire…, op. cit., p. 64.

721.

L’Étoile cycliste, janvier 1898, janvier 1899, janvier 1900.