1-2-4 L’U.V.F., toujours la diversité.

Contrairement aux fédérations régionales, à l’U.S.F.S.A. et au T.C.F. qui circonscrivent leur action à un territoire restreint ou à un seul type de pratique, l’U.V.F. continue à se positionner dans l’ensemble du champ cycliste français. Toutefois, les uvéfistes tardent à mesurer le danger que représente le T.C.F.. Trop confiants, aveuglés par leur ancienneté, par la croissance du nombre de leurs membres individuels - beaucoup appartiennent à la catégorie des notables 1072 -, ils ne réagissent véritablement qu’en 1894 avec la nomination d’une commission de tourisme ; celle constituée en 1890 ayant été transformée l’année suivante en commission sportive. Le budget, jusque là très peu tourné vers les voyages, prévoit pour 1895 un crédit de 8000F. La commission intervient pour l’ouverture de pistes cyclables, décide la pose de poteaux indicateurs, obtient le libre passage des adhérents dans divers pays étrangers. L’Annuaire de 1895 symbolise cette nouvelle orientation. En effet, si depuis sa création, en 1887, cette publication réserve une partie de ses pages aux touristes, elle innove huit ans plus tard en paraissant sous forme de quatre fascicules distincts dont un de 226 pages exclusivement consacré au tourisme. L’introduction de cette partie, due à G. de Pawlowski fixe l’objectif : ‘“ ce qu’il faut avant tout pour la [route] faire aimer, c’est en faciliter les détails matériels, en aplanir l’accès en frayant le chemin aux autres, donner toutes les indications nécessaires pour éclaircir ce dédale si complexe ”’ 1073 . En conséquence, de nouvelles rubriques apparaissent : renseignements portant, département par département, sur la qualité du réseau routier, le climat, les endroits à visiter, les règlements locaux de circulation et les excursions intéressantes.

Face à l’U.S.F.S.A., les querelles intestines entravent l’action. La catégorie des amateurs internationaux instituée au congrès de 1890 est supprimée l’année suivante. Tous les amateurs uvéfistes peuvent donc à nouveau prétendre à des prix en argent et en objets d’art, ce qui leur interdit les compétitions internationales et empêche l’I.C.A. d’accueillir l’U.V.F.. Cette dernière, exclue de la première structure internationale, cherche à sortir de son isolement. L’idée, développée dans Le Vélo 1074 par Paul Rousseau et Paul Hamelle, de créer une Union latine est reprise au congrès de 1894. Mais les championnats du monde opposant, comme elle le préconise, amateurs et professionnels ne voient jamais le jour car, faute d’échos favorables, le projet d’Union latine est vite abandonné.

En dépit de l’émergence des fédérations rivales, l’U.V.F., nous l’avons vu, connaît un accroissement de ses effectifs, ce qui nécessite des adaptations vers plus d’efficacité.

Au siège social, installé à partir de 1890 dans un local plus central 1075 (rue du Louvre), travaille un personnel de secrétariat plus nombreux. En décembre 1890, paraît le premier bulletin officiel indépendant 1076 . Au plan institutionnel, une série de décisions, prises sous la pression numérique croissante des Parisiens - au congrès de 1891, ils contrôlent vingt-trois des quarante et une voix -, modifie totalement la répartition des pouvoirs à l’intérieur de l’Union. Après qu’en 1890 le nombre des membre du comité est passé à dix et leur mandat à trois ans, le changement fondamental intervient en 1892. D’exécutif le comité devient directeur avec des attributions très étendues ‘“ qui lui permettront de marcher de l’avant sans perdre son temps en consultations le plus souvent stériles auprès du conseil permanent et tardives auprès du congrès annuel ”’ ‘ 1077 ’ ‘.’ Cette prééminence du comité, cette centralisation renforcée s’accompagnent de la remise en cause de la volonté d’indépendance, un moment décidée à la fin des années 1880, vis à vis de la presse et de l’industrie du cycle. Les incompatibilités de fonctions (directeur ou rédacteur d’un journal, emploi dans l’industrie vélocipédique) sont levées pour les quinze membres du comité directeur. De plus, la commission sportive née en 1891 est chargée de gérer la compétition. Le congrès lui lègue sa prérogative de désignation des pistes pour le déroulement des championnats de France. Les vélodromes parisiens, indépendants des sociétés mais affiliés à l’U.V.F. 1078 , bénéficient de ce transfert. En 1895, les trois épreuves conservées (championnat de vitesse bi et tri, championnat de fond bi) de même que le grand prix de l’Union créé en 1894, se déroulent au vélodrome de la Seine qui, en contrepartie, subventionne l’U.V.F.. L’organisation des grandes épreuves de la fédération passe ainsi des sociétés de province aux entrepreneurs privés de la capitale. Ce transfert confirme le fort mouvement de centralisation que connaît l’Union et dont profite particulièrement la commission sportive à la légitimité accrue à partir de 1894 lorsque sa nomination passe du comité directeur au congrès.

Ainsi, qu’ils soient régionaux ou nationaux, récents ou anciens, les groupements fédéraux connaissent une croissance de leurs effectifs dans la première moitié des années 1890. Les autonomisations réussies, au plan territorial de la Fédération du Nord, au niveau de la pratique de l’U.S.F.S.A. (compétition amateur) et du T.C.F. (tourisme), n’ont pas pour autant affaibli l’U.V.F.. Celle-ci tient à maintenir son influence - sa réaction en faveur du tourisme à partir de 1894 en est la preuve - sur l’ensemble du sport vélocipédique. Mais des dissensions internes sont à l’origine en 1895 d’une nouvelle fédération qui remet en cause l’existence même de l’U.V.F. et, par voie de conséquence, l’équilibre de tout l’édifice fédéral.

Notes
1072.

André du Chastenet, rentier, résidant au château de la Cosse à Verneuil sur Vienne en est un bon exemple. Son “ carnet de tenue des distances parcourues à bicyclette ” révèle un pratiquant solitaire n’entretenant aucun lien avec les sociétés voisines alors que Limoges n’est qu’à 14km. Entre juillet 1892 et mai 1895, il parcourt 9 385km. Arch. dép. Corrèze, Sport et société en Corrèze 1870-1914, catalogue de l’exposition, Tulle, 1979, p. 12, doc. 48. Par ailleurs, l’Annuaire de l’U.V.F. de 1895 fournit quelques indications d’origine sociale, mais trop partielles pour donner lieu à une statistique fiable. Sur un échantillon de 1178 membres individuels, nous ne disposons que de 455 indications socioprofessionnelles, 197 concernant des cafetiers, hôteliers ou restaurateurs et 43 autres des mécaniciens. Il s’agit là d’adhérents intéressés par les retombées commerciales et qui, de ce fait, veillent à ce que leur qualité soit indiquée dans l’annuaire, d’où une surestimation certaine si l’on rapporte leur nombre à 455. Les 215 indications restantes s’appliquent pour 137 à des notables, 40 à des “ employés ”, 33 à des petits patrons et 9 à des agriculteurs.

1073.

Annuaire de l’U.V.F., op. cit., 1895, p. 6.

1074.

Le Vélo, juillet 1894.

1075.

C’est le congrès de 1889 qui décide de la location d’un siège social indépendant en débloquant une somme de 600F. Après s’être installé 5, rue Rhumkorff dans le XVIIIème arrondissement, le comité, dans sa réunion du 30 septembre 1889, charge son secrétaire de trouver un local plus central à partir du 1er janvier suivant. En 1894, l’U.V.F. est installée 68, avenue de la grande armée et en 1895 40, rue St Ferdinand.

1076.

Depuis le congrès de 1889 avait été supprimé le principe de l’officialité concédée à un seul organe de presse et décidé l’envoi de communications officielles à tous les journaux.

1077.

Le Véloce-Sport, 6 octobre 1892.

1078.

À la fin de 1893, l’Union décide “ qu’à l’avenir les vélodromes qui voudraient s’affilier pourraient le faire en versant une cotisation égale au minimum exigé pour les sociétés, c’est-à-dire vingt francs ”. Le Véloce-Sport, 14 décembre 1893. En conséquence, les vélodromes obtiennent une voie consultative aux congrès.