1-3-4 Des sociétés prospères et apaisées ?

Dès lors que tout un faisceau de facteurs rend compte d’une attention particulièrement accusée au développement de liens confraternels, tant lors des pratiques sportives qu’en dehors d’elles, il est légitime de se demander quelles répercussions a le nouveau climat sur les insuffisances jusque là rencontrées par les véloce-clubs et tout d’abord sur l’évolution du recrutement.

  - de 21 M 21-30 M 31-50 M + de 50 M Total
  Nb.
soc.
% Nb.
soc.
% Nb.
soc.
% Nb.
soc.
% Nb.
soc.
%
Nbre moyen de
membres /soc.
1888-1891 39 32 55 45,1 22 18 6 4,9 122 100 26,8
1892-1895 52 23,6 87 39,5 67 30,5 14 6,4 220 100 29,7
1896-1899 47 19,4 110 45,5 63 26 22 9,1 242 100 31,7
1888-1899 138 23,6 252 43,2 152 26 42 7,2 584 100 30
Sources : Arch. dép. et mun.

L’incidence, au moment de la création, est assez minime puisque si une progression régulière se dessine, elle est peu accentuée. L’effectif moyen croît de 27 membres entre 1888-1891 (26,5 avant 1888) à 30 les quatre années suivantes, puis 32 en fin de période. Dans près de la moitié des occurrences, le noyau fondateur est constitué de 21 à 30 unités et son augmentation moyenne de 20% entre le début et la fin de la séquence s’explique pour une bonne part par le recul des autorisations accordées à des groupes n’ayant pas atteint la limite légale des 21 membres.

Malheureusement et pour la même raison qu’avant 1888 - les sociétés ne se plient pas à l’obligation légale qui leur est faite de fournir chaque année à la préfecture la liste de leurs adhérents - le suivi quantitatif est très aléatoire. En août 1891, les 271 sociétés que recense une statistique totaliseraient “ plus de 10 000 cyclistes ” 854 , soit pour chacune d’elles environ quarante adhérents. L’annuaire de A. et M. Chérié est plus précis grâce aux 206 associations qui ont accepté de divulguer leur composition.

 
- de 21 M. 21-30 M. 31-50 M. + de 50 M. Total
Nb. soc. % Nb. soc. % Nb. soc. % Nb. soc. % Nb. soc. %
Nb. moyen de membres/soc.
- de 3000 14 53,9 5 19,2 17 26,9 0   26 100 22,2
3 à 10 000 24 35,8 24 35,8 10 14,9 9 13,5 67 100 31,1
10 à 50 000 10 14,9 11 16,4 21 31,4 25 37,3 67 100 53,9
+ de 50 000 5 10,9 10 21,7 11 23,9 20 43,5 46 100 66,9
Total 53 25,7 50 24,3 49 23,8 54 26,2 206 100 47,1
Source : CHÉRIÉ A. et M. : Annuaire général…, op. cit.

L’effectif de 47 membres s’inscrit 60% au dessus de celui atteint au moment de la création mais il n’est vraiment que très indicatif du fait de sa variation suivant la population des localités. Au-dessous du seuil des 10 000 habitants, la moyenne se fixe à 22 (communes rurales) et 31 adhérents (petites villes) - dans les deux cas 70% des sociétés ne dépassent pas les trente membres -, au-dessus, elle est de 59 (villes moyennes) et 67 membres (grandes villes) avec dans ces deux groupes de villes 70% des sociétés fortes de plus de trente membres. Cet écart du simple au double atteste à l’évidence qu’à cette date, dans les localités de moins de 10 000 habitants, le développement des véloce-clubs est entravé par un parc vélocipédique encore restreint. Il eût été intéressant de saisir l’effet de l’essor du nombre des deux-roues lors des années suivantes, mais au-delà de 1892 les renseignements sont trop parcellaires. Tout juste sait-on qu’en 1894 les associations ardennaises présentent une moyenne de 50 membres 855 et qu’en 1895 celles de Charente grimpent à 67 856 .

Sinon il apparaît assez clairement qu’un groupe relativement étoffé de sociétés dispose d’effectifs importants, supérieurs à cent membres. Pour ne prendre que l’exemple de l’ouest de la France, sont dans ce cas la plupart des chefs-lieux de département ou grandes villes avec deux des quatre clubs nantais de 1898 (Vélo-sport et Vélo-touriste avec chacun 150 membres 857 ), les deux sociétés angevines (Véloce-club, presque 400 membres en 1893 858 , Vélo Doutre, 150 en 1895 859 ), le Véloce-club vannetais (125 membres en 1895 860 ), l’Union vélocipédique lavalloise (256 membres en 1899 861 ), l’Union vélocipédique de la Sarthe (172 membres en 1897 862 ), le Vélo-club alençonnais (110 membres en 1899 863 ), le Véloce-club brestois ( 305 membres en 1898 864 ) ou encore le Vélo cycle rennais (444 membres en 1898 865 ). Même si les clubs connaissent une progression sans trop d’à-coups (cf. graphique 22), celle-ci s’effectue sur fond de renouvellement important. Quand le Véloce-club havrais totalise quarante membres actifs en 1899, il en a déjà admis 186 depuis 1888 866 , quand l’Union vélocipédique de la Sarthe compte 172 membres en 1897, elle en est à sa 393ème adhésion depuis 1891 867 .

La partition entre membres actifs et honoraires est en revanche difficile à établir. Près de quatre sociétés sur cinq 868 recherchent le soutien des membres honoraires mais les listes à notre disposition ne précisent pas toujours la distinction entre les diverses catégories de sociétaires. Toutefois, il est acquis que globalement les actifs constituent le groupe dominant et il est fortement probable que l’évolution constatée au sein du Vélo-club d’Annecy est valable pour le cyclisme associatif dans son ensemble.

Graphique 22. : Évolution de l’effectif du Vélo-club d’Annecy (1888-1899).

Sources : Arch. dép. Haute-Savoie, 66J 1.

Le recul des membres honoraires annecéiens s’explique en partie par le passage de certains d’entre eux de ce statut à celui de membre actif, mouvement qu’encouragent d’autres clubs dans leur désir de voir s’accroître le contingent des membres plus fortement impliqués dans l’animation du club. En effet, les sociétés connaissent encore des difficultés au niveau de l’investissement personnel des adhérents, même si l’assiduité aux réunions s’améliore. D’une dizaine avant 1888, le noyau des participants réguliers s’élève à une bonne vingtaine. Les séances hebdomadaires du Vélo-club grenoblois sont suivies en 1895 par une moyenne de 31 membres 869 , celles mensuelles de l’Union vélocipédique de la Sarthe ou du Véloce-club de Tours rassemblent pour les unes 24 sociétaires 870 , pour les autres 27 871 . Pour autant, le secrétaire de l’U.V.S. formule le vœu ‘“ de voir le cercle du club plus assidument fréquenté ”’ 872 et l’indiscipline déjà perceptible au travers de la persistance des entorses au bon ordonnancement des randonnées ne disparaît pas par ailleurs. Tel ancien secrétaire critique sa société dans une feuille nationale 873 , tel trésorier vexé de sa non-réélection conteste véhémentement le résultat du vote 874 - tous deux sont exclus -, tel membre ulcéré d’avoir été écarté porte l’affaire devant le préfet et lui demande la dissolution du club 875 , ‘“ les tiraillements divers, l’indifférence, la lassitude, la politique des groupes ”’ 876 ont raison du prestigieux Véloce-club bordelais qui se désagrège au début de 1892. L’ambition de certains, les querelles entre touristes et coureurs génèrent des luttes de pouvoir que concluent parfois des scissions. Toutefois, certaines d’entre elles ne sont que temporaires et un mouvement non négligeable de fusions se fait jour. C’est ainsi que se groupent deux clubs à Auxerre, Bernay, Bordeaux, Mortagne, Orléans, Paris, Rennes, Toulouse et même trois à Grenoble 877 . Cette démarche symbolique de l’aspiration à la cohésion au sein des cyclistes librement associés est également révélatrice de la volonté de faire jouer l’effet de masse pour mieux s’ancrer dans la cité.

Notes
854.

Le Petit Journal, 16 août 1891, qui ajoute :  “ D’après certaines données recueillies en mainte ville de France, les adhérents aux sociétés représentent environ le dixième des cyclistes ”.

855.

Union vélocipédique des Ardennes, Annuaire, Charleville, 1894.

856.

Arch. dép. Charente, 4M 52, Enquête préfectorale sur l’état des sociétés du département, octobre 1895.

857.

Rennes-Vélo, juillet 1898. Pour être complet, ajoutons que le Sport vélocipédique compte 60 membres et que le Club des cyclistes n’a plus que quelques membres – il en comptait 120 en 1892 – “ installés princièrement ”.

858.

La France cycliste, 1er juin 1893.

859.

Arch. mun. Angers, 1I 746, Demande de subvention, le 14 novembre 1895.

860.

Cycle vannetais, 17 novembre 1895, cité dans Bulletin du Véloce vannetais union sportive, avril 1912.

861.

Laval-Sport, décembre 1899.

862.

L'Étoile cycliste, novembre 1897.

863.

Annuaire administratif, statistique et commercial du département de l’Orne, Alençon, 1899.

864.

Dinan cycliste, janvier 1899.

865.

L’Étoile cycliste, décembre 1898.

866.

BUCHARD G. : Cinquantenaire…, op. cit., pp. 139-140.

867.

L’Étoile cycliste, novembre 1897.

868.

77,6 % à partir d’une statistique portant sur 907 sociétés. Entre 1880 et 1887, le pourcentage était de 70.

869.

Statistique établie à partir du Cyclophile de l’Isère qui fournit le nombre de participants à 36 séances entre le 6 mars et le 13 novembre 1895.

870.

Calcul basé sur 15 réunions tenues entre juin 1893 et novembre 1894. L’Union vélocipédique de la Sarthe puis L’Étoile cycliste.

871.

Moyenne obtenue à partir des quatorze assemblées de 1895 ( Revue des sociétés de sport d’Indre-et-Loire).

872.

La Sarthe, 23 janvier 1894.

873.

M. Raimbault de l’U.V.S. met particulièrement en cause la gestion du trésorier dans L’Avenir cycliste. L’nion vélocipédique de la Sarthe, octobre 1893.

874.

La mise à l’écart de M. Pilâtre du Véloce-club de Tours nécessite la tenue de plusieurs réunions, de janvier à mars 1894. Revue des sociétés de sport du centre et de l’ouest, mars et avril 1894.

875.

M. Deliencourt, du Bicycle-club rémois, exclu en 1895 au motif de “ réclamations continuelles contre la gestion du comité ”, intervient auprès du préfet de la Marne en mai 1897 pour faire casser l’autorisation de fonctionner. Tentative sans résultat. Arch. dép. Marne, 87M 59.

876.

La France cycliste, janvier 1892.

877.

Sont ainsi créés :

- le Véloce-sport et club toulousains réunis (novembre 1891) : Véloce-club toulousain (1895) et Véloce-sport toulousain, société dissidente (1888), Arch. dép. Haute-Garonne, 13M 85 ;

- l’Alliance vélocipédique auxerroise (octobre 1894) : vélo-club auxerrois (1890) et Union vélocipédique auxerroise (1893), Arch. dép. Yonne, 3M 4/19 ;

- l’Union cycliste bordelaise (février 1895) : Vélo-sport girondin (1888) et Club des cyclistes bordelais (1892), Arch. dép. Gironde, 1R 106 et 112 ;

- le Vélo-club grenoblois (février 1895) : Vélo-club dauphinois (1887), Sport vélocipédique grenoblois (1887) et Bicycle-club grenoblois (1892), Arch. dép. Isère, 99M 1 ;

- la Pédale mortagnaise (décembre 1895) : Union vélocipédique mortagnaise (1892) et Vélo-club mortagnais, société dissidente (1893), Arch. dép. Orne, M 1049 ;

- l’Union vélocipédique de la préfecture de la Seine (mai 1896) : une société du même nom et Union vélocipédique de la Direction des travaux de Paris, Le Vélo, 13 mai 1896 ;

- le Vélo cycle rennais (février 1897) : Véloce-club rennais (1875) et Société des cyclistes rennais , société dissidente (1893), L’Étoile cycliste, février 1897 et Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4M 233 ;

- l’Union cycliste d’Orléans (janvier 1898) : Club vélocipédique d’Orléans (1886) et Société vélocipédique du Loiret, société dissidente (1893), Arch. dép. Loiret, 76 343 ;

- enfin, le Vélo-sport bernayen (mars 1898) : Véloce-club bernayen et Société vélocipédique bernayenne, créés tous deux en 1890, Arch. dép. Eure, 4M 184.