1-2-2 Les courses d’équipes.

Toutefois l’esprit de club, le désir qui pousse les membres d’un même groupement à défendre leurs couleurs et à essayer d’affirmer leur supériorité sur les associations rivales, s’exprime plus particulièrement à l’occasion de rencontres interclubs.

Pour la France, l’origine est à rechercher dans le célèbre “ match des douze ” qui, le 1er décembre 1889, oppose sur la piste de St Augustin, à Bordeaux, six membres du véloce-club des bords de la Gironde à six Parisiens, dans une course de 6000m et une autre de 50km. Deux mois auparavant, en Angleterre, le Catford cycling club et le Polytechnic cycling club inauguraient ce type de compétition qui se perpétue en 1890. Au mois de mai s’affrontent, sur la route de Reims à Chalons, en un “ match des dix , cinq Rémois et cinq Parisiens. Un autre a lieu à Cognac. La presse soutient l’innovation ; la France cycliste en chante les vertus dans ses colonnes : ‘“ La course par équipe développe l’esprit de corps […], les plus forts cherchant à aider au maximum les moins forts ”’ ‘ 785 ’ ‘.’ La revue s’enflamme jusqu’à évoquer la création de championnats interclubs départementaux, régionaux, nationaux et même internationaux 786 . L’année suivante, le Véloce-club de Bayonne-Biarritz inclut dans sa réunion du lundi de Pentecôte une course interclubs qui consacre le Véloce-club bordelais face au Véloce-club d’Angers. En juin, le Club des cyclistes de Paris lance un défi à tous les groupements français sur 100km à cinq contre cinq et l’emporte aussi bien face au Sport vélocipédique parisien qu’à la Société vélocipédique métropolitaine ou qu’au Vélo-club d’Orléans. En août Amiens et Abbeville accueillent des courses par équipes que la Fédération vélocipédique du Nord est la première à intégrer à son règlement promulgué le 14 février 1892 : ‘“ Le but des courses d’équipes étant de faire valoir et ressortir l’ensemble (soit comme vitesse, soit comme fond) des coureurs et amateurs d’une société, tout le vélo-club a donc intérêt à accepter leur création ”’ 787 . Mais les sociétés du Nord adhèrent peu au projet. D’ailleurs dans le reste de la France, même si en 1892 les Havrais invitent les véloce-clubs de treize départements du nord-ouest à venir se mesurer sur 115km afin “ d’établir un classement sérieux, juste et raisonné des sociétés vélocipédiques de la région ” 788 , même si en 1893 des équipes du Doubs et du Jura s’opposent dans une épreuve de 100km, le mouvement manque de dynamisme et de coordination. Ce n’est qu’au sein de l’U.S.F.S.A. qu’il acquiert vigueur et pérennité.

Les dirigeants de l’Union, désireux d’affirmer sa spécificité et convaincus des vertus de ces compétitions, en parfaite harmonie avec l’esprit amateur, les codifient précisément et en font une des bases de l’activité cycliste de la fédération. À partir de 1893, ses sociétés sont conviées à se mesurer sur une distance de 50km, sur route, par l’intermédiaire de six coureurs dont seuls les quatre premiers compteront pour le calcul des points. Le départ s’effectue groupé et le classement est établi à partir des places d’arrivée, l’équipe gagnante étant celle qui arrive au total le plus faible. La première édition, courue le 14 mai 1893, sur le parcours Versailles-Les Mesnuls et retour attire six équipes. Ce “ challenge vélocipédique ”, dont le prix consiste dans la garde d’une coupe sur laquelle sont gravées les noms des associations victorieuses, change d’appellation en 1895 et devient “ challenge des équipes premières ” du fait de la création d’une épreuve identique entre les “ équipes secondes ”. La même année, l’Union institue aussi le challenge interfacultés couru sur piste 789 , comme le seront ceux destinés aux magasins (1896) et aux corporations (1897). Par contre le challenge interscolaires fondé en 1896 se déroule sur un parcours routier de 30km. Avec ce large panel, les courses par équipes rythment le calendrier de la fédération amateur. Les Sports athlétiques leur consacrent maints articles, soit qu’à propos des challenges sur route, ils évoquent la méthode d’entraînement - “ habituer les coureurs à un train vif mais non pas exagéré ” 790 - ou la tactique de course - ‘“ pendant le trajet, essayer de fréquents démarrages et finir la course par un rapide déboulé de 7 à 800 mètres ”’ ‘ 791 ’ -, soit qu’ils soulignent l’état d’esprit des concurrents et c’est le plus important: ‘“  Cette besogne de préparation s’est accomplie en silence, chacun des équipiers cherchant plus à progresser pour assurer la victoire de son club qu’à attirer l’attention sur son nom par une vaine réclame ”’ 792 . Les résultats probants obtenus par l’U.S.F.S.A. - en 1897, le challenge des équipes premières rassemble, sur l’itinéraire Chartres-Bonneval et retour 793 , 18 sociétés, soit 108 coureurs - incitent la Fédération cycliste des amateurs français (F.C.A.F.), fondée en mars 1896, et l’U.V.F. à s’engager dans la même voie, en 1896 794 pour l’une et 1897 pour l’autre 795 .

En revanche, les véloce-clubs hésitent à programmer eux-mêmes de telles confrontations - “ le match de l’amitié ” 796 qui, en septembre 1897, oppose le Vélo-cycle rennais à l’Union vélocipédique de la Sarthe fait exception - à cause souvent d’un effectif insuffisant de coureurs d’autant que les sociétés sont à la merci de voir une partie d’entre eux s’exonérer de participation pour s’aligner au départ de telle ou telle épreuve dotée de prix en argent 797 ou pour honorer un contrat passé avec un marchand de cycles 798 . Les efforts des dirigeants visant à promouvoir les valeurs collectives se heurtent ainsi à l’individualisme exacerbé par l’appât du gain. Toutefois, si la solidarité atteint rapidement ses limites dans le monde de la compétition, les épreuves internes, le soutien aux coureurs de la société et les quelques interclubs disputés concourent à une meilleure cohésion de l’association à côté d’activités plus nettement conviviales.

Notes
785.

La France cycliste, 16 juin 1890.

786.

La France cycliste, 16 juillet 1890.

787.

Arch. dép. Pas-de-Calais, M 2305/1. L’épreuve consiste en un contre-la-montre par équipes avec classement par addition des temps des coureurs. L’équipe “ ayant le moins de secondes ” emporte l’objet d’art mis en concours. La fédération, pour faciliter le lancement de ces compétitions, préconise de les organiser le matin des jours de courses individuelles.

788.

Lettre aux présidents de clubs, 20 juin 1892. Arch. mun. Le Havre, Fc R 2 35. “ Cette course étudiée avec soin n’eut pas lieu par suite d’une épidémie régnant au Havre, laquelle éloigna tous les coureurs du dehors ”. BUCHARD G. : Le cinquantenaire…, op. cit., p. 41.

789.

Comme les magasins et les corporations, les facultés concourent sur 2000m après que chacune – c’est une particularité – a sélectionné ses représentants au cours d’une épreuve éliminatoire de 40km sur route.

790.

Les Sports athlétiques, 6 mars 1897.

791.

Ibid.

792.

Les Sports athlétiques, 1er mai 1897.

793.

Ce trajet déjà utilisé en 1896 pour les équipes secondes, sera conservé jusqu’en 1899. Il fait suite à Versailles-Les Mesnuls (1893), Arpajon-Cernay (1894) et Amiens-Breteuil (1895-1896).

794.

Le Vélo, 2 avril 1896.

795.

Bulletin officiel de l’U.V.F., 10 septembre 1897.

796.

À l’issue des 100 km, le secrétaire du Vélo-cycle rennais loue “ la lutte courtoise et amicale, bien entendu, entre sociétés ”. L’Étoile cycliste, octobre 1897.

797.

Le cas se produit par exemple en juillet 1899, lors d’un match entre Rennais et Nantais. Rennes-vélo, août 1899.

798.

Le comité de l’Union vélocipédique de la Sarthe vote un blâme au coureur Boulay qui n’a pas pris part au match contre le Vélo-cycle rennais du fait “ d’engagements antérieurs, pris envers un marchand de cycles ”. L’Étoile cycliste, octobre 1897.