3ème partie : La banalisation du cyclisme associatif (1900-1914)

Introduction 

1900 : Paris accueille la dernière Exposition universelle du siècle. À côté des grands bâtiments édifiés pour l’occasion - Petit et Grand Palais, Pont Alexandre III - figure aussi une enceinte vélocipédique, un nouveau vélodrome municipal 1138 . Il est installé près de son devancier, à Vincennes, et en septembre s’y déroule une semaine de courses richement dotées 1139 . Les deux précédentes expositions tenues dans la capitale paraissent bien loin : celle de 1867 qui avait contribué au lancement médiatique du fruste vélocipède et l’édition de 1889 au cours de laquelle faute d’entente entre les clubs parisiens, aucune épreuve n’avait été disputée.

La communauté cycliste et plus particulièrement l’U.V.F., maître d’œuvre du programme, peut à juste titre s’enorgueillir des progrès réalisés. Toutefois d’autres événements sportifs rehaussent l’éclat de l’exposition, dont les deuxièmes Jeux Olympiques de l’époque moderne, après ceux d’Athènes de 1896, ne sont pas le moindre. Les sports anglais y tiennent une place de choix. Portés par un phénomène de mode né dans le milieu lycéen et étudiant, ils se posent en rivaux dangereux. Le cyclisme n’apparaît plus comme la seule alternative, en matière d’exercices physiques, au modèle disciplinaire et collectif des sociétés conscriptives. De plus l’automobile vole à la bicyclette le titre de moyen de locomotion individuel le plus rapide, estompe son caractère de modernité, la banalise.

Que peuvent faire valoir les cyclistes en sociétés face à ces nouveaux venus ? Peu de choses. En effet, la presse leur accorde moins ses faveurs. Le temps des revues cyclistes est révolu. Une à une, la Bicyclette, le Cycle, le Véloce-Sport…, pour ne retenir que les plus célèbres, ont disparu et des quotidiens comme Paris-Vélo ou le Vélo ont dû pour conserver leur lectorat ouvrir leurs colonnes aux disciplines sportives récentes 1140 . En outre, la bicyclette ayant atteint un niveau de technicité assez peu perfectible, les tenants du deux-roues reportent leurs espoirs sur l’accroissement du nombre d’utilisateurs puisque le parc vélocipédique poursuit son augmentation : deux millions en 1907, trois millions et demi en 1914 1141 .

Au vu de ces tendances, il convient en premier lieu de se demander qui de l’essor des sports anglais et de l’automobile ou de la croissance du nombre de bicyclettes influe le plus sur le cyclisme associatif. Analyse qui sera prolongée par la mise en lumière des variations ou permanences d’ordre géographique et social, tout en sachant que l’étude en sera moins approfondie que pour les deux périodes précédentes. En effet les nouvelles dispositions légales - loi sur la liberté d’association de juillet 1901 - ne concernant plus toutes les sociétés et allégeant les formalités requises, amènent un appauvrissement des sources disponibles.

Au-delà des transformations du contexte sportif, l’événement charnière propre à l’associationnisme cycliste réside dans la création à Paris, au mois d’avril, de l’Union cycliste internationale : l’objectif est de remplacer l’I.C.A.. Le coup de force réussit, à l’instigation de l’U.V.F., qui se donne ainsi les moyens de contrôler à sa guise le secteur compétitif, qu’il soit professionnel ou amateur.

Le second axe de travail consistera donc à s’interroger sur l’utilisation que fait l’U.V.F. de cette possibilité d’hégémonie et en quoi les décisions prises modifient les structures, les orientations, la part des divers intervenants du monde des courses. L’U.V.F. dirige-t-elle seule? Se renforce-t-elle ? Que privilégie-t-elle ? Comment évoluent ses rapports avec les sociétés et les organisateurs privés ? L’amateurisme survit-il à la disparition de l’I.C.A. ?

Enfin nous devrons rechercher si la pratique touristique continue à se complaire dans une certaine atonie, si des innovations la font sortir de l’anonymat et surtout si, dépassant le but d’intérêt général poursuivi par le T.C.F., elle s’autonomise véritablement afin de devenir une discipline sportive à part entière.

Notes
1138.

Sa piste en ciment mesure 500 m., mais la ville de Paris n’a pas jugé bon d’y installer des tribunes permanentes.

1139.

Le clou de cette semaine (9 au 16 septembre), le Grand prix de l’Exposition offre 15 000 F. au vainqueur, allocation “ la plus forte qui ait jamais été donnée dans une épreuve cycliste ”. VIOLLETTE M. : Le cyclisme…, op. cit., p. 126.

1140.

Paris-Vélo devient en 1897 le Journal des Sports, Paris-Vélo, et, en 1900, le Vélo a pour sous-titre “ journal de l’automobile, du cyclisme et de tous les sports ”.

1141.

Cf. Annexe stat. D 6 : La taxe sur les vélocipèdes (1893-1914) – Tableau.