2.2.3 Les réseaux causaux

2.2.3.1 Théorie du réseau causal

Cette théorie fournit un ensemble de critères formels pour l'identification des relations causales dans un texte et pour l'assemblage des événements et leurs interrelations dans une représentation du texte en réseau. Le réseau qui résulte de cette théorie englobe la structure complexe du texte. Trabasso et van den Broek (1985) émettent l’hypothèse selon laquelle, lors de la lecture des premières phrases d’un récit, un individu construit un monde possible à partir des caractéristiques du héros, du lieu, de l’époque, etc., éléments qui sont organisés par la catégorie narrative "exposition". Ce monde possible établit les circonstances à partir desquelles seront interprétés les événements subséquents. Le monde possible va se modifier au fur et à mesure que des changements causaux apparaîtront. Pour établir le terrain causal et isoler la cause et l’effet (Mackie, 1980), le lecteur utilise ses théories naïves sur la causalité dans le monde et le schéma abstrait de causalité. Si celles-ci viennent à lui manquer, il utilise alors la contiguïté des événements dans le temps et dans l’espace comme base d'établissement d’une relation de causalité. La représentation mémorielle qui en résulte est organisée en un réseau : les représentations d’événements forment les noeuds et les relations causales les arcs. Les auteurs choisissent une représentation en réseau plutôt qu’un ordre linéaire, car "les causes sont souvent des disjonctions de conjonctions de conditions suffisantes plutôt que de simples causes" (Trabasso & al. 1984, p 84). Une chaîne causale traverse le réseau, reliant les événements importants du récit, i.e., similaire aux études de Black et Bower (1980), les événements faisant partie du chemin critique qui fournit la transition de l’état initial à l’état final. Cette chaîne commence par les propositions de l’introduction qui établissent les circonstances à partir desquelles seront interprétés les événements subséquents. Elle finit par les conséquences qui impliquent la satisfaction du but superordonné, lequel est généralement inféré durant le traitement du récit. Ces inférences sont rendues possibles par des connaissances qui sont les théories naïves de la causalité psychologique. Les auteurs font une hypothèse mémorielle identique à celle de Black et Bower (1980). Les événements du réseau causal qui sont dans la chaîne causale seront mieux rappelés que ceux qui sont dans les bras-morts. Ils en ajoutent une autre : la probabilité de rappel d’un événement sera fonction du nombre de relations causales que cet événement entretient avec d’autres événements.

C’est ce que confirment les résultats obtenus par Trabasso et al. (1984). Estimant la cohérence du récit par la proportion d’événements qui appartiennent à la chaîne causale, Trabasso et al. (1984) analysent 4 récits utilisés par Stein et Glenn (1979) et montrent que la proportion d’événements rappelés par les sujets de Stein et Glenn est une fonction linéaire de la cohérence des récits. En outre, le taux de rappel immédiat des événements de la chaîne causale est double du taux de rappel des événements qui appartiennent à des bras-morts, 80% contre 40%. Après un délai d’une semaine, le taux de rappel des événements de la chaîne causale ne diminue pas, alors que celui des événements des bras-morts décroît de plus de 10%. En outre, le taux de rappel des événements des récits est corrélé significativement avec le nombre de relations causales entretenues par ces événements. Kekenbosch (1989) reprend le modèle de Trabasso et van den Broek et tente de dissocier les effets des deux facteurs supposés intervenir dans la mémorisation : l’appartenance à la chaîne causale, et le nombre de relations qu’un énoncé entretient avec d’autres énoncés du texte. Dans une épreuve de rappel et de résumé d’un récit sur une énigme policière, elle obtient des résultats qui montrent que, pour les événements appartenant à la chaîne causale, les probabilités de rappel et de présence dans le résumé sont fonction du nombre de relations qu’entretient cet énoncé avec les autres. Pour les événements qui n’appartiennent pas à la chaîne causale, le facteur nombre de relations exerce un effet significatif sur le rappel mais non sur le résumé.

L'observation que les énoncés peuvent avoir de multiples causes et/ou conséquences a donc permis le développement de modèles en réseau de la structure causale d'un texte narratif. Selon ces modèles en réseau, les événements d'un récit sont fréquemment le résultat d'une combinaison d'antécédents causaux plus que d'une seule cause. D'autre part, les événements ont souvent des conséquences multiples. Ceci provient du fait que la structure causale d'un texte ressemble à un réseau plutôt qu'à une chaîne causale (Trabasso et van den Broek, 1985)

Issu de ce cadre théorique, nous avons mené une première expérience afin de mettre en évidence une représentation mentale de texte narratifs sous forme de réseau dans laquelle des connexions directes seraient possibles vers une seule unité de texte même si ces éléments sont éloignés dans la structure de surface du texte. Ainsi le lecteur représenterait les événements causaux ainsi que le décours temporel du texte, mais sans influence majeure du décours temporel de présentation des événements. En effet, lorsque des connexions ne sont pas nécessaires à la compréhension, surtout dans le cas de récits simples, le lecteur peut se contenter de représenter les événements sous forme de chaîne en incluant uniquement des connexions directes vers le but, sans tenir compte de la structure causale des récits. D’autant plus que la charge en mémoire de travail n’est pas très importante, puisqu’il n’a pas à intégrer d’informations spécifiques nouvelles.