En plus des dons qu’ils font traditionnellement à divers organismes caritatifs à l’issue de leurs courses ou de leurs fêtes 953 , les cyclistes associatifs se doivent de participer aux grandes manifestations à but philanthropique. C’est ainsi qu’ils financent la construction de chars lors des cavalcades ou qu’ils apportent leur aide technique à l’organisation de courses 954 .
Par ailleurs, à “ l’époque du grand déferlement ” de la “ statuomanie ” 955 , les véloce-clubs accordent volontiers leur obole aux souscriptions visant à ériger tel ou tel monument commémoratif d’un compatriote célèbre ou de l’héroïsme des soldats de 1870 956 . Ils acceptent aussi souvent de contribuer aux réjouissances destinées à rehausser l’éclat du 14 juillet ou à d’autres manifestations patriotiques, y ajoutant une touche de modernité. Ainsi, à la demande de la municipalité, l’Union vélocipédique de la Sarthe donne une seconde fois sa fête de la “ Reine-bicyclette ” à l’occasion de la célébration du centenaire de la République en septembre 1892 957 . À Montpellier, le Vélo-club de l’Hérault est le maître d’œuvre des épreuves disputées en juin 1895 à l’initiative du comité des combattants de 1870-1871 pour venir en aide aux troupes de l’expédition de Madagascar 958 . Les sociétés vélocipédiques lyonnaises affirment encore plus leur “ foi patriotique ” en organisant conjointement “ une grande fête de jour et de nuit ” au profit des ambulances de cette même expédition afin que “ nos vaillants soldats […] qui tomberont là-bas, blessés dans les combats ou bien atteints par la fièvre, aient quelques soulagements à leur douleur, et qu’à ces fils de la France soient prodigués des soins minutieux ” 959 .
Il est vrai que les véloce-clubs ont pris une coloration plus patriotique qu’avant 1888. Sans égaler les sociétés de gymnastique ou de tir, ils sont maintenant un quart à indiquer dans leurs buts la formation des jeunes à la vélocipédie militaire 960 . Les Cyclistes boulonnais, dans la lettre qu’il joignent à leur demande d’autorisation, ont soin de souligner qu’ils veulent ‘“ fournir à l’armée des cyclistes bien entraînés et capables de résister aux fatigues qu’on pourrait exiger d’eux ”’ ‘ 961 ’ ‘,’ de même que la Pédale thouarsaise insiste sur le fait qu’ ‘“ elle tâchera avant tout de donner à ses sorties, ses exercices de route, un but pratique et patriotique ”’ 962 . Nombre d’épreuves de transmission de dépêches voient le jour, certaines sur de longues distances - Le Havre-Marseille, puis Marseille-Le Havre à l’initiative de l’Internationale du Havre et du Vélo-sport de Marseille 963 -, d’autres dans les environs immédiats de la localité mais avec des obstacles à surmonter 964 . Des concours d’orientation basés sur la lecture des cartes topographiques sont aussi organisés 965 . Il faut convaincre de l’utilité de la bicyclette en temps de guerre. Toutefois, ces expériences surtout nombreuses au début des années 1890, se raréfient par la suite. La tentative de relance effectuée en 1896 par la société nationale Les Éclaireurs cyclistes 966 ne réveille que faiblement les ardeurs des véloce-clubs. Aussi ceux-ci en sont-ils réduits à vanter les mérites militaires des simples rallye-papers car leurs parcours empruntent chemins et itinéraires à travers champs 967 ainsi que des courses au clocher ou au ballon car elles requièrent initiative et sens de l’orientation 968 . De même les brevets de 100 km. sont dits “ militaires ” au motif que ceux qui effectuent la distance en moins de 6 heures reçoivent de la part de l’U.V.F. un livret militaire attestant de leur réussite. Les discours des dirigeants entretiennent l’illusion de l’implication conscriptive des sociétés :
‘“ ce qui encourage aussi, messieurs, votre comité à poursuivre avec tant d’activité son œuvre de propagation du sport vélocipédique, ce n’est pas seulement l’idée unique de donner des fêtes ; il envisage en outre le côté patriotique, ludus pro patria, telle est notre devise… Ce petit instrument d’acier… sera, j’en suis persuadé, l’auxiliaire des plus précieux pour nos cavaliers ” 969 .’Les chansons, les poèmes ne sont pas en reste, telle cette poésie lue lors du banquet du Vélo-club de l’Hérault auquel assiste le maire de Montpellier en 1898 :
‘La BicycletteEntre de tels textes de circonstances et les préoccupations réelles des cyclistes, l’écart est d’importance.
La rapidité de la bicyclette, valorisée au plan militaire, permet également aux sociétés de donner des preuves de civisme au plan local : élaboration de systèmes de collecte et de transmission de feuilles de dépouillement des votes afin que les résultats des élections soient plus vite connus 971 , mise à “ disposition des autorités locales en cas de sinistre ” 972 , voire institution d’une section de brancardiers et d’ambulanciers prête “ à rendre service quand le devoir le dictera ” 973 .
En outre la promotion touristique de leur localité ou de leur région ne laisse pas indifférents les cyclistes associatifs. Il est probable que, parmi “ les représentants les plus motivés des sociétés sportives et culturelles de Grenoble ” 974 qui créent le premier syndicat d’initiative de France le 15 avril 1889, figure au moins un membre des deux sociétés que compte alors la capitale du Dauphiné. En tout cas, dans les années 1890, un cycliste associatif de longue date, Émile Duchemin, participe activement au développement de cet organisme 975 . En décembre 1894, le mérite de la création du syndicat d’initiative de la ville de Valence revient aux membres du Touring-cycle 976 , de même que deux des trois membres fondateurs de celui d’Annecy appartiennent au véloce-club de la ville 977 . L’implication en faveur de l’exaltation des attraits locaux se retrouve encore à la Pédale morvandelle (Lormes) qui, si elle ne s’appuie pas sur une structure, inscrit dans ses buts “ de faire connaître les beautés du Morvan et d’y attirer les étrangers ” 978 .
De telles préoccupations d’intérêt général séduisent les municipalités.
En 1888 le Véloce-club bordelais estime avoir ainsi donné depuis sa création “ aux pauvres de la ville […] une somme totale de près de six mille francs ”. Arch. mun. Bordeaux, 1817R 10, Lettre au conseil municipal, 29 décembre 1888. Le Bicycle-club rémois prévoit statutairement que les 3/5 du bénéfice de la caisse des fêtes seront “ versés à l’œuvre rémoise de l’ Hospitalité de Nuit et de la Bouchée de pain, et à d’autres œuvres de bienfaisance rémoises, ou encore aux souscriptions publiques organisées à la suite d’une catastrophe ou d’une calamité publique ”. Arch. dép. Marne, 87M 59, Modification des statuts, février 1894.
Le Vélo-club dauphinois afin de “ représenter dignement la vélocipédie ” lors des fêtes de bienfaisance initiées par la municipalité les 31 mai et 1er juin 1891, débourse ainsi un total de 675F. : 350F. pour la réalisation du char des sports, 145F. pour les costumes d’un groupe vélocipédique qui l’accompagne, 150F. comme prix aux courses, et 30F. de dédommagement à des pupilles gymnastes. La France cycliste, 15 juin 1891.
AGULHON M. : “ La statuomanie et l’histoire ”, Ethnologie française, 1978, 3-4, pp. 145-172.
Le Véloce-club d’Angers vote 25F. pour le monument aux soldats angevins morts pour la patrie. La
France cycliste, 1er janvier et 29 septembre 1892.
Pour renforcer le caractère patriotique de la journée, alternent avec les exercices vélocipédiques des mouvements et exhibitions de gymnastique réalisés par l’Union sarthoise. La Sarthe, 23 septembre 1892. Le même jour le Véloce-club d’Angers assiste “ en groupe avec drapeau de la société ” à la fête patriotique organisée par la municipalité. La France cycliste, 29 septembre 1892.
La Vie montpelliéraine, 28 juin 1895.
Arch. dép. Haute-Savoie, 66J 10, Prospectus de présentation de la fête et de demande de souscriptions. Les quarante membres du comité d’organisation présidé par P. Terrasse, le président du Cyclophile lyonnais, se répartissent entre quatorze associations vélocipédiques.
Cf. Annexe stat. D 2 : Les buts des sociétés vélocipédiques (1868-1914) – Tableau.
Arch. dép. Pas-de-Calais, M 2302, Lettre au sous-préfet de Boulogne, 2 février 1893.
Arch. dép. Deux-Sèvres, R 138, Lettre au préfet, 24 août 1891. Le président du club dirige déjà la société de tir de la ville.
Le trajet Le Havre-Marseille s’effectue par relais du 7 au 11 octobre 1892 (La France cycliste, 29 octobre 1892). La course d’estafettes Marseille-Le Havre se déroule du 5 au 7 mai suivants et le courrier transporté consiste en une lettre au maire de Marseille à son collègue havrais. Arch. mun. Le Havre FC R 2/35, Lettre du maire de Marseille, 4 mai 1893.
Le Véloce-club de Poitiers fait traverser la rivière le Clain “ partie à gué, partie en bateau ”, la Pédale d’Illiers prévoit la transmission au travers d’ “ une ligne surveillée ”. La France cycliste, 1er septembre 1892 et 6 juillet 1893.
Le Vélo-sport versaillais dans le but de “ dresser les jeunes gens pour en faire des vélocipédistes de l’armée ” trace ses promenades sur la carte topographique et tire au sort à chaque fois le capitaine de route. Le Véloce-Sport et le Veloceman, 23 mars 1888.
Institution fondée le 29 août 1896 par l’Union militaire, les Éclaireurs cyclistes ont “ pour but le développement de l’instruction militaire par les attractions du cyclisme et l’application du sport cycliste aux besoins de l’armée ”. La société prévoit la constitution d’ “ unités ” dans l’ensemble de la France et sous la devise “ Instruire en intéressant et se promenant ” elle envisage articles techniques, conférences, exercices de lecture de carte et d’études sur le terrain “ des opérations auxquelles peut être employée une unité cycliste ”. Au 27 juillet 1897, 14 sociétés vélocipédiques ont adhéré à l’association qui sera dissoute en mai 1898. Arch. nat., F 7 12 369/166, Règlement général et liste des membres. L’organisation la plus marquante des Éclaireurs cyclistes est une expérience de mobilisation par estafettes cyclistes, le 11 avril 1897. Louis Minart compare le nouveau groupement “ au gentil mais inutile simulacre, qui s’appelait hier les bataillons scolaires ”. La Bicyclette, 18 février 1897.
“ Le rallye-paper est une course au lièvre où les coureurs désignés pour faire les lièvres répandent des bouts de papier sur le sol […] l’un d’eux est désigné pour tracer la bonne piste, un autre les fausses pistes ” qui tournent court rapidement. Annuaire de l’U.V.F., 1895, p. 206. Celui de l’Union vélocipédique de la Sarthe, le 8 novembre 1891, comprend 3 kilomètres de “ belles routes ”, 12 de chemins vicinaux, 6 de sentiers et 4 “ à travers champs, taillis et fossés ”. La Sarthe, 10 novembre 1891. Cité dans POYER A. : “ Le sport vélocipédique… ”, art. cit., p. 197.
La course au clocher consiste à atteindre un clocher désigné au départ depuis un point élevé. Dans celle au ballon, les cyclistes suivent le vol et le vainqueur est le premier à rejoindre le ballon à son point d’arrivée.
Dinan cycliste, janvier 1899, Discours du président du Véloce-club brestois.
La Vie Montpelliéraine, 30 janvier 1898. Cf. également la chanson parue dans Le Cycliste lyonnais, n° 22, avril 1893 et citée dans ARNAUD P. : Le sportsman…, op. cit., p. 535.
Par exemple, au Véloce-club d’Angers, en 1889 (Arch. mun. Angers, 56W 118, Lettre au maire, 18 septembre 1889) et en 1893 (La France cycliste, 14 septembre 1893), au Vélo-sport de Marseille en 1892 (La France cycliste, 16 mai 1892) ou à la Pédale de Ste-Maure en 1894 (Revue des sociétés de sport d’Indre-et-Loire, 16 août 1894). Dans ce dernier cas, le gain est de deux heures sur les nouvelles apportées par la gendarmerie.
Arch. dép. Seine-maritime, 4M 477, Statuts du Véloce-club elbeuvien, février 1895 et de l’Union vélocipédique de Barantin, juillet 1896.
Arch. dép. Marne, 87M 14, Lettre de la Pédale chalonnaise au préfet, 24 octobre 1899.
GOUJON P. : Cent ans de tourisme en France, Paris, Le Cherche Midi éditeur, 1989, p. 12.
Le 1er janvier 1907, Émile Duchemin, alors vice-président du Syndicat d’initiative, est nommé “ officier de l’instruction publique ” car il “ a créé au prix des plus grands efforts, toute une collection de clichés photographiques des principaux sites de la région ”. Sur la notice de présentation, la rubrique “ Années de service ” indique 15 ans, ce qui fait remonter son investissement à 1892. Arch. dép. Isère, 28M 34.
Arch.dép. Drôme, M 2098 bis, Statuts, décembre 1894. Le président du syndicat d’initiative l’est aussi au Touring-cycle.
Ce sont F. Crolard, agent général d’assurances, membre fondateur du club, et Joseph Serand, archiviste entré en avril 1895. Mention de la fondation du Syndicat d’initiative in GUICHONNET P. : Histoire d’Annecy, Toulouse, Privat, p. 261.
Arch. dép. Nièvre, M 5012, Statuts, juillet 1895.