3-1-2 La stagnation de la piste.

Les épreuves sur vélodromes n’échappent pas aux codifications fédérales et ne sont pas l’apanage des véloce-clubs. Principalement dans les grandes villes, les directeurs d’enceintes privées les concurrencent toujours, même si, contre location, les associations peuvent y organiser des réunions 1385 .

Dans ce domaine de la piste, les sociétés souffrent par ailleurs d’un certain désintérêt du public qu’accentue l’apparition de nouveaux spectacles d’exercice physique. Concours athlétiques, matchs de sport collectifs, meetings aériens attirent des foules avides d’innovation. ‘“ Les sports en général se sont tellement multipliés qu’il en résulte une sérieuse concurrence […], le football et l’aviation sont des voisins plutôt absorbants ”’ ‘ 1386 ’ se plaint le vice-président du Véloce-club béarnais. En comparaison, les courses de bicyclettes déjà “ de moins en moins importantes ” à Grenoble en 1901 1387 , seraient “ devenues surannées ” à Versailles en 1905 1388 et “ tout à fait passées de mode ” à Fougères en 1912 1389 .

En conséquence, certaines réunions périclitent ou doivent se renouveler. Le département de la Mayenne qui comptait à la fin des années 1890 six sociétés organisatrices de journées vélocipédiques marquantes 1390 , n’en conservent plus que deux avant 1914 : l’Union vélocipédique lavalloise et le Véloce-club mayennais. Encore cette dernière, pour réactiver l’intérêt populaire doit-elle proposer entre les épreuves cyclistes des intermèdes puisés aux sources des jeux traditionnels - courses de coltineurs et de petits cochons 1391 - et des attractions de cirque - la piste mortelle 1392 . Dans le département voisin du Maine-et-Loire, où l’hippisme est en grande faveur, le Vélo-sport de Beaupréau propose ‘de “ grandes courses vélocipédiques internationales […] augmentées de courses de chevaux ”’ ‘ 1393 ’ ‘.’ Ailleurs en France, des courses de cerceaux ou de lenteur 1394 , maintenant désignées sous l’appellation de “ sports gais ” retrouvent leur place dans les programmes.

D’autres sociétés espacent leurs organisations. Ce qui décide la municipalité de St-Claude à démolir en 1910 le virage en bois qu’elle avait installé douze ans auparavant, promenade du Truchet, pour les concours donnés par le Cyclophile san-claudien 1395 . Cas particulier assurément mais symptomatique du désengagement des édiles locaux. En dehors des pistes de Vincennes à Paris et de la Tête d’Or à Lyon 1396 , aucun autre vélodrome municipal ne voit le jour 1397 . De plus, des 900 F. alloués en 1895 aux sociétés vélocipédiques de la localité, la Pédale castraise, après force demandes, n’obtient que 300 F. du conseil municipal en 1908 1398 . À Nancy, les associations cyclistes reçoivent seulement 3 % des subventions accordées aux sociétés sportives en 1913 1399 . Au Havre, elles en sont totalement exclues 1400 . Un double mouvement se dessine clairement : d’une part les assemblées municipales privilégient les œuvres de bienfaisance, d’autre part elles instituent des procédures de contrôle des associations aidées 1401 . Les sempiternels arguments avancés par les véloce-clubs ne s’appuyant plus sur un calendrier festif d’envergure ont alors moins de prise sur les responsables locaux qui parfois subventionnent les vélodromes privés 1402 .

Figure 21. : La foule au vélodrome montluçonnais.

In Arch. mun. Montluçon, fonds iconographique.

Figure 22. : Le vélodrome fléchois (Sarthe).

In POYER A. : Les débuts du sport…, op. cit., p. 92.

Toutefois, ne noircissons pas le tableau à l’excès. Des sociétés, assises sur une tradition bien établie, continuent à donner des réunions ambitieuses avec un soutien municipal, sans autre modification notable aux programmes que l’introduction de courses à l’américaine et surtout d’épreuves pour motocyclettes 1403 , d’ailleurs elles aussi placées sous la coupe de l’U.V.F.. Tel est le cas du Véloce-club d’Angers- ses courses attirent encore en 1912 “ une fourmilière humaine ” 1404 - ou des clubs de Brest, Pau, Cholet, Bayonne, Reims, Laval, Wassy, Montluçon (cf. figure 21)…

N’oublions pas non plus que la construction de vélodromes associatifs, certes ralentie, se poursuit. Les Véloce-clubs chalonnais 1405 et albigeois 1406 , l’Union vélocipédique fléchoise 1407 (cf. figure 22) inaugurent les leurs en 1904. Celui de Beaupréau fonctionne à partir de 1905 1408 , l’Union cycliste arvernoise (Clermont-Ferrand) ouvre le sien en 1907 après “ le succès de dix années de courses ” 1409 , le Moto-vélo Doutre angevin se dote d’une piste démontable en 1910 1410 , au Mans, l’Union sportive améliore peu à peu sa piste 1411 , le Véloce-club de Rouen prend la direction du vélodrome de la ville en 1908 1412 . En fait, si au total les grandes réunions conditionnent moins la vie des clubs qu’au temps de l’âge d’or, une partie du mouvement de retrait est contrebalancée par des émergences. Des glissements géographiques se produisent. Quand des régions se ferment au spectacle du vélodrome, d’autres s’y ouvrent.

Les épreuves sur route en revanche ne connaissent pas ces fluctuations.

Notes
1385.

Le propriétaire du vélodrome de Sembel à Agen se réserve l’organisation de quatre réunions auxquelles s’ajoutent celles du Comité sportif du Lot-et-Garonne. Le Sporting-union agenais doit ensuite placer les siennes et verser à M. de Ballade 10 % des bénéfices. Registre des délibérations du Sporting-club agenais, 8 avril 1908.

1386.

Bulletin officiel du Véloce-club béarnais, février 1910.

1387.

Arch. mun. Grenoble, 3R 29 d.4, Rapport du chef de la voirie de Grenoble.

1388.

Arch. mun. Versailles, R 3 2041, Lettres de personnalités cyclistes (dirigeants de clubs, consuls de l’U.V.F., fabricants de cycles) au maire de Versailles pour que soient maintenues des courses cyclistes dans le programme des fêtes traditionnellement organisées fin juin, 13 juin 1913.

1389.

Le Petit fougerais, 18 octobre 1912. Le rédacteur de l’article envisage de ce fait la suppression de la piste du vélodrome de la ville “ car elle ne répond plus à rien ”.

1390.

Ce sont, hormis l’Union vélocipédique lavalloise et le Véloce-club mayennais, la Société vélocipédique craonnaise, l’Union vélocipédique ernacéenne, le Véloce-club goronnais et le Véloce-club évronnais.

1391.

Le courrier de la Mayenne, 5 juillet 1912. Le championnat des coltineurs consiste à parcourir à pied 1 km. en portant un sac de 100 kg. Organisé depuis trois ans par le V.C.M., il devient en 1912 championnat de l’ouest et est ouvert à neuf départements.

1392.

L’Écho de la Mayenne, 3 juillet 1913. “ Dans une piste avec un angle de 80 % d’inclinaison, Mlle Suzanne Goupil exécutera la piste mortelle à bicyclette ”.

1393.

Sur 670F. de prix, 300F. reviennent aux trois courses de chevaux. Cf. Annexe doc. C 10 : Programme des courses de Beaupréau, 22 juillet 1906.

1394.

C’est le cas pour les courses que donne le Vélo-club d’Annecy le 14 juillet 1907. Arch. dép. Haute-Savoie, 66J 16. Le club haut-savoyard ne semble pas avoir organisé de courses depuis 1898.

1395.

Arch. mun. St-Claude, 1I 13, Séance du Cyclophile san-claudien du 1er juin 1910.

1396.

Le vélodrome lyonnais est réaménagé par la municipalité en 1910-1911. Arch. mun. Lyon, 485WP 8 et PÉRIER T. : Les premiers temps…, op. cit., pp. 183-184.

1397.

À Troyes, la municipalité repousse l’offre de vente des propriétaires du vélodrome (Arch. mun. Troyes, M 1396, Lettre du 29 janvier 1906) et à Chartres, alors qu’un projet primitif de construction d’un stade en partie municipal incluait une piste vélocipédique, celle-ci n’est finalement pas réalisée. Arch. mun. Chartres, Ma 539. Au Mans, toutefois, la municipalité fait construire deux virages en bois, d’ailleurs ensuite peu utilisés. POYER A. : “ Le sport vélocipédique à la conquête de l’espace sarthois… ”, art. cit., p. 197.

1398.

Arch. mun. Castres, 3R 1, Lettre au maire, 2 décembre 1907.

1399.

Les 16 950 F. attribués se répartissent entre :

-20 sociétés de tir et de gymnastique : 13 800F.,

-1 organisateur privé (Est républicain) : 1100F.,

-1 société nautique : 600F.,

-5 sociétés cyclistes : 550F,

-1 société hippique : 500F.,

-2 sociétés colombophiles : 200F.

-1 société de pêcheurs à la ligne : 200F. Arch. mun. Nancy, R 3 a1/6.

1400.

Sur les 12 350F. prévus au budget, reçoivent :

-les sociétés littéraires, scientifiques et d’enseignement : 1900F.,

-les sociétés musicales : 2800F.,

-les sociétés nautiques et de natation : 1150F.,

-les sociétés colombophiles : 150F.,

-les sociétés de tir : 3950F.,

-les sociétés de gymnastique : 2400F. Arch. mun. Le Havre, FC L 1/50-1.

1401.

Le conseil municipal de Besançon décide qu’à partir de 1910, les sociétés devront remplir une feuille préétablie indiquant la situation de la caisse, les dépenses, les ressources, l’effectif, les manifestations données gratuitement, les concours auxquels elles prennent part. Arch. mun. Besançon, R 3 12, Délibération du conseil municipal, 28 avril 1909. À Voiron, les édiles attendent que les nouvelles associations aient fait leurs preuves avant de les aider financièrement. Arch. mun. Voiron, 3R 2, Rapport relatif aux subventions, 1909. Les 600F. attribués en 1907 aux sociétés sportives montpelliéraines sont répartis entre “ celles qui ont répondu à un avis paru dans les journaux indiquant qu’elles devaient joindre à la demande, l’état nominatif des sociétaires et un rapport sur les travaux pendant l’année 1906 ”. Arch. mun. Montpellier, 3R 1, Délibération du conseil municipal, 29 mars 1907.

1402.

Le directeur du vélodrome de Tours obtient une allocation qui se monte à 200 F. en 1914 pour faire courir le grand prix du conseil municipal et signale dans une lettre de 1908 que “ de nombreuses villes encouragent

1403.

le sport cycliste en versant à leur vélodrome des prix importants variant de 500 à 1000F. ”. Arch. mun. Tours, 1I.

Le piment de la vitesse est mis en avant quand elles sont annoncées : “ Il sera effrayant de voir ces petits engins aborder les virages à 60 kilomètres à l’heure ”. Le Journal de Cholet, 21 mai 1905.

1404.

Le Petit courrier, 17 mai 1912.

1405.

Auto-revue de l’est, 20 février 1904.

1406.

Arch. dép. Tarn, 4M 7/13.

1407.

WEECXSTEEN P. : “ La légende des sigles et des cycles ”, Les Cahiers fléchois, pp. 118-129, retrace la création et la courte, mais riche, vie (1904-1910) de la piste fléchoise.

1408.

Le Journal de Cholet, 23 juillet 1905.

1409.

L’Auvergne sportive, 24 mai 1907.

1410.

Arch. mun. Angers, 1I 746.

1411.

POYER A. : “ Le sport vélocipédique à la conquête de l’espace sarthois… ”, art. cit., p. 197.

1412.

Almanach de Rouen, 1909.