L’identité des cyclistes de l’U.S.F.S.A. repose d’abord sur une éthique de l’excellence. Statuts et règlements de l’Union portent en disposition liminaire et fondamentale l’admission des seuls amateurs ainsi caractérisés :
‘“ Toute personne qui n’a jamais pris part à une course publique, à un concours ou à une réunion ouverte à tous venants, ni concouru pour un prix en espèces - ou pour de l’argent provenant des admissions sur le terrain - ou avec des professionnels - ou qui n’a jamais été, à aucune période de sa vie, professeur ou moniteur salarié d’exercices physiques ”.’Tout gain en argent et toute confrontation avec des professionnels sont donc exclus. ‘“ On est amateur ou on ne l’est pas, et de même qu’on ne transige pas avec l’Honneur, de même on ne transige pas avec l’Amateurisme ”’ ‘ 1045 ’ ‘.’ Au-delà de ce refus clairement affiché d’accommodement avec le mercantilisme, l’éthique du “ bataillon sacré ” repose sur des idéaux spécifiques présentés comme autant de contre-pieds aux errements dénoncés du professionnalisme. La rubrique “ vélocipédie ” des Sports athlétiques s’en fait l’écho. Au premier rang des vertus requises figurent la loyauté, la générosité, l’honnêteté mais aussi l’audace, la vaillance. La vélocipédie est école de volonté. Les adhérents apprennent ‘“ à affronter toutes les températures, à vaincre tous les obstacles ”’ 1046 . Cette philosophie de la perfection, du dépassement de soi s’accompagne d’une vision hédoniste et bien sûr désintéressée. L’amateur pratique pour son plaisir, il considère les courses comme une distraction et non un travail. Il affronte l’adversaire - que ce soit un concurrent, lui-même ou la nature - pour l’amour du sport et la satisfaction de la gloire. Plus encore, son activité physique, exercice raisonné et intelligent, exercice hygiénique, sain pour le corps, sain pour l’esprit, contribue au développement intellectuel. La pratique unioniste ne vise pas moins qu’au perfectionnement global de l’homme, à la fois sportsman et “ honnête homme ”. La femme, quant à elle, n’est jamais prise en compte.
La commission de vélocipédie constitue le cœur du dispositif organisationnel, chargée qu’elle est, sous le contrôle toutefois du conseil de l’Union, de structurer, d’animer les activités et de faire respecter le règlement - elle prononce disqualifications et suspensions 1047 . Au premier texte très succinct 1048 , adopté le 14 janvier 1891, succède un code de courses détaillé de quatre-vingt-quinze articles 1049 . Y figure un calendrier de courses nationales dépendant directement de la commission et partagé entre challenges et championnats. Même si ces derniers (championnats interscolaires à partir de 1891, championnats de France à partir de 1892 1050 ) tendent à faire ressortir le champion de la masse, au total la préférence unioniste va nettement à la valorisation du collectif. Ainsi le championnat de France de 100 km. sur route, pourtant épreuve individuelle, mais courue avec entraîneurs, vise en fait à magnifier “ les belles vertus de solidarité et de dévouement ” à l’opposé de ‘“ l’égoïsme et de l’exclusivisme ”’ propres au sport professionnel 1051 . Champions et équipiers partagent la victoire. Ensemble ils ont combattu par “ amour du drapeau qui est ici l’écharpe du club ” 1052 . Les challenges subliment encore cet objectif.
À ces épreuves nationales s’ajoutent les réunions de clubs également soumises au contrôle de la commission qui accorde ou refuse les autorisations, vérifie les listes d’engagement et envoie souvent un de ses membres pour s’assurer de leur bon déroulement. La grande majorité de ces courses de clubs ont pour cadre la piste, gage, selon les dirigeants, d’une meilleure équité sportive et qui, espace clos, assure l’osmose entre les compétiteurs et un public choisi et connaisseur, rétif à la “ vulgaire ” route, dont les adeptes sont ravalés au rang de “ ratés de la piste ” 1053 . D’ailleurs, le code des records, à l’inverse de celui de l’U.V.F., n’admet que des tentatives sur vélodrome. La volonté d’intellectualisation de la pratique, précédemment évoquée, ne se prolonge pas par la valorisation du tourisme, qui, s’il ne suscite aucune critique, ne reçoit pas d’encouragement de la commission. Il semble hors de son champ d’intérêt qu’elle circonscrit à la seule compétition. Pourtant les sociétés offrent à leurs adhérents un programme de promenades et d’excursions 1054 .
Le sentiment identitaire du “ bataillon sacré ” est renforcé par les attaques auxquelles se livre la quasi-totalité de la presse sportive. Au début les journalistes fustigent l’anglomanie et la naïveté des Unionistes, les qualifient d’hypocrites, raillent leur “ pureté ”. Ils condamnent surtout leur idéal “ aristocratique ” qui exclut les coureurs de condition modeste. Plus tard ils ridiculisent l’amateur en l’assimilant à un coureur médiocre. Mais la décision de la fédération anglaise, la National Cyclists’ Union (N.C.U.) d’admettre que les licenciés de l’U.S.F.S.A. affrontent ses champions est pour Pierre de Coubertin “ la vengeance la plus douce que nous puissions tirer des railleries qu’on nous a si souvent lancées ” 1055 . En juillet suivant, à Buffalo, l’A.V.A., patronne la première véritable réunion opposant amateurs français et étrangers. À la fin de 1893, au grand salon vélocipédique annuel de Londres, le Stanley Show, l’Union affermit encore sa position. En effet, lors de la constitution de l’International Cyclists’ Association (I.C.A.), à dominante anglo-saxonne 1056 , elle est accueillie en tant que fédération fondatrice et devient la seule instance française reconnue au niveau amateur. Ses adhérents défendront donc les chances de la France dans les épreuves internationales dont les championnats du monde. Incontestable succès international qui assure à l’U.S.F.S.A. une légitimité renforcée.
Les sports athlétiques, 12 mars 1892.
Les Sports athlétiques, 16 janvier 1892. La citation conclut un article qui relate une course de 50 km. effectuée par une température de sept degrés en dessous de zéro et sur des routes “ couvertes de neige dure et glissante ”.
Cf. POYER A. : “ Le “bataillon sacré” des cyclistes de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (1890-1891) ”, in FAUCHÉ S., CALLÈDE J.P., GAY-LESCOT J.L.et LAPLAGNE J.P. : Sports et identités, Paris, L’Harmattan, 2000, pp. 51-64.
Inclus dans un document d’ensemble intitulé “ code de courses à pied et concours de sports athlétiques, football, lawn tennis… ”, il ne compte que trois articles qui fixent les épreuves des championnats interscolaires, les prix afférents et renvoient au code de courses à pied pour définir le déroulement des compétitions.
Annuaire de l’U.S.F.S.A., 1894. Les 95 articles se répartissent entre les dispositions générales (12 articles), le règlement des courses (engagements, costume, pénalités dans les handicaps, prix, départ…, 52 articles) et le règlement des records (31 articles).
Ils sont au nombre de trois. Le championnat de vitesse sur piste est couru en 1892 sur le mile (1609m.), en 1894, il passe à 2000m. avant de se fixer, en 1895, à 1km. Le championnat de fond sur piste abandonne en 1894 les 20km. initiaux et adopte alors la distance de 50km. La première édition de son homologue routier revêt un caractère solennel. Organisée le 20 novembre 1892, elle ouvre les fêtes du jubilé de l’Union à Ville-d’Avray. Henri Desgrange, alors coureur de l’A.V.A., l’emporte sur 50km. La distance est doublée à partir de 1893.
Les Sports athlétiques, 3 octobre 1897.
Ibid.
Les Sports athlétiques, 12 mars 1892.
En dehors de ceux des excursions effectuées par l’A.V.A. en 1891, Les Sports athlétiques ne font paraître aucun compte rendu de voyage.
Les Sports athlétiques, 30 avril 1892.
D’abord dirigée par l’Américain Raymond, l’I.C.A. élit en 1894 pour président le Hollandais F. Netscher qui va fortement marquer la fédération. Cf. La Bicyclette, 10 juin 1897.