2-2-2 La caution des personnalités influentes.

Les postes de président et de vice-président ou de membres d’honneur encore peu usités avant 1888 tendent à se généraliser et se multiplier 942 . Les cyclistes associatifs deviennent friands de “ ces personnages officiels ou influents dont le nom et la qualité peuvent augmenter l’éclat de la société ” 943 . Leur répartition sociale fournit logiquement une écrasante majorité au groupe des notables avec 84,5%.

Graphique 23. : Statut social des membres d’honneur (1892).

Sources : CHÉRIÉ A. et M. : Annuaire général…, op. cit.

La catégorie “ statuts indéterminés ” comprend des dignitaires fédéraux, des cyclistes célèbres (M. Martin, P. Rousset) et d’anciens dirigeants du club. Ce dernier groupe se renforcera par la suite avec l’élévation fréquente au titre de membre d’honneur d’un président marquant. Quant aux notables, ils répondent à la distribution socioprofessionnelle suivante :

  Nombre %
Aristocratie 1 1
Personnel politique 42 43,3
Propriétaires 2 2,1
Étudiants 0
“ Capacités ” 10 10,3
Fonctionnaires 22 22,7
Employés 0
Commerçants, artisans 8 8,2
Ouvriers 0
Agriculteurs 0
Divers 12 12,4
Total 97 100
Sources : CHÉRIÉ A. et M. : Annuaire général…, op. cit.

Les sociétés sollicitent d’abord les autorités politiques et parmi elles surtout les maires (37 occurrences). Le groupe des fonctionnaires vient en second et comprend presque exclusivement des membres de la haute administration (préfet, sous-préfet, procureur de la République) au nombre de 13 et des officiers de haut rang (8 occurrences). La trilogie maire, préfet ou sous-préfet et général domine donc. Le Club des cyclistes de Nantes est dans la norme lorsqu’il demande au maire de la ville de devenir membre d’honneur, titre qu’ont déjà accepté le général commandant le XIème corps d’armée et le président de la chambre de commerce et qui sera ensuite proposé au préfet 944 . Par contre, la noblesse est peu présente. Alors que l’ensemble “ commerçants, artisans ” repose avant tout sur les industriels et négociants (6 occurrences), les “ capacités ” se partagent entre 4 médecins, 3 avocats, 2 banquiers et 1 directeur de journal. La présence de cet homme de presse illustre le rôle parfois essentiel des feuilles locales dans la création des sociétés 945 et l’aide qu’elles leur apportent par la suite en passant les annonces, voire les comptes rendus de réunions ou de sorties.

En contrepartie de la caution morale, de la légitimité et du prestige que retirent les sociétés de leur acceptation, les membres d’honneur affermissent, eux, leur notoriété. Ce processus d’échange, ce don et ce “ contre-don ” 946 , s’exprime surtout lorsque ces personnalités président aux courses, aux fêtes, aux banquets ou encore reçoivent, et la presse le relate, des marques d’estime particulières de la part des sociétaires : punch, comme au président d’honneur de l’Union cycliste du 5ème arrondissement de Paris 947 , réception avec musique et chorale, comme à celui de la Société des vélocipédistes de Dijon, M. Cunisset-Carnot, procureur général et gendre du président de la République 948 . Le président d’honneur du Véloce-club de Tours, M. Belle, est, lui, gratifié d’une fête lors de son élection au sénat 949 et son homologue du Vélocycle rennais, F. Sacher, reçoit l’hommage de la société dans un article rappelant ses divers titres et fonctions : officier d’académie, conseiller municipal, ancien conseiller d’arrondissement, fondateur du Cercle des sports, administrateur de l’école des Beaux-Arts, vice-président du comice agricole du canton nord-ouest de Rennes, président des régates rennaises 950 . Nombre de présidents actifs - souvenons-nous qu’aux deux-tiers ce sont des notables - jouissent également d’un tel spectre social 951 . Le choix est moins souvent déterminé par les compétences sportives que par les possibilités d’aide, de soutien et d’interventions diverses en faveur de la société. Les démarches qu’effectue le Véloce-club havrais sont révélatrices de cet état d’esprit :

‘“ Une délégation fut désignée afin de prier M. Denis Guillot de bien vouloir accepter la présidence de la jeune société. M. Denis Guillot, jeune avocat, occupait déjà dans notre cité, une situation en vue, d’abord comme conseiller municipal, puis comme juriste, comme lettré et aussi - disons-le à sa louange - par des idées démocratiques considérées à l’époque comme avancées.
Il ne crut pas pouvoir accepter l’honneur de présider notre jeune société, ne se trouvant pas suffisamment apte pour remplir cette fonction, et que, de plus, ses occupations et sa situation officielle ne le lui permettaient pas, pensait-il.
Le vice-président Ponton n’accepta pas le poste de président qui lui était offert alléguant que ses relations n’étaient pas assez étendues au Havre qu’il habitait depuis peu de temps ; il proposa de nommer Éd. Le Tourneur, jeune, actif, dévoué à tout ce qui touche les sports et sa proposition fut acceptée ” 952 . ’

Le Véloce-club havrais fut plus heureux dans sa quête d’un président d’honneur. Louis Brindeau, avocat et conseiller municipal, accepte la proposition qui lui est faite. Il deviendra maire, député, puis sénateur. Les véloce-clubs réussissent donc le plus souvent à obtenir l’aval de personnalités de premier plan, réussite qu’ils complètent pour mieux s’ancrer dans la ville par la réalisation d’actions d’intérêt général.

Notes
942.

Quand il se déclare, le Vélo touriste de Faucigny compte déjà 7 membres d’honneur. Arch. dép. Haute-Savoie, 4M 48, juillet 1893.

943.

Arch. dép. Ariège, 7M 21, Statuts de la Société vélocipédique de Pamiers, août 1891.

944.

Arch. mun. Nantes, R 3/2-4, Lettre au maire, 5 novembre 1892.

945.

Le Journal de Baugé en fournit une illustration. Un mois après avoir écrit : “  Nous nous demandons pourquoi ne se fonde pas à Baugé, où les éléments ne manquent point, un véloce-club, ainsi qu’il en existe dans la plupart des villes voisines. Allons ! jeunes gens ! à quand la création du V.C.B. ? ”, le même journal invite à participer à la réunion de fondation du Cycle baugeois. Le Journal de Baugé, 24 septembre et 16 octobre 1892.

946.

MAUSS M. : Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, sociologie et anthropologie, Paris, P.U.F., 1991, cité dans LASSUS M. : “ L’union sportive bazadaise de 1904 à 1945 ”, Les cahiers du Bazadais, n° 116, 1er trimestre 1997, pp. 5-50, p. 33.

947.

Le Vélo, 2 mai 1896. À cette occasion le président du club remet à M. Meurgé, avocat et maire de l’arrondissement, l’insigne de la société devant “ quarante sociétaires qui l’acclament ”.

948.

La France cycliste, 15 juillet 1891.

949.

Il reçoit à cette occasion “ un encrier de bronze représentant un athlète ”. Revue des sociétés de sport du Centre et de l’Ouest, 1er juin 1894.

950.

Rennes-vélo, décembre 1897.

951.

Cf. PERRIER T. : Les premiers temps…, op. cit., p. 69, qui évoque le président du Bicycle et automobile-club de Lyon. À Blois, le docteur Doutrebende, à la tête de la Société vélocipédique du Loir-et-Cher, est vice-président de l’Association des sociétés de gymnastique, président de la Société des sciences et lettres et membre de nombreuses sociétés blésoises (Revue des sociétés de sport du Centre et de l’Ouest, 1er décembre 1894). L’avocat A. de Mazaubrun qui préside l’Union vélocipédique limousine en 1897, a occupé des fonctions de dirigeant au Cercle de l’aviron et de la voile de Limoges, a fondé le Cercle des sports St-Hubert (MARTIN M. : Grande enquête…, op. cit., p. 335 et Arch. dép. Haute-Vienne, 4M 130). Dernier exemple, le président du Vélo-club lavallois, Alfred Duchemin, est conseiller d’arrondissement, secrétaire de la chambre de commerce, administrateur des hospices, membre du conseil des prud’hommes (Rennes-Vélo, mars 1898).

952.

BUCHARD G. : Le cinquantenaire…, op. cit., p. 3.