2-1-3 Autres mises en spectacle.

Les sociétés se concilient encore la population en animant la ville par d’autres offres de spectacles aux antipodes de la référence compétitive et puisées au fonds traditionnel festif.

Du nord au sud, de l’est à l’ouest de l’Hexagone, sur le mode des habituelles retraites aux flambeaux ou autres cavalcades, parades aux lanternes, corsos vélocipédiques, “ cyclalcades ” parcourent les rues dans un désordre bon enfant. Les cyclistes associatifs s’ingénient ainsi à démontrer que la bicyclette peut non seulement exalter la vigueur des athlètes, mais aussi être le prétexte à des divertissements collectifs où spectateurs et acteurs se mêlent plus intimement. On y met en valeur l’habileté des cyclistes à enrubanner et fleurir leurs deux-roues, à les doter de dispositifs ingénieux actionnés par le mouvement des pédales ou à confectionner des chars 915 . À la fête des fleurs du Véloce-club rouennais en 1896, une “ bicyclette papillon ”, d’autres transformées en trois-mâts ou goélette, “ un tricycle-moulin à vent ” ou encore ‘“ un char formé par un tandem et deux tricycles ornés de géraniums et de roses ”’ 916 se fraient difficilement un passage au milieu de la foule.

Les carrousels participent au même désir de s’émanciper des courses de vitesse et de fond mais leurs figures empruntées au registre hippique - l’escargot, le serpent, le jet d’eau, l’éventail, la croix de Malte, le moulin à vent… - et généralement exécutées par quatre quadrilles de huit cyclistes, donnent l’image d’un cyclisme discipliné et raisonné. La mise en scène ne laisse rien au hasard. Ordre et uniformité rappellent les fêtes de gymnastique, mais le souci d’édification du public n’y est pas autant valorisé. En effet, leurs différents mouvements s’intègrent généralement à un spectacle plus vaste dont la fête de la “ Reine-bicyclette ” organisée au Mans par l’Union vélocipédique de la Sarthe le 31 juillet 1892 donne un bon exemple. En premier lieu, un défilé conduit le char où trône la “ Reine-bicyclette ” précédé de quarante vélocipédistes du siège social au quinconce des Jacobins. Là, sur cet espace clos, alternent épreuves ludiques (courses de bagues et d’adresse), figures du carrousel strictement exécutées et sketches cyclo-comiques ‘(“ une leçon de véloce à la campagne ”, “ sur la place d’armes de Véloce-bourg un dimanche matin de l’an 1901 ”’) qui tiennent de la bouffonnerie et du grotesque. Enfin, la “ great attraction ”, la traversée à bicyclette du quinconce des Jacobins sur un câble de cinquante mètres tendu à dix mètres de hauteur, s’apparente à un numéro de cirque. Si ‘“ le défilé final s’accomplit sous les torrents d’applaudissements des spectateurs charmés ”’ ‘ 917 ’ au nombre de 5 à 6000, c’est que les organisateurs ont réussi à faire de la bicyclette l’objet d’une attraction riche en diverses émotions : admiration, rires, frissons.

La coutume des expositions trouve également sa traduction vélocipédique. Après les quelques tentatives des premiers temps du cycle, le salon tenu à Paris en 1893 918 lance véritablement le mouvement. Angers accueille le premier de province en 1895 919 . À partir de l’année suivante plusieurs sociétés vélocipédiques organisent ces concours 920 auxquels sont conviés fabricants et marchands de cycles, d’accessoires qui s’y rattachent, magasins de confection, de chaussures, chapelleries, éditeurs d’ouvrages ou de cartes vélocipédiques, mais aussi véloce-clubs au travers de la présentation de leurs fanions et insignes. Celui tenu à Verdun à l’initiative du Touriste verdunois en 1896 se déroule sur quatre jours, du 4 au 7 avril. Si la visite du hall d’exposition de 52 mètres de long attire plus particulièrement les passionnés de vélocipédie, le public moins averti peut profiter d’autres animations : courses et jeux cyclistes, fête de nuit, feux d’artifice et concerts donnés par la musique municipale et la société chorale 921 .

Les sociétés vélocipédiques arrivent donc à varier les approches spectaculaires. Courses sur piste, dans une moindre mesure compétitions sur route mais aussi exhibitions calquées sur des manifestations déjà consacrées contribuent à intéresser et à gagner un large public. Les fêtes cyclistes prennent ainsi une place de choix parmi les réjouissances locales, ce qui rejaillit sur la notoriété des véloce-clubs qui intègrent rapidement les réseaux d’influence du lieu.

Notes
915.

POYER A. : “ Léon Bollée (1870-1913), la passion des sports mécaniques ”, in DELAPLACE J.M. : L’histoire du sport, l’histoire des sportifs, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 185-200, p.187 et p. 189.

916.

Le Journal de Rouen.

917.

L’Union vélocipédique de la Sarthe, 15 septembre 1892.

918.

La chambre syndicale des constructeurs français organise à Paris en mai 1893 la première exposition “ un peu sérieuse ” sur le modèle du Stanley show britannique qui lui remonte à 1878. La France cycliste, 5 janvier 1893. Le salon parisien est ensuite reconduit chaque année.

919.

L’Étoile cycliste, février 1895.

920.

En dehors de Verdun, un salon se tient à Nantes en 1896. En 1897, le Club des cyclistes nantais récidive du 17 avril au 5 mai (La Bicyclette, 8 avril 1897). En février s’était tenu celui de Roubaix puis en mars celui de Nancy avec pour maître d’œuvre le Véloce-club de Nancy, La Bicyclette, 25 mars 1897 et Arch. mun. Nancy, R 3 a 1/6.

921.

Arch. mun. Verdun, R 44. La municipalité accorde son patronage et débloque 1500F. de subventions.