2-1-2 L’essor des épreuves sur route.

La vogue des courses sur route n’a pas d’incidences aussi profondes sur les véloce-clubs. Pourtant, la reprise de ce type de compétition est à mettre à leur crédit. Le 23 mai 1891, le Véloce-club bordelais, dans le but ‘“ d’organiser une épreuve qui éclipserait tout ce qui avait été fait en France jusqu’à ce jour ”’ ‘ 908 ’ ‘,’ lance 28 concurrents sur les 572km. qui séparent Bordeaux de la capitale. La capacité des hommes à affronter de longues distances devient le ressort de la compétition. ‘“ Ce fut un réveil, une révélation, une révolution ”’ ‘ 909 ’ dans laquelle s’engouffre la presse et d’abord Le Petit journal, sur une idée de l’incontournable P. Giffard, qui pousse la démesure kilométrique jusqu’à mettre sur pied Paris-Brest-Paris, 1200km., couru à partir du 6 septembre. Le mouvement est lancé.

En créant l’événement puis en le relatant, les journaux stimulent leurs ventes. De quatre en 1891, les grandes chevauchées sont déjà plus de dix en 1892, avec pour organisateurs Le Véloce-Sport (Bordeaux-Paris), La Revue des Sports (Paris-Nantes-Rouen-Paris, 1020km.), Le Lyon républicain (Lyon-Annecy-Chambéry-Grenoble-Valence-Montélimar-Valence-Lyon, 557km.), L’Avenir d’Aix-les-Bains … mais aussi la firme Michelin (Paris-Clermont-Ferrand). Plus tard viendront les propriétaires de vélodromes (Paris-Roubaix, Paris-Tours, tous deux à partir de 1896). Pendant ce temps la place des véloce-clubs se restreint. Si en 1891 deux des quatre compétitions étaient de leur ressort - en plus du Bordeaux-Paris du Véloce-club bordelais, le Véloce-club d’Angers relance Angers-Tours-Angers -, une seule leur revient en 1892 : Toulouse-Bordeaux-Toulouse organisée par le Véloce-sport et club toulousains réunis. Là où les journaux récupèrent leur mise avec l’accroissement de leur tirage, les compétitions au long cours ne procurent aux clubs que “ des déboursés qui ne leur rapportent rien ” 910 . Cependant les sociétés affiliées à l’U.S.F.S.A. font exception. Moins dépendantes des contraintes financières - elles offrent aux lauréats objets d’art et médailles - elles s’impliquent dans l’organisation de telles épreuves. Celles-ci, au nombre de deux en 1894, Paris-Amiens et Paris-Eu, organisées respectivement par l’A.V.I. et l’A.V.A., elles passent à quatre l’année suivante et à plus d’une dizaine en 1897. Leurs parcours relient invariablement la capitale à une ville de province distante de 80 à 200km. Les comptes rendus font état de “ grandiose manifestation ” (Paris-Dieppe, 1895), de “ succès colossal ” (Paris-Dreux, 1897) et insistent sur la participation élevée. Les pelotons réunis dépassent ceux des épreuves professionnelles similaires. En 1895, Paris-Dieppe recueille 140 engagements pendant que Paris-Royan organisé par Le Vélo n’en compte que 53.

Hors du cadre de l’U.S.F.S.A., l’investissement des associations consiste dans la tenue des contrôles en cours de route. Pour Paris-Brest-Paris, Pierre Giffard donne des consignes précises 911 et contacte l’Union vélocipédique mortagnaise, le Véloce-club lavallois, la Société vélocipédique de St-Brieuc ‘- “ en avons-nous vu des cyclistes célèbres dans cette petite salle du café Tardivel ” ’se souvient E. Gendry 912 -, le Véloce-club morlaisien et le Véloce-club brestois qui accueille parfaitement les concurrents 913 . Parfois les sociétés offrent même des prix intermédiaires. Le passage des coureurs entourés de leurs entraîneurs ne laisse pas le public indifférent. Au contrôle manceau de Paris-Royan en septembre 1897,

‘“ une assez grande animation règne sur la place de la République et dans les rues adjacentes, dès 8 heures du soir. Au siège de l’Union vélocipédique le public consulte et commente les dépêches reçues de Paris et des contrôles précédents. Comme il fait un temps superbe, on attend patiemment en s’amusant des allées et venues des entraîneurs qui arrivent avec des machines de rechange, des tandems, des triplettes […] Après plusieurs fausses alertes, un coureur arrive derrière le tricycle à pétrole de M. Brest. C’est Garin qui signe à 11 h. 57 au contrôle tenu par MM. Sélis, Chatenay et Jagot, membres du comité de l’Union vélocipédique ” 914 . ’

Les derniers participants se présentent à 4h.12. À Annecy les concurrents s’échelonnent sur 36 heures lors de la course du Progrès de Lyon en juillet 1896, aux étapes de Paris-Brest-Paris, du fait du trajet en aller et retour, le délai est de plusieurs jours. Un tel bénévolat est exemplaire mais il n’est pas sans bénéfice pour les sociétés. Rouages essentiels dans le déroulement de compétitions prestigieuses, elles y gagnent une réputation de sérieux et de compétence et une partie de l’enthousiasme populaire généré par l’événement rejaillit sur elles.

Notes
908.

VIOLLETTE M. : Le cyclisme…, op. cit., p. 65.

909.

TISSIÉ P. : Guide du vélocipédiste…, op. cit., p. XII de l’introduction.

910.

La France cycliste, 1er septembre 1891. Le Véloce-club d’Angers distribue ainsi 2000 f. de prix pour Angers-Tours-Angers.

911.

“ À toute heure du jour et de la nuit ”, un contrôleur doit pouvoir :

constater que le vélocipédiste porte bien son brassard,

constater que les plombs attachés avec fil électrique aux moyeux et au cadre sont en bon état et vérifier la marque de la machine,

lui signer son livre en mettant la date et l’heure,

le faire signer sur le registre déposé au lieu de contrôle,

lui rendre la liberté le plus vite possible. Le Petit Journal, 30 août 1891.

912.

GENDRY E. : “ Histoire d’un club ”, art. cit., 7 septembre 1893.

913.

“ Ils sont soignés et nourris avec empressement, et leurs machines sont nettoyées et graissées ”. DÉON B. : Une légende centenaire… Paris-Brest et retour, I.F.C., St-Germain du Puy, 1997, p. 57.

914.

L’Étoile cycliste, septembre 1897.