2. L’U.V.F. affaiblie puis renaissante (1895-1899).

2-1. Crise à l’U.V.F. et création de l’U.C.F.

Le contrôle de l’U.V.F., dont le budget est passé de moins de 10 000F. en 1891 à plus de 100 000 en 1894, devient un enjeu de pouvoir d’importance entre deux camps bien distincts. D’un côté les “ traditionalistes ” regroupés autour du comité directeur, de l’autre les “ modernistes ” qui, sous la coupe de la commission sportive, veulent nouer des liens plus étroits avec les vélodromes et le complexe journalistico-industriel. Ces derniers, pour la plupart des nouveaux venus - le conflit est aussi générationnel -, ont pour mentor Paul Rousseau 1079 . Bon exemple de Rastignac de la vélocipédie d’alors, après avoir dirigé à Bordeaux le Véloce-Sport, il monte à Paris et crée en décembre 1892, en collaboration avec Pierre Giffard, le premier quotidien sportif, le Vélo 1080 . La tension déjà vive entre les deux groupes s’exacerbe au début de 1895. L’U.V.F. ayant en effet obtenu du conseil municipal de la capitale l’organisation du grand prix de Paris, en collaboration avec l’Association de la presse cycliste (A.P.C.) 1081 , le comité directeur nomme comme délégués à cette épreuve des membres pris en son sein. La commission sportive, ulcérée d’avoir été évincée, démissionne au mois de juillet, la veille de l’ouverture du congrès extraordinaire décidé par le président Louis d’Iriart d’Etchepare, avocat palois, successeur en 1892 de Georges Thomas.

Le but de la réunion est principalement de faire cesser les querelles au sommet de l’U.V.F., mais les provinciaux veulent aussi s’y faire entendre et plaident pour une nouvelle organisation leur donnant plus de latitude décisionnelle 1082 . Mais de salvateur le congrès devient destructeur. Il est fait table rase de l’ancienne organisation, à l’exclusion du président d’Etchepare chargé de réviser complètement la constitution uvéfiste et de nommer comités et commissions. Le grand perdant semble être le comité directeur soupçonné d’avoir causé un déficit important. La commission de tourisme n’est pas plus épargnée, accusée qu’elle est d’avoir dilapidé les fonds de la fédération en s’engageant auprès de la maison Larousse à hauteur de 10 000F. pour l’édition de guides et en faisant poser des poteaux indicateurs à des prix prohibitifs. La commission sportive triomphe, mais, contre toute attente, le comité directeur refuse de démissionner et poursuit son travail. L’anarchie s’installe. Le clan sportif décide alors de faire sécession et utilise largement les colonnes du Vélo pour diffuser ses idées et lancer une fédération.

Le 14 novembre 1895 paraît le manifeste de création de l’Union cycliste de France, ‘“ fédération sportive des sociétés et vélodromes français ”’ uniquement vouée à la compétition professionnelle. En dépit des protestations du président du comité directeur de l’U.V.F. 1083 , le ministre de l’Intérieur autorise en février 1896 le nouveau groupement qui, afin de récupérer le mécontentement des uvéfistes provinciaux, accueille les fédérations régionales et cherche à mettre en place une structure décentralisée basée sur des comités régionaux 1084 . Pourtant, hormis le sud-ouest et la Lorraine, l’U.C.F. s’implante peu hors de Paris. Les toutes récentes Fédération vélocipédique des deux Charentes 1085 et Fédération lorraine 1086 sont les seuls groupements régionaux à la rejoindre et sur 45 clubs qui adhèrent en 1896, 16 sont parisiens et 12 émanent de la Gironde, de la Haute-Garonne, de la Charente ou de la Charente-Maritime. L’origine géographique des membres honoraires fondateurs reproduit à peu près le même schéma 1087 . Au plan social, ils appartiennent pour beaucoup au milieu du cyclisme des affaires en tant que directeurs de vélodromes, publicistes sportifs ou fabricants de vélocipèdes 1088 . Par contre, la greffe est difficile avec le réseau associatif traditionnel. Les adhésions s’essoufflent après juin 1896 et les organisations (championnats départementaux, régionaux, nationaux, brevets de 100km. à accomplir en moins de cinq heures 1089 ) ne se multiplient pas et attirent peu de participants. Le soutien de la majorité des vélodromes ne suffit pas pour bâtir une fédération solide.

Bien que l’U.C.F. montre assez rapidement des signes de faiblesse, les conséquences de la crise sont dramatiques pour l’U.V.F.. En butte aux attaques incessantes du Vélo, la “ vieille bique ”, comme la désignent ses détracteurs, voit fondre ses effectifs : le Vélo se délecte de “ la dégringolade ” uvéfiste et liste les sociétés qui se désaffilient. Beaucoup de membres individuels, eux aussi décontenancés par ces querelles, ne reprennent pas leur adhésion. Les dirigeants, à la recherche de soutiens, acceptent le patronage de l’Omnium qui impose son code de courses. Son application est confiée à une commission sportive de dix membres comprenant six membres de l’Omnium dont le président (le duc de Brissac) et le secrétaire (H. Desgrange). Au congrès de 1896, de nombreuses voix s’élèvent contre cette association avec la société de la rue Spontini qui ne vise pas moins que de devenir pour le cyclisme l’égale de la Société d’encouragement en matière hippique. L’U.V.F. petite bourgeoise craint l’Omnium aristocratique et l’accord finalement échoue. Par ailleurs dépourvue de vélodromes - ils ont rejoint l’U.C.F. - l’U.V.F. ne peut organiser ses championnats de France ni son grand prix. Quant à la municipalité de la capitale, elle ne lui renouvelle pas sa confiance pour le grand prix de Paris, organisé par la seule A.P.C.. Sans que se réalise le pronostic de certains, à savoir la disparition de l’U.V.F., la crise qu’elle connaît profite au T.C.F.et à l’U.S.F.S.A..

Notes
1079.

Bordelais d’origine, Paul Rousseau, s’illustre d’abord en tant que coureur cycliste sous le pseudonyme de Wick. Ainsi bat-il quelques records, remporte-t-il en 1896 la course annuelle des Juniors de l’U.V.F.. Mais rapidement le journalisme le tente. L’année 1888 le trouve secrétaire de rédaction du Véloce-Sport, revue qu’il acquiert à la fin de 1889 avec Jegher et M. Martin. Il s’investit également au niveau fédéral en participant régulièrement aux congrès de l’U.V.F. à partir de 1888 et les propositions qu’il y fait marquent une évolution de la défense de l’amateurisme – les amateurs internationaux y sont créés à sa demande en 1890 – à son dénigrement. Henri Desgrange, après avoir rappelé qu’ “ il avait, comme beaucoup de ses compatriotes, vendu du vin ”, qu’il était “ un infatigable travailleur ”, nous décrit au physique Paul Rousseau, alias Lebeuf : “ sa culotte courte laissait passer d’énormes mollets, tandis que le haut du corps avait une exceptionnelle carrure, des membres faits pour la lutte ”. DESGRANGE H. : Alphonse Marcaux, op. cit., pp. 16-18.

1080.

Sur la naissance du Vélo, cf. MARCHAND J. : Les défricheurs…, op. cit., pp. 75-78.

1081.

Doté de 10 000F. par la ville de Paris et de 2000F. par le département de la Seine, le grand prix de Paris se déroule sur le vélodrome municipal de Vincennes. Les bénéfices sont attribués aux pauvres de la ville. VIOLLETTE M. : Le cyclisme, op. cit., pp. 121-122 et Arch. mun. Lyon, 485W P8, Rapport présenté par M. Quentin Bauchard, 1894-1895.

1082.

De cette réunion doit sortir “ enfin, une véritable constitution donnant les satisfactions vainement attendues jusqu’ici par les unionistes de la province ”, c’est-à-dire “ la composition au moins équilibrée entre Paris et la province, du comité directeur et le maintien d’un conseil provincial ”, institution créée en 1894 en lieu et place du conseil permanent. Revue des sociétés de sport du centre et de l’ouest, 1er mai 1895.

1083.

J. Bataille fait valoir que l’U.C.F. a copié les statuts de l’U.V.F., qu’elle veut s’approprier les championnats de France créés depuis quinze ans et demande de “ refuser cette autorisation, du moins de la subordonner à des modifications ”. Arch. nat., F7/12 376 a/503, Lettre au ministre de l’Intérieur, 28 décembre 1895.

1084.

La campagne de presse en faveur de l’U.C.F. a débuté par la parution d’un article de Marcel Viollette vantant les fédérations régionales qui, selon lui, permettent de “ mieux répondre aux aspirations diverses qui animent le monde cycliste ”. Le Vélo, 8 novembre 1895.

1085.

Cette fédération, créée en juin 1895, rejoint l’U.C.F. sous l’impulsion d’E. Tricoche, son président, riche négociant en eaux-de-vie de Jarnac. Malgré la sortie d’une revue officielle – L’Avenir cycliste des Charentes – en janvier 1896, la fédération prend peu d’extension et une assistance insuffisante empêche la prise de résolutions lors de l’assemblée générale de février 1896. Le Vélo, 26 février 1896.

1086.

Son initiateur, E. Kreis, administrateur de la Pédale de l’est, revue nancéienne datant d’octobre 1895, place résolument son action dans un cadre régionaliste. La Pédale de l’est, 19 novembre 1895. Mais la Fédération des sociétés de Meurthe-et-Moselle et Vosges ne va pas au-delà de la réunion constitutive du 29 mars 1896.

1087.

Sur 48 des 51 membres honoraires fondateurs dont figure l’adresse, 20 résident à Paris ou en région parisienne, 14 dans le sud-ouest (8 en Gironde) et 8 dans l’est. Arch. nat., 12 376 a/503, État nominatif des membres honoraires de l’U.C.F., 31 décembre 1895.

1088.

La liste fournit 35 indications professionnelles. 5 membres sont directeurs de vélodromes, 10 sont publicistes, 1 est fabricant de vélocipèdes, 1 autre constructeur mécanicien et 1 dirige la compagnie Dunlop à Paris. Les 17 autres membres, hormis 1 employé de préfecture et 1 hôtelier, appartiennent aux notables : négociants (8), médecins (2), propriétaires (2), ingénieur, avocat, expert. Arch. nat., 12 376 a/503, État nominatif des membres honoraires de l’U.C.F., 31 décembre 1895.

1089.

Le règlement de courses paraît dans Le Vélo du 8 février 1896. La principale innovation tient à l’abaissement d’une heure du délai du brevet de 100km. par rapport à celui de l’U.V.F.. Cette diminution se base “ sur les progrès accomplis depuis quelques années dans la fabrication des cycles ”, le brevet en six heures étant “ bon à aller rejoindre les vieilles lunes ”. Le Vélo, 2 mars 1896 et 7 mai 1896.