2-3. Le soutien des instances officielles.

Au cours de l’année 1900, l’U.V.F. franchit une étape importante dans sa recherche de crédit auprès des autorités. Elle se révèle capable d’organiser à quelques semaines d’intervalle trois grands “ events ” : la semaine de courses de l’Exposition, les championnats du monde et le grand prix de Paris. Le comité directeur ne s’y trompe pas : bien sûr satisfait des 15 000 F. de bénéfices qui “ assurent sur des bases nouvelles et encore plus stables ” 1361 l’édifice uvéfiste, il se plaît surtout à souligner “ le prestige moral ” 1362 qui rejaillit sur la fédération, “ prestige moral ” qu’elle s’attache ensuite à faire prospérer.

Tout d’abord, au plan organisationnel, elle conserve la maîtrise du grand prix de Paris, épreuve phare du cyclisme sur piste par la qualité de ses plateaux et son caractère philanthropique 1363 et obtient en 1901 le soutien du gouvernement pour fonder le grand prix de la République qui, “ consécration officielle ” 1364 , est présidé par A. Millerand, ministre du commerce, lors de sa première édition.

Ensuite, elle affirme de plus en plus son statut d’instance dominante de l’activité vélocipédique. Unique membre français de l’U.C.I., depuis l’effacement de l’U.S.F.S.A. du champ cycliste, elle représente seule les intérêts hexagonaux au niveau international et organise périodiquement les championnats du monde. D’autre part, elle fait partie des membres fondateurs du Comité national des sports avec l’U.S.F.S.A. et les fédérations d’aviron, de boxe et d’escrime.

Ce syndicat des fédérations sportives de France, structure lâche qui “ ne comporte pas de présidence, pas de comité ” 1365 , est, dans la présentation qu’en fait P. Rousseau au congrès de l’U.V.F. de 1908 ‘“ une force nouvelle auprès des Pouvoirs publics et des Administrations, afin d’obtenir pour nos membres des avantages que jusqu’ici des fédérations isolées étaient impuissantes à obtenir ”’ 1366 . L’idée, déjà consignée dans le traité passé entre l’U.V.F. et l’U.S.F.S.A. en 1901, se réalise en 1908 à la suite du conflit qui a opposé les fédérations au Comité olympique français, celles-ci demandant à être reconnues directement par la British Olympic association, organisatrice des jeux de Londres, et non par le biais du C.O.F.. L’accord trouvé donne satisfaction aux fédérations 1367 jusqu’à ce que surgissent de nouvelles difficultés avant les jeux de Stockholm de 1912 et qu’un modus vivendi durable soit trouvé en 1913 1368 .

Non contente de s’appuyer sur l’éclat de manifestations prestigieuses, sur son aura internationale et sa qualité de membre du Comité national des sports, l’U.V.F. s’engage résolument dans une politique de développement de la vélocipédie militaire. Elle met progressivement en place un imposant triptyque d’épreuves pour la préparation des jeunes gens au service national.

Les brevets routiers en occupent le premier volet. À celui de 100 km. institué, à d’autres fins, en 1889, s’ajoutent en 1900 ceux de 50 km. - le petit brevet - et de 150 km. - le brevet routier - avec des délais de respectivement 3 et 10 heures 1369 . Rapidement la trilogie 50-100-150 constitue le fondement du calendrier uvéfiste. En 1908, grâce à l’investissement des personnels consulaire et sportif et des sociétés “ plus de 1000 épreuves ont été contrôlées ” 1370 .

Défini comme “ épreuve d’entraînement en terrains variés ” 1371 , le deuxième volet, le cross-country cyclo-pédestre, apparaît en 1902. En le créant, Daniel Gousseau s’inspire du rallye-paper auquel il retire l’aspect ludique des fausses pistes pour ne conserver que l’alternance entre les passages routiers et les secteurs à travers bois, prairies et labours, reproduction du service en campagne “ tel que les cyclistes ont à le pratiquer au régiment ” 1372 .

Des épreuves à connotation plus spécifiquement militaire - elles comprennent toutes au moins la pratique du tir - constituent le panneau central. Le brevet d’estafette cycliste (cyclisme sur route et en terrains variés, tir, topographie, lecture de carte, mécanique gymnastique) apparaît en 1905 ‘“ pour signaler les soldats doués d’une intelligence supérieure pour pouvoir sortir du rang et agir isolément ”’ ‘ 1373 ’ ‘.’ Celui de cycliste combattant, plus simple (cyclisme sur route et en terrains variés, tir), vise à repérer à partir de 1912 ‘“ les cyclistes capables de faire de bons soldats dans le rang ”’ ‘ 1374 ’ ‘.’ Enfin, en 1914, le brevet d’éclaireur conjugue agilité cycliste, tir et topographie. Par ailleurs, en plus de ses propres manifestations, l’U.V.F. soutient l’initiative de la firme de pneumatiques Wolber qui, de 1912 à 1914, met sur pied un grand concours militaire associant cyclisme et tir 1375 .

La conversion patriotique se manifeste nettement au travers de la revue 1376 ou lors des congrès. Pour la première fois, le rassemblement annuel de 1909 débute sur le thème de la vélocipédie militaire. Exemple repris la plupart des années suivantes. En 1913, Léon Breton fait même passer l’intérêt financier des adhésions nouvelles après des considérations d’ordre eugénique (“ amélioration de la race ”), hygiénique (“ soustraction des jeunes gens aux habitudes malsaines ”) et militaire ‘(“ préparation à la discipline du régiment ”’) avant de conclure : “ Notre mission est particulièrement belle et noble, puisqu’elle tend à garder à notre France sa vaillance, son énergie, son intégrité ” 1377 . L’U.V.F. se met ainsi au service de la Nation, de sa défense, voire de ses conquêtes et se conforme ainsi à l’attitude des ‘“ fédérations sportives bourgeoises [qui] acquiescent au renforcement de la puissance militaire française ”’ ‘ 1378 ’ ‘.’

La fièvre conscriptive qui s’empare du comité directeur - une commission de préparation militaire est instaurée en 1913 - est accueillie tièdement par la base. Que les sociétés organisent brevets routiers ou cross-country cyclo-pédestres n’est pas un indice très révélateur de leur engagement. Avec les premiers elles densifient leur calendrier et, avec les seconds, assurent à leurs coureurs un entraînement foncier hivernal. Par contre le désintérêt que manifestent la majorité des clubs pour l’instruction militaire est plus probant. À un questionnaire portant sur ce point et envoyé en 1909 à 600 clubs, l’U.V.F. ne reçoit que 81 réponses dont un tiers sont négatives. De même quand la fédération lance en 1912 une souscription “ pour la cinquième arme ”, c’est-à-dire destinée à l’achat ‘“ d’un ou plusieurs appareils d’aviation portant le nom d’U.V.F. ”’ 1379 , elle se heurte à l’indifférence générale que traduit bien M. Rolland, délégué de l’Étoile sportive de St-Maur, en regrettant, au congrès de 1913, ‘“ l’orientation trop favorable de la fédération à la vélocipédie militaire ”’ ‘ 1380 ’ ‘. ’

Les autorités sont pourtant sensibles aux efforts déployés par l’U.V.F. qui émarge au budget du ministère de l’Intérieur pour 500 F. en 1906, 1000 F. en 1907, 4000 F. en 1909 et 5500 F. en 1911. Le ministère de la Guerre, quant à lui, montre son intérêt par l’offre de récompenses lors des championnats de cross-country cyclo-pédestre ou l’envoi de délégués aux brevets plus spécifiquement militaires, qui associent l’U.V.F. à l’Union des sociétés de tir de France et à l’Union des sociétés de gymnastique de France. Rien d’étonnant donc à ce qu’en 1914 les 67 membres de son comité d’honneur soient presque tous députés et sénateurs et qu’à la suite des 37 membres d’honneur - maire de Paris, préfets, conseillers municipaux… - apparaisse un délégué technique du ministère de la Guerre. Pour autant, en 1912, lui est refusée la tant convoitée reconnaissance d’utilité publique 1381 .

L’U.V.F. peut se consoler de ce désagrément en constatant son effectif et son autorité interne renforcés, l’émiettement de la concurrence, ses appuis officiels ainsi que son emprise sur le secteur compétitif dont il est maintenant nécessaire de caractériser l’évolution en termes de calendrier - la piste garde-t-elle son primat ? - et de statut des compétiteurs afin de répondre à la question fondamentale : quel rôle conservent les véloce-clubs au sein de la sphère compétitive ?

Notes
1361.

Bulletin officiel de l’U.V.F., novembre 1900.

1362.

Ibid.

1363.

De sa création à 1911, le grand prix de Paris a dégagé 350 000F. de bénéfices au profit des pauvres de la ville de Paris. VIOLLETTE M. : Le cyclisme, op. cit., p. 125. La ville de Paris accorde à l’U.V.F. une subvention de 1500F.

1364.

Union vélocipédique de France, revue mensuelle, novembre 1901.

1365.

Union vélocipédique de France, revue mensuelle, novembre 1908.

1366.

Ibid.

1367.

Le C.O.F. désigne à la B.O.A. les fédérations habilitées à représenter la France, lesquelles “ par dérogation […] pourront adresser directement leurs engagements à la B.O.A. ”. L’Auto, 28 janvier 1908.

1368.

HUBSCHER R. : L’histoire en mouvements…, op. cit., p. 155.

1369.

En 1900, le délai du brevet de 100km. auparavant fixé à 6 heures est abaissé à 5 heures, celui du brevet de 50km. sera, lui, limité à 2 heures 30 à partir de 1901.

1370.

Union vélocipédique de France, revue mensuelle, novembre 1908.

1371.

Union vélocipédique de France, règlement des coures, 1913, p. 91.

1372.

Ibid., p. 95.

1373.

Union vélocipédique de France, revue mensuelle, novembre 1912.

1374.

Ibid.

1375.

Cf. Annexe doc. C 9 : Concours national de cyclisme militaire Wolber, 1912.

1376.

Le Bulletin de l’U.V.F. consacre un numéro spécial à un raid cycliste de 350 km. accompli par 132 hommes des cinq compagnies cyclistes de l’est pour se rendre à la revue du 14 juillet.

1377.

Union vélocipédique de France, revue mensuelle, novembre 1913.

1378.

LÉZIART Y. : Sport et dynamiques sociales, op. cit., p. 211.

1379.

Union vélocipédique de France, revue mensuelle, mai 1912. Ce faisant, l’U.V.F. n’innove pas. Le mouvement aurait été initié le 21 décembre 1911 par René Ransson, président de la Société aérienne de Picardie ( RANSSON R. : Livre d’or de la souscription des aéroplanes picards, Amiens, 1913) avant que L’Auto ne lance un appel national le 24 décembre 1911. Yvon Léziart signale enfin que d’autres fédérations sportives ouvrent également des souscriptions. LÉZIART Y. : Sport et dynamiques sociales, op. cit., p.212.

1380.

Union vélocipédique de France, revue mensuelle, novembre 1913. Certains clubs adhèrent cependant à l’ “ œuvre sportive militaire ”. Ainsi l’Union cycliste nancéienne organise en 1911, 1912 et 1913 “ de grands championnats militaires sur route, avec épreuve de tir ”. Arch. mun. Nancy, R 3 d1/6, Lettres au maire, 25 décembre 1912, 2 juin 1913.

1381.

Le conseil d’État motive son refus par le fait que la fédération accueille à la fois des sociétés et des membres individuels. Union vélocipédique, revue mensuelle, novembre 1912.