3-2. Des associations socialement homogènes.

Qu’aux dires du docteur Ruffier, la bicyclette soit “ fort méprisée par les gens convenables ” 1230 et qu’ainsi les manèges vélocipédiques ferment leurs portes les uns après les autres 1231 , que les documents attestent la montée de l’élément populaire, il n’empêche que des membres de la bonne bourgeoisie participent encore à la création de sociétés - en nombre certes plus limité qu’auparavant - et que, surtout, des groupements plus ou moins élitistes continuent à fonctionner. À priori quelques évolutions peuvent faire penser le contraire. Ainsi le Vélo-club grenoblois s’éteint sans bruit et beaucoup de ses adhérents entrent à l’Automobile-club dauphinois 1232 . Sur les bords de la Méditerranée, lors d’une assemblée générale extraordinaire tenue le 16 avril 1900, l’Automobile-vélo-club de Nice abandonne la pratique cycliste et devient l’Automobile-club de Nice. Parmi les sept membres à vie - ils ont versé une somme de 500F. - qu’il compte à sa fondation, figurent le comte de Courcelles, les barons Arthur et Henri de Rotschild, le magnat new-yorkais William S. K. Vanderbilt 1233 … À Périgueux, des statuts de 1903 laissent apparaître que l’ancien Véloce-club périgourdin devenu Véloce-club périgourdin, Automobile-club de Dordogne - appellation approuvée par les autorités le 10 mars 1899 - s’est transformé en société d’encouragement et qu’il n’envisage plus les courses et promenades sur deux-roues que comme des “ possibilités ”. Cette évolution soucieuse de préserver l’entre-soi plutôt que la pratique vélocipédique trouve son terme en 1908 quand l’association se transforme en Automobile-club de Périgord sans changement de personnel dirigeant : le comte de Fayolle, président depuis 1891, poursuit son mandat 1234 .

Fort heureusement pour le cyclisme, ces mutations font figure d’exceptions et bien que l’automobilisme marque fortement bon nombre de véloce-clubs bourgeois (cf. supra), comme il attire les champions cyclistes 1235 , une grande majorité n’en abandonnent pas pour autant la bicyclette et laissent s’autonomiser en dehors d’eux le nouveau sport. À titre d’exemple, le Véloce-club de Tours, doté d’une commission d’automobiles en mars 1900 1236 et organisateur d’une course motorisée le 6 mai 1237 , ne se saborde pas lors de la fondation de l’Automobile-club de Touraine en août 1901 1238 , pas plus que ne le fait l’Union auto-cycliste de la Sarthe lors de celle de l’Automobile-club de la Sarthe en janvier 1906 1239 ou l’Auto-véloce-club d’Angersquand se fonde en 1910 l’Automobile-club de l’Anjou 1240 . En fait, les dirigeants préfèrent que leur société s’en tienne à son activité originelle, par conviction sûrement, mais peut-être également de crainte de voir partir les adhérents les moins fortunés et aussi de perdre en influence, car risquant de devenir anonymes dans des associations au recrutement social bien plus élitiste. Pour autant, par souci de distinction sociale, les programmes continuent de porter des sorties en automobiles, de même que certains véloce-clubs s’ouvrent au tennis alors ‘“ pratiqué quasi exclusivement par certaines fractions de l’aristocratie et de la bourgeoisie comme une activité permettant d’entretenir et de développer leurs réseaux de relations sociales ”’ ‘ 1241 ’ ‘.’

Déjà à la tête de onze courts, le Véloce-club brestois en ajoute cinq autres en 1909. Son premier tournoi du 13 au 16 août 1906 remporte un grand succès et la section amène plus de 2000F. de recettes annuelles à la fin de la décennie 1900 1242 . Celle du Véloce-club béarnais, moins développée, s’inscrit, hors

cotisations, à 500F. en 1907 et 700F. en 1913 sur 7300F. et 6000F. de recettes globales 1243 . L’élitisme de la société paloise transparaît encore davantage dans le chalet qu’elle a fait édifier en bordure de la nouvelle piste tracée en 1901-1902 dans le parc de la gare. Sur plus de 300 m² répartis en deux niveaux (18m. x 9m.), il comprend buvette, cuisine, chambre-vestiaire, cabines, douches, salles de jeux, de lecture, de conversation, local des archives et le coût de sa construction s’est élevé à plus de 15 000F 1244 . De plus si le club continue de donner ses grandes courses de Pentecôte, leur objet n’est pas de réaliser des bénéfices - elles sont invariablement déficitaires - mais ‘“ d’entretenir le goût de la vélocipédie, d’en enregistrer les progrès, d’en vulgariser les effets utiles […] d’agir ainsi dans l’intérêt général ”’ 1245 . Le Véloce-club béarnais devient une société d’encouragement et à la fin de la période les coureurs locaux appartiennent à des groupements plus populaires tels que l’Union cycliste paloise créée en 1911. Le Véloce-club, après leur avoir loué sa piste, les juge sans aménité :

‘“ Leur tenue et surtout leur langage ont été souvent incorrects, ce qui offre des inconvénients sérieux à cause de la proximité des jeunes filles, des enfants et des dames qui fréquentent le terrain de jeux. De plus il s’établit une maraude de coureurs n’ayant pas payé, et qui, chose bizarre, bénéficient de la complicité de ceux qui ont payé ” 1246 .’

Le même clivage social transparaît au Havre. Le “ vieux ” Véloce-club havrais quoique moins huppé que son homologue béarnais refuse en effet en 1904 la proposition qui lui est faite d’intégrer une fédération de sociétés cyclistes - la plupart récentes - de l’arrondissement du fait de ‘“ sa volonté formelle de ne pas déroger du milieu social qu’il s’est choisi ”’ 1247 . Il précise encore : ‘“ l’admission des membres du V.C.H. étant des plus sévères, point n’est besoin de rencontrer dans une fédération des membres non admis chez nous ”’ 1248 . Deux ans plus tard, à la suite d’incidents survenus au cours d’une excursion, le président, le docteur Henry, lance un rappel à l’ordre dans lequel “ il entend que le V.C.H. reste une société de gens convenables et bien élevés ” 1249 .

Le brassage social n’est pas plus réalisé à la Société vélocipédique vernonaise, fondée en 1886, et qui, en 1913, est ‘“ composée uniquement de jeunes gens de la ville parfaitement honorables. Parmi eux se trouvent quelques fonctionnaires et employés, mais la majeure partie sont des fils de commerçants ou de rentiers […], c’est l’élite de la jeunesse vernonaise ”’ 1250 . Point de trace de représentants des catégories populaires. De même entre 1908 et 1910, le recrutement de l’Union auto-cycliste de la Sarthe garde ses caractéristiques antérieures basées sur l’accueil d’un grand nombre de membres du négoce 1251 . Autre indice de ce statu-quo social, le maintien de notables à la tête de ce type de sociétés jusqu’en 1914 : l’avocat Larcher (Véloce-club nancéien), le docteur Henry (Véloce-club havrais), le rentier de Farcy 1252 (Auto-véloce-club d’Angers), le comte de Bucy (Cycliste lorrain), le négociant et maire Maintrot (Véloce-club Wasseyen), l’entrepreneur Jagot (Union auto-cycliste de la Sarthe)… Les associations cyclistes, du moins celles à l’effectif choisi, demeurent des institutions qu’il est valorisant de présider. Le contraste est frappant avec l’évolution constatée ci-dessus parmi les véloce-clubs récemment fondés dont la composition populaire - elle n’est pas contrebalancée comme dans les sociétés de gymnastique par l’aura patriotique - semble jouer le rôle de repoussoir au soutien des élites. Alors que la Société vélocipédique vernonaise ‘“ est patronnée par des notabilités de la ville qui lui viennent en aide pécuniairement ”’ ‘ 1253 ’ ‘,’ le Rally-cycle rennais qui s’intitule “ société ouvrière ” n’a que “ quelques rares membres honoraires ” 1254 . Son président, un ouvrier typographe, dans une lettre qu’il adresse à la municipalité rennaise, décrit clairement le phénomène de ghettoïsation qui va de pair avec le développement du cyclisme ouvrier :

Figure 17. : Projet de chalet pour le Véloce-club béarnais.
Figure 18. : Le chalet du Véloce-club béarnais, un jour de courses.

In Arch. dép. Pyrénées-Atlantiques, 20J 313.

‘“ Il y a quelques mois, une jeune société sportive, le Rally-cycle rennais, prenait naissance, groupant un certain nombre d’ouvriers et d’employés rennais.
L’œuvre du début s’est depuis développée et aux premiers adhérents vinrent se joindre de nouvelles admissions qui, par leur nombre et leur spontanéité, prouvent que le Rally-cycle venait à son heure et répondait bien à de légitimes aspirations.
En effet il existe bien à Rennes une société florissante, le Vélo-cycle rennais, mais les ouvriers et les employés n’osent s’y inscrire en raison de leur modeste situation et aussi parce qu’ils éprouvent du faîte (sic) de leur éducation, une certaine gêne dans leurs épanchements pour leur sport favori, en se trouvant dans un milieu d’étudiants et de personnes aisées.
Au Rally-cycle, ils se trouvent entre eux, parmi des camarades d’atelier qui ont les mêmes goûts, les mêmes aspirations et aussi le même genre d’éducation qu’eux ” 1255 .’

Le choix d’ouvriers ou de membres de la bourgeoisie populaire pour occuper des postes de direction s’inscrit dans la ligne de ce témoignage, de même que la création par un bouchonnier d’Épernay d’une Union ciclista espagnola “ se composant exclusivement de sujets espagnols ” 1256 travaillant dans la ville.

L’ouverture à d’autres activités identifient également les associations ouvrières : là point d’automobilisme ou de tennis mais plutôt le tir, la marche, la pêche, les boules, la pratique musicale comme au Club cycliste excursionniste musical stéphanois, “ société exclusivement ouvrière ” qui ajoute aussi la sarbacane 1257 . En se convertissant au sport vélocipédique, le prolétariat n’en délaisse pas pour autant ses pratiques et jeux traditionnels 1258 .

Par contre, les cotisations ne sont pas vraiment un élément de différenciation entre la nouvelle génération de sociétés et la précédente. Il est vrai que certains frais de fonctionnement sont incompressibles et interdisent tout abaissement excessif.


Cotisations
Sociétés
1900-1906 1907-1914 1900-1914
Nbre % Nbre % Nbre %
Moins de 6 F. 47 24 24 23,3 71 23,8
6 F. 77 39,3 42 40,8 119 39,8
7 à 11 F. 6 3 1 1 7 2,3
12 F. 56 28,6 31 30,1 87 29,1
Plus de 12 F. 10 5,1 5 4,8 15 5
Total 196 100 103 100 299 100
Sources : Arch. dép. et mun.

Les contributions ne dépassant pas 6F. progressent légèrement (63,6% au lieu de 53,1% entre 1888 et 1899) 1259 et la diminution de la cotisation moyenne - elle avait fortement reculé entre les périodes d’invention (14F.) et d’âge d’or (9F. 40) - se ralentit. Elle est de 8F. pour les années 1900-1914 avec un écart minime entre le début (8F. 10) et la fin (7F. 80) de la séquence. Il n’est pas rare que les associations ouvrières - celles de la région de Montbéliard sont exemplaires sur ce point - exigent de leurs membres une quote-part de 12F. Le recul de 6F. 90 à 6F. 30 des cotisations des membres honoraires est également faible 1260 . Quant aux membres correspondants, de moins en moins souvent mentionnés dans les statuts 1261 - signe que les sociétés sont bien celles du quartier, des environs immédiats -, leur contribution est de 5F. 10. Enfin, les sociétés diminuent assez nettement le droit d’entrée avec une baisse du tarif de 30% : 2F. 10 au lieu de 3F. Celles qui le fixent à 1F. sont presque aussi nombreuses que celles qui réclament 2F. alors qu’auparavant le second cas était trois fois plus fréquent que le premier.

Les sommes ainsi collectées aident parfois à la mise en place de soutiens financiers en cas d’accident, de maladie. Mais si certaines sociétés ouvrières se distinguent par un caractère mutualiste affirmé 1262 , la création en 1908 de la Fédération sportive athlétique socialiste (F.S.A.S.) n’a, semble-t-il, pas plus de répercussions dans le milieu cycliste que dans les autres sports 1263 . L’annuaire de 1911 cite la Pédale socialiste d’Avion (Pas-de-Calais) et à Cholet fonctionne peu de temps une “ Jeune pédale socialiste et sportive dont les activités sont réservées aux seuls membres du syndicat ” 1264 . Plus fréquentes sont les sociétés créées à l’initiative du patronat ou avec sa bénédiction, afin de favoriser le développement d’une conscience d’entreprise. La ville d’Angers voit ainsi se réaliser en décembre 1912 un projet ambitieux, véritable archétype de paternalisme : le Club sportif de la Société des filatures, corderies et tissages d’Angers. Grâce à un entraînement scientifiquement assez poussé - un professeur de culture physique parisien est chargé de former un moniteur et six instructeurs dont un pour le cyclisme -, Julien Bessonneau, directeur de la firme, entend que ‘“ l’ouvrier soit heureux de son travail et qu’il l’accomplisse allègrement […] en toute conscience, avec la vigueur de son corps et de son âme ”’ 1265 . L’amélioration du rendement du travailleur se profile en filigrane de ce programme. Enfin l’usine désigne les dirigeants et prend à sa charge tous les frais y compris le costume obligatoire 1266 . Sans s’impliquer aussi fortement, des entreprises liées au cycle aident à la formation de véloce-clubs en leur sein et les contrôlent par personnel d’encadrement interposé. Dans le secteur du pneumatique naît de la sorte à Chalette un Touring-club Hutchinson, sous la présidence d’honneur du directeur de l’établissement, ‘“ dans le but de resserrer les liens de bonne camaraderie ”’ parmi les employés et ouvriers 1267 . À Clermont-Ferrand, Marcel Michelin constitue en 1911 l’Association sportive Michelin dont la section cycliste était déjà en germe depuis la constitution en 1904 d’une commission de quatorze membres chargée de gérer les courses réservées au personnel 1268 . Chez les grands fabricants de deux-roues apparaissent le Vélo-club Terrot à Dijon ou à Saint-Étienne la Pédale de l’avenir cyclophile Automoto, le Cyclo-club Wonder. La firme Clément-Bayard fonde une société pour la main d’œuvre de son usine de Levallois et met à sa disposition l’ancienne piste de la Seine 1269 . La firme d’automobiles Panhard-Levassor suit le mouvement. Au total, ces groupements sont en nombre suffisant dans la région parisienne pour constituer une des branches du cyclisme des corporations qui, déjà vivace avant 1900, connaît une certaine expansion. Une bonne cinquantaine de groupes, pour la plupart intégrés à des clubs multisports 1270 , coexistent en 1913 à Paris et en banlieue 1271 , dont certains adhérents à la Fédération sportive des sociétés corporatives de France, organisatrice d’épreuves inter-corporations. Bon indice de l’audience du phénomène, l’Auto lui consacre une rubrique particulière partagée entre l’alimentation, la banque, la coiffure, le commerce, le cycle et l’automobile, les fonctionnaires, le livre, la presse, les magasins et les transports.

Le mouvement s’amplifie également en province, à Bordeaux 1272 et Lyon 1273 , villes auxquelles il ne se limite plus. Des cyclistes des chemins de fer, des grands magasins (Dames de France, Nouvelles Galeries), de l’alimentation, la coiffure, la bijouterie, les postes et télégraphes… s’associent à Versailles, Rouen, Le Havre, Amiens, Montauban, Toulouse, Montpellier, Angers, Tours… Par exemple, dans cette ville, sont fondés l’Union sportive du Paris-Orléans, l’Union vélocipédique du Grand bazar, les Associations sportives du Comptoir d’Escompte et du Crédit Lyonnais et une section du Club athlétique de la Société Générale (C.A.S.G.) qui a une extension nationale. Officialisée par une déclaration en date du 4 novembre 1903, cette structure déjà ancienne 1274 compte en 1914 quarante groupes répartis sur l’ensemble du territoire et environ huit mille membres. À cette date le congrès du groupe du sud-est réunit à Lyon mille deux-cents participants 1275 . Un tel succès provient de la forte incitation donnée par le directeur national, Louis Dorizon, qui, épaulé par le sous-directeur M. Minvielle, “ a pour ainsi dire, parmi son personnel, élevé le sport à la hauteur d’un principe ” 1276 . Chaque groupe fédère plusieurs agences - le 21ème associe ainsi celle de Saumur, Angers, Loches, Tours, Chinon et Thouars, celui du sud-ouest celles de Pau, Tarbes, St-Gaudens, Dax, Mont-de-Marsan… - et est placé sous la responsabilité des directeurs régionaux ou locaux. Il s’agit de ‘“ fournir aux employés les moyens de se mieux connaître, de resserrer les liens de bonne camaraderie qui doivent les unir ”’ 1277 et ainsi d’insuffler une dynamique à ce corps fortement éclaté. Ce souci d’union est couronné par la fête qui réunit traditionnellement dans le parc du château de Marly plusieurs milliers de sociétaires. La course cycliste organisée à cette occasion constitue le clou de la manifestation.

Il est bien sûr inapproprié de parler d’ “ esprit d’entreprise ” à propos des associations régimentaires, pourtant l’ “ esprit de corps ” qu’elles cherchent à valoriser relève du même registre.

Le véritable démarrage du sport associatif militaire coïncide avec le début du siècle, quand l’armée privilégie l’amélioration de son rôle social. Assez lent à se mettre en place, il est fort de 153 sociétés en 1913 1278 . Le modèle multisports semble partout retenu. La Société athlétique du 87 ème régiment de ligne de St-Quentin s’adonne au football, à la course à pied et à la vélocipédie 1279 . L’Union sportive du 134 ème régiment d’infanterie basé à Mâcon compte sept sections, chacune dirigée par un officier, en l’occurrence un lieutenant pour celle de cyclisme. Un comité de direction chapeaute l’ensemble mais bien que les statuts lui confèrent “ les pouvoirs les plus étendus ”, ses décisions ne sont applicables qu’après approbation du colonel. Contre une cotisation variant en fonction des grades, les sociétaires participent aux séances d’entraînement, aux championnats et à des rencontres avec des sociétés militaires ou civiles 1280 . C’est ainsi qu’à Toulon, en septembre 1911, les cyclistes des treize sociétés régimentaires de la ville - chacune est attachée à un bateau de l’escadre - se disputent les prix d’une course organisée à leur intention par La Vie sportive et la municipalité 1281 . Au mois de mars suivant, ils représentent un cinquième du peloton de la coupe Cizeron ouverte à tous 1282 .

La progression du sport cycliste militaire contraste avec la faiblesse de la vélocipédie scolaire. Les épreuves courues sous l’égide de l’U.S.F.S.A. poursuivent leur déclin. En 1900, le championnat interscolaire n’attire que onze participants, le challenge, cinq sociétés et deux régions seulement - le Centre-ouest et les Alpes - organisent des compétitions. Après le retrait de la fédération amateur en 1901 (cf. infra), l’U.V.F. prend difficilement le relais. Son annuaire de 1903 ne fait état que de cinq adhésions d’associations lycéennes. En fait la plupart n’avaient déjà plus véritablement de sections 1283 . Le calendrier national uvéfiste comporte cinq épreuves réparties entre avril et juin 1284 mais leur déroulement laisse peu de traces dans la presse. Faute de participants, le challenge du kilomètre sur piste est annulé en 1912 et 1913 1285 . Quelques clubs universitaires tels que le Paris Université club se montrent assez actifs, mais le bilan global, comme celui de l’ensemble du sport estudiantin 1286 , est peu convaincant.

Faute de le considérer comme un enjeu potentiel, les patronages catholiques et les amicales laïques développent peu le cyclisme. Ici, l’Association Bourbaki de Pau l’ajoute à ses activités en 1912 1287 , là l’Association des instituteurs pour l’éducation et le patronage de la jeunesse organise une course annuelle à partir de 1900 entre les associations d’anciens élèves des écoles communales 1288 . La création à St-Amand-de-Boixe (Charente) du groupement cycliste Le Muguet pour “ contrebalancer l’effet néfaste d’une société de jeunesse catholique ” revêt un caractère exceptionnel 1289 .

La situation du cyclisme féminin est encore moins florissante. Aucune autre trace de société autonome que celle du Femina club cycliste de Bordeaux affilié à la Fédération cycliste du sud-ouest 1290 . Une telle adhésion serait inenvisageable à l’U.V.F. où la commission sportive rappelle aux vélodromes qu’elle ne saurait accepter les courses de dames 1291 et où le modèle de statuts qu’elle inclut dans son annuaire de 1914 n’admet les féminines qu’à titre de membres honoraires. Les véloce-clubs leur font cependant une plus large place qu’auparavant. D’après leurs textes fondateurs, 19% les accueillent au lieu de 10%. Les restrictions d’admission - présence ou accord du mari - se raréfient, mais les assemblées leur sont souvent interdites, les postes de dirigeants toujours. Elles demeurent, avec les mineurs, des sociétaires de second rang et leur effectif compte peu 1292 . Les 87 femmes, un quart du Véloce-club béarnais en 1914 1293 , ne sont pas le signe d’un afflux de cyclistes mais d’adeptes du tennis. La croissance de l’usage utilitaire du cycle se répercute encore moins dans les rangs des sociétaires féminines.

À l’heure du bilan, le constat apparaît en demi-teinte. L’affaiblissement du caractère de modernité que subit la bicyclette influe plus fortement que l’accroissement du parc vélocipédique sur le devenir de l’associationnisme cycliste. Sa progression déjà ralentie après l’euphorie de la période 1890-1895 s’essouffle au début du siècle et un bouleversement structurel le frappe. Les sociétés exclusivement cyclistes ne sont plus la règle, certaines s’ouvrant à diverses disciplines, d’autres étant supplantées par de simples sections de clubs multisports. Au temps du cyclisme triomphant succède l’ère d’un univers sportif partagé entre les sports athlétiques et les pratiques conscriptives.

En l’absence d’un nouvel élan, la répartition géographique d’ensemble est peu transformée : le déséquilibre au profit des villes et de la région parisienne perdure, des vides subsistent. Les quelques avancées - ponctuelles - concernent les plus petites localités des régions industrielles et des banlieues.

Elles reflètent un glissement social vers les couches modestes où l’usage sportif de la bicyclette conserve plus de prestige. L’arrivée en rangs plus serrés des ouvriers compense le désengagement d’une partie des classes moyennes et induit un double phénomène : d’une part, le centre de gravité social du cyclisme associatif se déplace d’un point situé entre les deux bourgeoisies moyenne et populaire à un autre localisé entre cette dernière et le prolétariat ; d’autre part, le cloisonnement socioprofessionnel entre sociétés se renforce, ce qui ne peut que compliquer la tâche des instances fédérales.

Notes
1230.

RUFFIER Dr : “ Cinquante ans de cyclisme… ”, art. cit., décembre 1936.

1231.

PÉRIER T. : Les premiers temps du cycle…, op. cit., p.163. Tous ceux de Lyon sont fermés en 1907.

1232.

Au moins neuf des vingt-huit membres fondateurs de l’Automobile-club dauphinois en décembre 1899 sont membres du Vélo-club grenoblois. Émile Duchemin devient ainsi vice-président du nouveau groupement. En 1906, il en est le vice-président honoraire et dirige en second l’Aéro-club des Alpes. Signe des temps, la notice qui accompagne sa demande de décoration et qui fait état de sa “ carrière ” associative élude sa période de dirigeant au sein du Vélo-club grenoblois. Arch. dép. Isère, 99M 4 et 28M 34.

1233.

Arch. dép. Alpes-Maritimes, 4M 312, Modifications des statuts, avril 1900.

1234.

Arch. dép. Dordogne, 4M 11.

1235.

GABORIAU P. : “ L’Auto et le Tour de France. Regard critique sur l’histoire du cyclisme et l’année 1903 ” in TERRET T. (sous la dir. de) : Histoire des sports…, op. cit., p. 42.

1236.

Arch. dép. Indre-et-Loire, 4M 280, Modifications des statuts, mars 1900.

1237.

Arch. dép. Indre-et-Loire, 4M 365.

1238.

Arch. dép. Indre-et-Loire, 4M 280, Déclaration, août 1901.

1239.

POYER A. : Les débuts du sport…, op. cit., p. 106.

1240.

DELAUNAY N. : Naissance et développement…, op. cit., p. 82.

1241.

WASER A.M. : “ La diffusion du tennis en France ” in TERRET T. (sous la dir. de) : Histoire des sports…, op. cit., pp. 101-133, p. 101.

1242.

Arch. mun. Brest, R liasse 14, Comptes rendus d’activités du Véloce-club brestois. Les recettes de la section s’élèvent à 2010F. en 1907, 2610F. en 1908 et 2210F. en 1909 pour des recettes totales du club de respectivement 16 900F., 21 100F. et 15 700F.

1243.

Bulletin officiel du Véloce-club béarnais, janvier 1908 et janvier 1914.

1244.

Le coût global : piste et chalet dépasse 24 000F.. Arch. mun. Pau, 1N 1/12, Lettre au maire, 9 mai 1903 et cf. Figures 17 et 18.

1245.

Bulletin officiel du Véloce-club béarnais, octobre 1906.

1246.

Bulletin municipal officiel de la ville de Pau, septembre 1912, Rapport du Véloce-club béarnais, cité dans DECAMPS D. : La vie sportive…, op. cit., p. 137.

1247.

BUCHARD G. : Le cinquantenaire…, op. cit., p. 75.

1248.

Ibid.

1249.

BUCHARD G. : Le cinquantenaire…, op. cit., p. 81.

1250.

Arch. dép. Eure, 4M 202, Rapport du commissaire de police, 26 février 1913.

1251.

16 marchands, 4 “ capacités ”, 1 rentier, 3 artisans et 10 employés dont 6 de commerce. Étoile sportive, janvier 1908-décembre 1910 et Annuaire général, administratif, agricole, commercial, industriel, historique et statistique du Mans et de la Sarthe, Le Mans, Guénet, 1909, pp. 671-769.

1252.

Cf. FROMONT Y. de : “ Un précurseur de la mécanique en Anjou : Maurice de Farcy ”, Académie d’Angers, 1962, tome VI.

1253.

Arch. dép. Eure, 4M 202, Rapport du commissaire de police, 26 février 1913.

1254.

Arch. mun. Rennes, R 103, Lettre au maire, 27 août 1904.

1255.

Ibid. La lettre se poursuit par une demande de subvention “ en faveur d’une société essentiellement morale puisqu’elle enlève les jeunes gens au cabaret et aux mille séductions qui attirent les jeunes ”.

1256.

Arch. dép. Marne, 87M 30, Lettre du préfet, 17 juin 1901.

1257.

Arch. mun. Saint-Étienne, 4R 20.

1258.

La colombophilie reste très prisée dans les Pays noirs du Pas-de-Calais. HUBSCHER R. : L’histoire en mouvements…, op. cit., pp. 90-91.

1259.

Cf. Annexe stat D 16 : Les cotisations des sociétaires (1868-1914) – Tableau.

1260.

La cotisation des membres honoraires passe de 6F. 60 entre 1900 et 1906 à 5F. 70 de 1907 à 1914.

1261.

6,5% des statuts les évoquent entre 1900 et 1906, 2% entre 1907 et 1914.

1262.

La Solidarité, société vélocipédique internationale ouvrière avec section à Belfort et à Valdoye, va au-delà des prescriptions classiques puisque ses statuts indiquent qu’ “ en cas de grève ou de lock-out, la cotisation sera suspendue ”. MARGRARON-VACELET : Le développement du sport dans la région de Belfort de 1870 à 1914, Service éducatif des Archives départementales du Territoire-de-Belfort, Belfort, 1979, p. 10.

1263.

DELÉTANG B. : “ Le mouvement sportif ouvrier. La République à l’épreuve du socialisme ”, in ARNAUD P. : Les athlètes de la République…, op. cit., pp. 341-357.

1264.

MARTINEAU J. : Véloce-club de Cholet…, op. cit., p. 12.

1265.

“ Chronique-Inauguration de la salle de gymnastique ”, La Revue de l’Anjou, 1912, pp. 421-423, cité dans BOUVET J. : “ Bessonneau in corpore sano ”, Annales de Bretagne et des Pays de l’ouest , 1996, n° 2, p.100.

1266.

Préfecture du Maine-et-Loire, statuts, décembre 1912. Le costume cycliste se compose de : un costume Norfolk avec culotte cycliste couleur marron, casquette cycliste même nuance, chandail et bas laine bleue, cravate forme régate bleu-marine et or, souliers cyclistes.

1267.

Arch. dép. Loiret, 67 475, Statuts, mai 1914.

1268.

Arch. dép. Puy-de-Dôme, M 2494.

1269.

L’entreprise met également à la disposition des ouvriers une installation hydrothérapique. Union vélocipédique de France, Revue mensuelle, septembre 1913.

1270.

En 1909, le Sporting-club de la coiffure organise un  championnat dans pas moins de neuf disciplines.

1271.

Cf. Annexe stat. C 10 : Les groupes cyclistes corporatifs de la région parisienne en 1913.

1272.

CALLÈDE J.P. : “ L’éducation physique de la jeunesse au tournant du siècle : modèles, effets de concurrence et diffusion sociogéographique ”, in ARNAUD P. et TERRET T. : Sport, éducation et art…, op. cit., pp.153-176, p.171.

1273.

Ont été repérés un Commercial cycle du VIème arrondissement, un Club athlétique de la Société Générale, le Club sportif de la coiffure, l’Union sportive de la bourse et de la banque, les Cheminots sportifs lyonnais et l’Horlogerie sportive formée en 1911 “ par le syndicat des horlogers-bijoutiers ” afin de créer “ des liens d’amitié et de solidarité entre eux, en participant à divers sports tels que boules, vélocipédie et excursions, tant utile à notre corporation sujette à une servitude constante et lassive (sic) ”. Arch. dép. Rhône, 4M 607, juillet 1911. Comme nous l’avons fait pour Paris à la période précédente (cf. supra), nous pouvons associer à cette liste le Cyclo-club des silencieux lyonnais (PÉRIER T. : Les premiers temps du cycle…, op. cit., annexe 41/2) et la section du Club sportif des sourds-muets (l’Auto, 21 janvier 1913).

1274.

La première manifestation sportive organisée par la banque est une course Paris-Pontoise et retour. Elle se déroule le 19 août 1894 et se conclut par une réception dans le château du président du conseil d’administration d’alors, M. Hély d’Oisel. Le Vélo, 15 août 1894.

1275.

Arch. dép. Rhône, 4M 605, Demande de prix adressée au préfet, 2 juin 1914.

1276.

Union vélocipédique de France, Revue mensuelle, septembre 1913.

1277.

Arch. dép. Rhône, 4M 605, Demande de prix adressée au préfet, 2 juin 1914.

1278.

LE ROY G. : Éducation physique…, op. cit., p. 354, cité dans ARNAUD P. : Les athlètes de la République…, op. cit., p. 280. Le premier chiffre fourni par G. Le Roy concerne 1908 et s’élève à 54 associations.

1279.

Le Nord sportif, 1er février 1902. Le journal ajoute : “ Il serait à souhaiter que ce soit un exemple pour toutes les garnisons qui manquent souvent de divertissements hygiéniques ”.

1280.

Union sportive du 134èmr régiment d’infanterie, Statuts, 26 novembre 1904, Arch. dép. Saône-et-Loire, br. 598. Les cotisations s’établissent selon le tableau suivant :

Prix par section.

Nbre de sections d’inscription1234 et plusOfficiers supérieurs5432,50Officiers subalternes432,502Adjudants2,5021,751,50Autres sous-officiers21,501,251Caporaux1,501,2510,80Soldats1,2510,800,70

1281.

La Vie sportive, 17 septembre 1911. Alors qu’il est devenu difficile d’obtenir de l’État des récompenses pour les courses cyclistes civiles, le Président de la République offre à cette occasion un vase de Sèvres et le ministre de la Marine une médaille d’argent.

1282.

La Vie sportive, 3 mars 1912.

1283.

Elles sont toutes parisiennes : Association athlétique Ste-Barbe, Association athlétique du lycée Louis le Grand, Association sportive de l’école J.B. Say, Association athlétique du lycée Jeanson de Sailly, Société des exercices physiques de Condorcet.

1284.

Deux se déroulent sur route et trois sur piste. L’Auto, 7 février 1907.

1285.

L’Auto, 20 et 24 août 1913.

1286.

LÉZIART Y. : Sport et dynamiques sociales, Joinville-le-Pont, Éditions Actio, p. 77.

1287.

HUBSCHER R. : L’histoire en mouvements…, op. cit., p. 116.

1288.

Arch. dép. Seine-et-Marne, 5T 11/1, Demande d’autorisation adressée au préfet, 26 août 1912.

1289.

Arch. dép. Charente, 4M 76, Lettre au préfet, mai 1909.

1290.

Arch. mun. Bordeaux, 1817R 8, Lettre au maire de Bordeaux, 25 avril 1912.

1291.

L’Auto, 17 octobre 1912.

1292.

Les effectifs des mineurs sont inférieurs à 20%, mais les chiffres ne concernent que vingt sociétés des années 1900 et 1901. Cf. Annexe stat. D 17 : Répartition par groupes d’âges des cyclistes associatifs (1869-1914) – Tableau.

1293.

Bulletin officiel du V éloce-club béarnais, janvier 1914.