1.7 Conclusion

La définition contrefactuelle de la causation (i.e., B ne se serait pas produit si A ne s’était pas produit) rend compte de la notion de la nécessité d’une cause. Mais d’autres notions telles que la suffisance d’une cause, ou la nécessité et suffisance d’une cause semblent être mieux à même de rendre compte de la causation en tant que tout. Bien que la distinction philosophique entre nécessité et suffisance nous renvoie notamment à Mill (1843) et d’autres avant lui, les implications de ces critères de causation (causalité) n’ont été étudiées que depuis 1961 avec Good (1961, 1993) et sa théorie des probabilités conditionnelles, puis ensuite avec Mackie (1980) et les implications logiques du raisonnement à travers ces deux critères. La compréhension de texte est une activité ‘naturelle’ chez les adultes. Il semble donc intéressant d’appliquer ces notions de nécessité et de suffisance à la détection, intégration et représentation d’informations textuelles par les lecteurs. En effet, ces critères peuvent n’être que purement philosophiques et non utilisés par les individus. Notre but est donc d’appréhender l’activité de lecture sous un angle causal probabiliste, afin de mettre en évidence des degrés de connexion causale entre événements d’un récit, dans des circonstances fournies par le terrain causal évoqué par la situation narrative.

Selon la perspective cognitiviste, un texte est une convergence d’idées établies en séquences. Il introduit des événements et des concepts et peut aussi développer un ou plusieurs de ces concepts. Il peut aussi déplacer l’attention du lecteur vers un autre concept, et aussi retourner vers un concept antérieur. Le lecteur performant suit le flux des idées présentées par le texte et construit une structure mentale de ces idées sans beaucoup d’efforts et ce grâce à son raisonnement causal. Il sélectionne les idées du texte et les transfère dans son esprit. C’est une théorie de la lecture et de son processus de traitement partagée par les plus grands théoriciens de la lecture (Gernsbacher, 1990; Just & Carpenter, 1987; Kintsch, 1988; van den Broek, 1988, 1990). Les psychologues cognitivistes cherchent à comprendre la nature du texte, i.e., les processus cognitifs impliqués dans la compréhension et dans la formation de représentations mentales du texte. Ces processus dépendent essentiellement du raisonnement causal du lecteur ainsi que de la présentation de textes structurés.

Dans les chapitres qui vont suivre, nous allons nous focaliser sur les représentations mentales que les lecteurs se construisent lors de la lecture de textes narratifs. En effet, la structure de textes narratifs peut facilement être décrite et étudiée en termes de représentation et de structure causale. Ainsi, le raisonnement causal du lecteur et la détection des forces de connexions pourront plus aisément être mis en évidence.

Les représentations cognitivistes qui proviennent de l’étude des processus de compréhension par les chercheurs sont appréhendés de manière causale. En effet, une expérience est en quelque sorte une mise en relation de circonstances (agrégat de causes) qui permettent à un effet d’émerger. Nous proposons d’étudier les théories causales de la représentation de textes à travers les critères philosophiques de nécessité et de suffisance. En effet, nous envisageons la compréhension de textes comme une activité de raisonnement qui consiste à représenter les circonstances du texte, i.e., le thème du texte, et à l’intérieur de ces circonstances représentées sous forme de réseau, des connexions majeures doivent ressortir selon leur force de connexion. Nous tenterons donc dans les chapitres qui vont suivre de déterminer la part d’influence de la nécessité et de la suffisance, ainsi que celle des propriétés des réseaux causaux (connexions) sur la compréhension. Pour cela nous utiliserons des tâches permettent d’évaluer la représentation une fois construite (off-line) ainsi que d’autres qui permettent d’étudier la représentation en cours de construction (on-line).