2.1.4 Limites de la notion de mémoire de travail et émergence de la notion de mémoire de travail à long terme

Afin de réaliser des tâches cognitives complexes, les individus doivent maintenir un accès à un large ensemble d’informations. Par exemple, une personne qui lit une phrase d’un texte, doit avoir accès aux acteurs et aux objets mentionnés antérieurement pour produire des inférences si ces acteurs et objets ne sont plus mentionnés que par des pronoms (anaphores). L’individu a également besoin de l’information contextuelle afin d’intégrer de façon cohérente au texte lu antérieurement, l’information présentée dans la phrase lue. La question est donc de savoir comment la mémoire de travail basée sur un stockage temporaire de l’information, peut rendre compte du fait que des habiletés peuvent être interrompues et reprises ultérieurement sans effet majeur sur la performance.

Kintsch et Ericsson (1995) postulent que la théorie de la mémoire de travail doit inclure un autre mécanisme basé sur l’utilisation habile du stockage en mémoire à long terme, c’est ce qu’ils appellent la mémoire de travail à long terme (MdT-LT), en plus du stockage temporaire de l’information qu’ils nomment la mémoire de travail à court terme. (MdT-CT). L’information en MdT-LT est stockée de façon stable, mais l’accès fiable à cette information ne peut temporairement se maintenir que grâce à des indices de recouvrement de la MdT-CT. En effet, il a souvent été affirmé que la mémoire des lecteurs a une capacité limitée. Néanmoins, des recherches sur la MdT ont montré qu’il y a souvent une différence entre le stockage et le traitement en MdT. En effet, les lecteurs s’engagent dans des traitements linguistiques considérables pendant la lecture, d’autant plus que les différences individuelles peuvent conduire à une classification de ce que l’on nomme les bons et les mauvais lecteurs. Daneman et Carpenter (1983) ont montré que des lecteurs ayant un empan de lecture plus grand pouvaient se rappeler des référents qui étaient apparus très tôt dans le texte. Par conséquent, il est plus facile pour des lecteurs ayant un grand empan de lecture d’intégrer les phrases adjacentes d’un texte.

Bien que la mémoire de travail permette le maintien de très peu de propositions en mémoire, les lecteurs ont un accès relativement facile aux énoncés antérieurs du texte lu. Si les lecteurs sont interrompus dans leur lecture, ils vont automatiquement retenir des indices qui leur permettront de reprendre la lecture en réactivant rapidement les propositions principales. D’après Ericsson et Kintsch (1995) l’information est maintenue en mémoire à long terme de travail. Ainsi, les traces en MdT-LT sont maintenues plus longtemps que les traces en MdT-CT, grâce à des indices de recouvrement. Ce processus est dérivé du raisonnement d’experts, mais peut être aisément appliqué à la compréhension de textes narratifs simples, puisque la lecture est un domaine dans lequel nous sommes tous experts. De plus, les textes narratifs ne font pas intervenir de connaissances particulières sur un domaine.