Sous la sage direction d’Henri Pagis, porté à la présidence au début de 1896, l’U.V.F. s’attache d’abord à survivre puis à restaurer progressivement sa vitalité et son crédit. Elle y est aidée, avant l’accord signé avec l’U.S.F.S.A. sous l’autorité de l’I.C.A., par la décision prise par cette même instance internationale lors de son congrès de Copenhague tenu au mois d’août. L’I.C.A. y refuse l’admission que demandait l’U.C.F. et confirme l’U.V.F. en tant que seule instance française représentative du professionnalisme. De plus, ce même congrès institue une licence professionnelle exigible sur les pistes des fédérations membres. En conséquence, les coureurs s’alignant dans des réunions organisées sur des vélodromes non reconnus (en France, ceux de l’U.C.F.) ne pourront pas l’obtenir et seront donc privés de rencontres internationales.
L’U.V.F. confirme son redressement en 1897, redressement largement favorisé par le soutien que lui octroie le Journal des Sports - ex Paris-Vélo -, quotidien tirant sur papier rose et rival du Vélo, imprimé, lui, sur papier vert. Le conflit fédéral se double d’une concurrence entre organes de presse. Le “ rose ” s’investit dans le projet et la réalisation à Boulogne du vélodrome du Parc des Princes. L’affiliation de cette piste à l’U.V.F. - Henri Desgrange 1118 , qui la dirige, y gagne une place au comité directeur - redonne à cette dernière la possibilité de faire courir ses championnats de France et son grand prix, de même qu’elle lui assure, de la part de l’I.C.A., un appui renouvelé. Plus modestement, le personnel consulaire, majoritairement resté fidèle 1119 , concourt à une reprise réussie des brevets de 100km. tant en province qu’à Paris. La sollicitude, intéressée, du Journal des Sports le conduit à codiriger, les 18 et 19 avril, avec l’U.V.F., une épreuve à forte connotation patriotique, la “ Course de relais ”. Le but en est de démontrer qu’un ordre de mobilisation parti de Paris peut, au moyen d’estafettes vélocipédiques, parvenir en un temps relativement court en douze points extrêmes du territoire : Pau, Toulouse, Perpignan, Marseille, Belfort, Nancy, Mézières, Calais, Le Havre, Cherbourg, Brest, Nantes. L’implication enthousiaste des sociétés situées sur les parcours 1120 , la présence d’un public nombreux aux lieux de relais - mille spectateurs au Mans 1121 - entraînent un large retentissement pour l’événement, qui sera reconduit en 1898 1122 , et par voie de conséquence la faveur de la fédération auprès des services publics. Par exemple, la direction générale des contributions indirectes, désireuse d’adjoindre à ses moyens de recherche et de contrôle l’emploi du vélocipède, fait appel à l’U.V.F. pour organiser et contrôler des épreuves d’aptitude pour le concours à l’emploi de surnuméraire 1123 . C’est encore avec la collaboration du Journal des Sports que l’U.V.F., soucieuse de défendre les intérêts généraux des cyclistes, lance une grande pétition réclamant l’abaissement de la taxe sur les vélocipèdes. Les 25 000 signatures obtenues porteront leurs fruits l’année suivante avec la fixation de l’impôt à 6F. par place. La “ vieille bique ”, objet de sarcasmes, est redevenue une institution respectée et elle accepte, en position de force en 1898, de signer un traité avec l’U.C.F.. Cette dernière se fond dans l’U.V.F. qui, en contrepartie, lui donne une place dans son comité directeur et trois places dans sa commission sportive, pour lesquelles MM. Riguelle, Léon Hamelle et Henry Noury sont désignés d’un commun accord. Les anciens dissidents revenus dans le giron unioniste n’auront de cesse qu’ils n’arrivent à diriger la fédération.
Le premier axe de leur stratégie consiste à s’imposer face au comité directeur en renforçant les moyens d’action de la commission sportive dont ils prennent rapidement le contrôle puisque Léon Hamelle en devient le président en 1898. La généralisation de la licence constitue la pierre angulaire de ce dispositif qui vise à assujettir le milieu de la compétition à l’autorité de la “ sportive ”. L’obligation, jusque là réservée aux coureurs professionnels, est étendue dans un premier temps aux organisateurs, contraints de souscrire une licence spéciale de 5F. sous peine d’interdiction de la réunion et partant de disqualification des participants, puis à la nouvelle catégorie des non-professionnels. Quant aux vélodromes, ils acquittent une affiliation de 25F.. Outre la consolidation de la tutelle uvéfiste, ces dispositions impliquent une indépendance accrue de la commission sportive puisque les recettes ainsi générées lui reviennent et s’ajoutent, entre autres, à la quote-part de 50 centimes perçue sur la cotisation de chaque membre individuel et au montant des amendes… Véritable état dans l’état, elle dispose ainsi en 1899 de 6000 F. de crédit qu’elle redistribue en prix et médailles aux coureurs et en allocations aux organisateurs.
La volonté d’émancipation de la “ sportive ” se manifeste aussi quand, en novembre 1898, plutôt que de s’appuyer en province sur le personnel consulaire déjà en place, elle préfère instituer dans chaque département un délégué sportif qui lui est directement attaché‘. “ Paul Rousseau fait nommer à ce poste tous les correspondants du Vélo ”’ 1124 et tisse ainsi un réseau de fidèles soutiens étendu à toute la France. Le conseil municipal de la capitale ajoute encore au prestige de l’U.V.F. en lui confiant à nouveau l’organisation du grand prix de Paris à partir de 1898.
L’U.V.F. s’affirme ainsi comme l’instance dominante en matière de compétition cycliste, ce qui l’incite à affronter de plus en plus ouvertement l’U.S.F.S.A.. La licence de non-professionnel créée à la fin de 1898 rencontre un réel succès. L’U.V.F. en délivre près de deux mille pendant les dix premiers mois de 1899. Au congrès d’octobre le comité directeur peut se féliciter qu’aux “ temps troublés ” - allusion à la lutte contre l’U.C.F. - ait succédé “ une situation plus prospère ” qui lui offre l’opportunité de “ ressaisir la partie de son apanage qu’elle avait abandonnée ” 1125 .
Cet objectif est facilité par l’étiolement de l’U.S.F.S.A. à partir de 1899. Ainsi sa plus prestigieuse épreuve, le challenge annuel des équipes premières, n’est disputée que par sept équipes cette année-là contre dix-sept en 1898. Cette même déliquescence vaut pour les autres épreuves à l’exception des championnats et challenges régionaux dont le nombre double de 1898 à 1899 1126 . De plus, certaines sociétés, afin de retenir ceux de leurs coureurs tentés par le professionnalisme, optent pour la double affiliation U.V.F.-U.S.F.S.A.. C’est le cas de l’A.V.I. dès 1897. D’autres, comme le Sport vélocipédique nantais, quittent l’Union et adhèrent à la nouvelle catégorie des non-professionnels de l’U.V.F.. La menace se précise encore avec la création annoncée pour le 1er janvier 1900 d’une licence d’amateur uvéfiste que condamnent les deux fédérations d’amateurs. Des pourparlers s’engagent et aboutissent, après des ‘“ négociations avec des formalités diplomatiques à faire pâlir les plénipotentiaires du congrès de La Haye ”’ 1127 , à la signature d’un traité, le 5 décembre 1899. Le texte stipule qu’une direction unique préside aux destinées du sport vélocipédique et que cette direction unique est confiée à l’U.V.F.. En conséquence, une commission d’amateurisme dite de l’U.V.F. est établie, mais, subtilité de la formule, elle est nommée par le conseil de l’U.S.F.S.A..
La restauration de l’U.V.F. peut aussi se mesurer à l’aune des affiliations de sociétés qui, après un recul de 40% entre 1895 et 1898 (188 à 132 sociétés), reprennent leur essor en 1899 avec 168 sociétés. L’influence uvéfiste est aussi confortée par la disparition de la Fédération vélocipédique du Nord confrontée à partir de 1896 à des tensions entre les sociétés du Pas-de-Calais plus frileuses et celles du Nord, surtout celles de Roubaix, plus dynamiques 1128 . En outre, la Fédération du Haut-Rhône s’essouffle. De 17 en 1895, le nombre de ses sociétés tombe à 11 en 1899. L’établissement de championnats de tandems (vitesse en 1896, fond en 1898) à la place de ceux de tricycles échoue. De même le remplacement de l’ancienne route du championnat de fond bi par celle de Chambéry-Albertville ne suscite pas un surcroît de participation 1129 .
Par contre l’U.V.F. doit affronter la Fédération cycliste lyonnaise constituée en 1896 sur l’initiative ‘“ de plusieurs présidents et membres de sociétés cyclistes [refusant] que la capitale ait le monopole exclusif de la force et de l’intelligence ”’ ‘ 1130 ’ ‘.’ Afin d’annihiler ce péril, l’U.V.F. joue la carte de la décentralisation en accordant en 1898 plus d’autonomie financière et organisationnelle à ses sociétés lyonnaises. Mais en 1899, quand neuf sociétés sont affiliées à l’U.V.F., la F.C.L. en groupe quatorze que l’U.S.F.S.A. n’arrive pas non plus à séduire 1131 .
Cependant, la conséquence la plus dommageable de la crise pour l’U.V.F. réside dans l’effondrement du nombre des membres individuels qui ne sont plus que 4800 en 1898 et 4542 en 1899 1132 . La bourgeoisie pédalante, celle des touristes, indisposée par les dissensions internes, s’éloigne d’autant plus facilement que le T.C.F. peut satisfaire ses vœux. L’U.V.F. y perd une importante source de revenus ainsi qu’un réseau d’influence, éléments qui tempèrent en partie la reconquête qu’elle effectue à partir de 1897 et renforcent en contrepoint l’expansion du T.C.F..
L’évolution fédérale suit donc au cours des années 1890 un processus complexe, tumultueux et riche en rebondissements. Sur fond de vélocipédie triomphante, apparaissent des groupements régionaux parmi lesquels la Fédération vélocipédique du Nord (1890) est la seule à se fixer des objectifs larges qu’elle réussit à tenir pendant cinq à six ans. La Fédération du Haut-Rhône déjà ancienne, ou l’Union vélocipédique bretonne (1894) se contentent de proposer congrès et championnats sans chercher à gérer le cyclisme de leur zone d’action. D’autres sont très éphémères.
Le T.C.F. et l’U.S.F.S.A., les deux nouvelles structures nationales constituées en 1890 et dotées chacune d’une identité forte, se taillent un territoire - le tourisme, pour la première, la compétition amateur, pour la seconde - à l’intérieur du champ de l’activité cycliste. Mais là où le T.C.F., appuyé sur son recrutement des seules individualités et sur ses buts d’intérêt général, continue à prospérer en fin de période, l’U.S.F.S.A. résiste difficilement à la restauration que connaît l’U.V.F. après avoir surmonté la crise qui aboutit en 1895 à la création de l’éphémère U.C.F. par des dissidents. Ainsi en 1899, le T.C.F. est le seul groupement à pouvoir véritablement contester la puissance de l’U.V.F. et même à la dépasser largement dans le domaine du tourisme. Le Touring-club a réussi son autonomisation. Pour autant, s’il confère des avantages aux adeptes du voyage, il ne cherche pas à coordonner leurs sorties et à établir un calendrier attractif.
Quant aux relations fédérations-associations, l’exemple de l’U.S.F.S.A. est déterminant. La nécessité de préserver la stricte éthique amateur génère une codification rigoureuse et un contrôle sourcilleux du tout puissant comité de vélocipédie. Par la mise en place des licences exigées des coureurs et organisateurs, l’U.V.F. suit la même voie et impose à son tour sa mainmise sur les compétiteurs et les associations - du moins celles qui y adhèrent, c’est-à-dire encore une minorité - ce que regrette l’Union vélocipédique lavalloise en 1899 :
‘“ Le secrétaire ajoute que le 21 février 1894, c’est-à-dire le jour de la création de l’Union vélocipédique lavalloise, les fondateurs de l’U.V.L. avaient la ferme intention de constituer une société absolument libre, qu’ayant vécu seule jusqu’à ce jour, suffisant à tous les besoins, cette société n’avait besoin d’aucune direction venant de l’extérieur. Cependant, une société s’est constituée et a émis la prétention d’imposer ses règlements à toutes les autres sociétés et vélodromes. Il s’agit, dit-il, de l’Union vélocipédique de France.
Henri Desgrange a alors 32 ans. Après une courte carrière cycliste (1892-1895) dans les rangs de l’A.V.A. – son titre le plus prestigieux est d’avoir établi le premier record du monde de l’heure avec 35 km. 325 m. –, il préfère, plutôt que d’exploiter professionnellement sa licence en droit, se tourner vers le journalisme et la publicité. DELCROIX J.P. : “ Henri Desgrange, coureur vélocipédique ”, Cycl’hist, n° 17, avril 1994, pp. 9-13.
Cf. Annexe stat. D 20 : Évolution de l’effectif du personnel consulaire de l’U.V.F. (1884-1914) – Graphique.
Ainsi, sur le parcours Paris-Nantes se relaient par groupes de six cyclistes le Véloce-club batignollais (Paris-Versailles, 18km.), la Société vélocipédique versaillaise (Versailles-Rambouillet, 34km.), le Vélo rambolitain (Rambouillet-Chartres, 36km.), le Club des cyclistes de Chartres associé au Cycle de Courville et au Cycle de Bonneval (Chartres-La Loupe, 32km.), le Cycle loupéen et la Pédale d’Illiers (La Loupe-La Ferté-Bernard, 45,5km.), la Société vélocipédique fertoise (La Ferté-Bernard-Le Mans, 44,5km.), L’Union vélocipédique de la Sarthe (Le Mans-La Flèche, 42km.), la Pédale fléchoise (La Flèche-Angers, 46,5km.), le Véloce-sport nantais (Angers-Ancenis, 51,5km.) et enfin le Sport vélocipédique nantais (Ancenis-Nantes, 38km.), soit treize sociétés. Seul l’itinéraire Paris-Pau a été arrêté à Angoulême par suite de la défection d’une société de cette ville. L’Étoile cycliste, avril 1897.
Ibid.
Cette nouvelle course est disputée du 10 au 12 avril 1898 et compte quatorze parcours. Le texte de la dépêche transmise est ainsi libellé : “ Le cyclisme français, unissant ses forces, les met au service de la patrie ”. L’Étoile cycliste, avril 1898.
Les premières épreuves se déroulent le 8 août 1897 dans toute la France sur 50 km. Bulletin officiel de l’U.V.F., 10 septembre 1897.
GOUSSEAU D. : “ Histoire chronologique du cyclisme en France ”, Cyclette-revue, mars 1961.
Bulletin officiel de l’U.V.F., novembre1899.
La décision du conseil de l’Union du 19 mars 1897 est primordiale en ce domaine. Elle institue en plus des challenges des championnats de vélocipédie à courir sur le modèle fédéral dans neuf régions. 24 sont organisés en 1899 dont 7 par le comité du centre-ouest (Chartres). POYER A. : “ Le bataillon sacré… ”, art. cit., p. 63.
La Vie au grand air, 17 décembre 1899.
Aux deux congrès de 1896 – Valenciennes le 22 mars, Abbeville le 28 juin –, les sociétés n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente sur des questions telles que l’accueil de membres individuels dans les localités dotées de sociétés ou le développement de l’activité touristique.
La décision est prise au congrès en 1896. Cette route est retenue pour son bon entretien, sa largeur, ses ombrages, ses facilités de liaisons par lignes téléphoniques et sa proximité de la voie ferrée très utile aux contrôleurs et aux coureurs fatigués ou accidentés. Arch. dép. Haute-Savoie, 66J 11.
Lyon-Sport, 29 janvier 1898.
L’U.S.F.S.A. a donné le lundi de Pentecôte “ une grande fête, dite des Grands Prix de l’Union. […] Le comité du sud-est avait, pour la circonstance, permis aux sociétés lyonnaises indépendantes ou faisant partie de la Fédération cycliste lyonnaise d’y prendre part ”. Lyon-Sport, 16 décembre 1899.
Cf. Annexe stat. D 21 : Évolution du nombre des membres individuels de l’U.V.F. (1886-1913) – Graphique.
Laval-Sport, décembre 1899.