2.3.2.5 Résultats.

Une analyse de variance (ANOVA) a été réalisée sur les temps de lecture en prenant le facteur Groupe de lecture en tant que variable inter-sujet (G1 = Versions Longues des récits 1, 2, 3, 4, 5, 6 et Versions Courtes des récits 7, 8, 9, 10, 11, 12; G2 = Versions Courtes des récits 1, 2, 3, 4, 5, 6 et Versions Longues des récits 7, 8, 9, 10, 11, 12), et le facteur version était une variable intra-sujets (VL = Version Longue et VC = Version Courte). Nous n’attendions aucun effet des facteurs Groupe et Version sur les temps de lecture puisque nos récits devraient être homogènes.

Les résultats ont confirmé nos attentes pour le facteur Groupe, F(1,20) = 0.85, ns, ainsi que pour le facteur Version, F(1,20) = 0.28, ns. L’interaction Groupe * Version n’a pas atteint le seuil de significativité (F(1,20) = 0.82, ns). Ainsi, cette absence de différence entre les temps de lecture des récits en fonction des différentes versions (M = 4842 ms pour les versions longues et M = 4899 ms pour les versions courtes) confirme l’homogénéité des récits.

Une seconde analyse de variance (ANOVA) a été réalisée sur les temps de réaction aux cibles vraies, avec le facteur Groupe de lecture comme variable inter-sujets et les facteurs Amorce (A1 = Générale, A2 = Action, A3 = But), Cible (C1 = adjacente, C2 = non-adjacente), et Bloc (B1= 48 couples amorce-cible présentés aléatoirement, B2 = 48 couples amorce-cible présentés aléatoirement) en tant que variables intra-sujet.

Nos principaux résultats ont montré un effet principal du facteur Amorce F(2,40) = 30.05, p<.001. Les temps de réaction aux cibles précédées d’amorces générales (M = 5170 ms.) sont significativement plus longs (F(1,40) = 59. 96, p<.01) que ceux des cibles précédées par des amorces reliées (M = 3748 ms. pour les amorces action M = 3823 ms. pour les amorces but), ces dernières ne présentant aucune différence significative. Notre première hypothèse est donc validée. Ces résultats indiquent que les relations causales sont encodées dans la représentation mentale des récits par le lecteur.

Nos résultats ont également mis en évidence un effet principal de la variable Cible F(1,20) = 11.63, p<.01. En effet, les temps de réaction aux cibles adjacentes (M = 4001 ms) sont plus rapides que ceux pour des cibles non-adjacentes (m = 4493 ms). Ainsi les relations entre les amorces et les cibles non-adjacentes semblent être moins directes que celles entre les amorces et les cibles adjacentes. Cet effet peut être dû aux médiations dans la chaîne linéaire causale pour des paires non-adjacentes. Les résultats ont également mis en évidence un effet significatif de l’interaction Amorce * Cible F(2,40) = 4.75, p<.02. Comme le montre la Figure 1, la différence de temps de réaction entre les cibles adjacentes et non-adjacentes est plus importante pour les amorces action (d = 1171 ms) que pour les deux autres types d’amorces (d = 248 ms. et d = 56 ms. pour les amorces générale et but, respectivement).

Figure 1 : Temps de réaction moyens (en ms.) pour les cibles adjacentes et non-adjacentes en fonction des trois types d’amorces. [Légende: Adj. = cible adjacente; Non-Adj. = cible non-adjacente.]

Cette interaction présente une différence significative dans les temps de réaction à des cibles adjacentes et non-adjacentes, pour les amorces action versus but F (1,40) = 8.32, p < .01.

Nos résultats sur les paires reliées (action et but) couplés aux cibles adjacentes et non-adjacentes indiquent que les énoncés but amorcent de la même manière les cibles adjacentes et non-adjacentes. Cet effet d’amorçage a été prédit par les modèles en réseau causal qui postulent que des connexions causales directes dans la représentation mentale sont possibles entre deux unités même si elles sont distantes dans la structure de surface du récit (hypothèse 2). Les énoncés action amorcent des cibles adjacentes et non-adjacentes, mais les temps de réaction à des cibles adjacentes sont plus rapides (plus courts) que ceux pour des cibles non-adjacentes. Une interprétation possible serait qu’il n’existe pas de lien direct entre les énoncés action et les cibles non-adjacentes, ainsi la différence de temps de réaction pour des cibles adjacentes et des cibles non-adjacentes peu être due à l’exploration de médiations (transitions) dans la chaîne causale par le sujet. Le temps requis pour reconnaître un événement est ainsi une fonction de sa distance avec l’amorce. Ces résultats ont aussi montré une différence dans les temps de réaction aux cibles adjacentes pour des amorces action et but. Comme nous l’avions supposé (hypothèse 3), les temps de réaction à des cibles adjacentes appariées à des amorces action (M = 3163,45 ms.) sont plus courts que ceux des cibles adjacentes appariées à des amorces but (M = 3795,33 ms.) (ces valeurs sont des temps de réaction aux mêmes cibles qui peuvent suivre une action ou un but). Cet effet peut être dû à l’activation pendant la présentation de l’amorce, de toutes les informations reliées au but. Ainsi, afin de reconnaître un énoncé cible, les sujets doivent désactiver l’information inappropriée. Les amorces but ont de nombreuses connexions avec les événements du récit, les amorces action quant à elles n’en possèdent qu’une, leur conséquence (qui correspond aux cibles adjacentes).

La même analyse de variance que celle effectuée sur les temps de réaction aux cibles a été réalisée sur les pourcentages de réponses erronées aux cibles vraies. Nous avions donc le facteur Groupe de lecture comme variable inter-sujets et les facteurs Amorce (A1 = Générale, A2 = Action, A3 = But), Cible (C1 = adjacente, C2 = non-adjacente), et Bloc (B1= 48 couples amorce-cible présentés aléatoirement, B2 = 48 couples amorce-cible présentés aléatoirement) en tant que variables intra-sujet.

Les résultats obtenus ont mis en évidence un effet de la variable Distance F(20,1)=21,284, p= .0002. L’interaction Distance * Amorce est aussi significative F(40,2)=4,589, p = .0161. Comme nous l’avions supposé, le pourcentage d’erreurs de reconnaissance des cibles non-adjacentes (33,7%) est plus important que celui des cibles adjacentes (19,9%). Les relations non-adjacentes tendent à perdre de leur force de connexion ce qui conduit à un pourcentage d’erreurs plus important. En effet, nous pouvons supposer que le critère d’opérativité d’une cause lorsque sa conséquence apparaît, n’est pas aussi bien satisfait en distance non-adjacente qu’en distance adjacente. Mais ces résultats ne prennent pas en compte l’influence des différents types d’amorces sur la reconnaissance des cibles. En effet, les cibles non-adjacentes ne sont pas directement connectées aux amorces action, par conséquent le pourcentage d’erreurs pour ce type d’amorçage devrait être plus important. L’interaction Distance * Amorce (voir Figure 2) montre que les pourcentages d’erreurs pour des cibles non-adjacentes appariées à des amorces générale, action et but sont plus importants que ceux des cibles adjacentes.

Figure 2 : Pourcentages d’erreurs de reconnaissance des cibles adjacentes et non-adjacentes en fonction des trois différents types d’amorces. [Légende: Adj. = cible adjacente; Non-Adj. = cible non-adjacente.]

De plus, comme nous l’avions supposé, la différence de taux d’erreurs entre des cibles adjacentes et non-adjacentes est plus importante avec les amorces action qu’avec les amorces but et générales. Le pourcentage d’erreurs le plus important a été obtenu pour des cibles non-adjacentes appariées à des amorces action (hypothèse 4). Ceci est dû au fait qu’il n’y a pas de connexion directe entre les amorces action et les cibles non-adjacentes. La différence obtenue entre des cibles adjacentes et non-adjacentes appariées à des amorces générales est plus faible que celle obtenue pour les deux autres types d’amorces reliées (action et but) (hypothèse 5). Ceci peut s’expliquer par le fait que les cibles adjacentes ne sont pas vraiment adjacentes lorsqu’elles sont appariées à des amorces générales. Alors qu’elles le sont vraiment lorsqu’elles sont appariées à des amorces reliées.

Les temps de réaction aux cibles adjacentes et non-adjacentes appariées à des amorces but étaient similaires. Le pourcentage d’erreurs pour les deux types de cibles montre une différence. Nous pouvons supposer que même s’ils sont directement connectés dans la représentation cognitive sous forme de réseau (voir les temps de réaction qui n’ont montré aucune différence entre un amorçage adjacent et un amorçage non-adjacent pour des amorces but et action), la structure de surface du texte influence l’exactitude de la reconnaissance des cibles non-adjacentes. Ceci peut être dû à la perte de force de connexion des cibles non-adjacentes, puisque le critère d’opérativité ne peut pas être autant satisfait que dans la distance adjacente.

Globalement, les résultats sur les pourcentages d’erreurs nous ont permis de mettre en évidence le même pattern de représentation que les temps de réaction. Plus une relation est forte, plus le nombre d’erreurs sera faible. De plus, les résultats ont montré que les situations (amorces générales) sont connectées à tous les événements d’un récit, puisqu’elles fournissent les circonstances du déroulement du texte, et permettent la production d’événements. La différence que nous avons obtenue entre les amorces but appariées à des cibles adjacentes et appariées à des cibles non-adjacentes, a mis en évidence que la reconnaissance d’un événement (pourcentage d’erreurs) est influencée par la structure de surface du texte, mais que l’accès à cette information ne l’est pas (temps de réaction). Le jugement semble être conscient mais influencé par la structure de surface du texte, alors que l’accès à l’information dans la représentation mentale en réseau semble être automatique. De plus, si l’on prend en compte les erreurs de reconnaissance pour des cibles adjacentes appariées à des amorces action et but, nous trouvons la même différence que celle obtenue sur les temps de réaction. A savoir moins d’erreurs avec des amorces action qu’avec des amorces but. Les amorces action appariées à ces cibles adjacentes peuvent être des relations de causalité physique, et par conséquent la relation est plus forte que pour les amorces but appariées aux cibles adjacentes, qui elles des relations de motivation.