2.3.3 Discussion

Nos résultats ont dans un premier temps confirmé le fait que le traitement d’un événement d’un récit facilite la reconnaissance des événements qui lui sont reliés causalement. Les relations causales sont alors intégrées dans la représentation mentale que le lecteur se construit. Ceci a été non seulement mis en évidence pour des événements reliés proches dans la structure de surface du texte mais aussi pour des événements reliés causalement et distants dans la structure de surface du texte. Dans un second temps, nous avons pu mettre en évidence l’existence d’une représentation mentale sous forme de réseau pour des récits narratifs. L’effet principal du facteur Amorce (générales versus reliées) nous conduit à supposer que les amorces reliées facilitent le recouvrement des informations en mémoire. Les temps de réaction sont plus courts pour des cibles appariées à des amorces reliées parce la relation entre les amorces et les cibles est causalement plus forte. L’interaction significative Amorce * Cible peut s’expliquer par la théorie des modèles en réseau. D’après cette théorie, le but est directement connecté aux différents événements qui suivent, ce qui résulte en une similarité des effets d’amorçage pour des cibles adjacentes et non-adjacentes. Les amorces but confirment l’hypothèse d’un réseau causal direct. Notre matériel expérimental se composait du même nombre de paires d’événements pour les cibles adjacentes et non-adjacentes appariées à des amorces but (pour les versions courtes) et à des amorces action (pour les versions longues). Nous n’avons obtenu aucune différence dans les temps de réaction entre les cibles adjacentes et non-adjacentes appariées à des amorces but, tandis qu’une différence apparaît pour ces même cibles appariées à des amorces action. Ceci nous permet de conclure que des connexions causales directes sont possibles entre des unités non-adjacentes dans la structure de surface du texte. Néanmoins, des médiations sont nécessaires afin d’accéder à une information qui est distante de l’amorce et non directement connectée dans la structure causale du texte. Plus une conséquence sera distante de la cause primaire (dans la chaîne causale), plus l’accès à cette information conséquence sera long. Ceci confirme qu’une chaîne linéaire temporo-causale est inclue dans la représentation sous forme de réseau causal (Trabasso & Sperry, 1985; Trabasso & van den Broek, 1985; van den Broek, 1990; van den Broek & Lorch, 1993; van den Broek, Trabasso & Thurlow, 1990).

Nous n’avons obtenu, dans cette étude, aucune différence significative entre les cibles adjacentes et non-adjacentes appariées à des amorces générales. Ainsi, tous les événements du récit semblent prendre sens d’après la topique établie dans la catégorie narrative ‘situation’ (Kintsch & van Dijk, 1978; Trabasso & van den Broek, 1985; van Dijk & Kintsch, 1983). La première phrase d’un récit introduit le lecteur dans un monde narratif en présentant le protagoniste, le lieu et le temps qui “ rend possible ” le traitement du texte (voir le modèle RTN décrit dans le chapitre 2, Shapiro, van den Broek & Fletcher, 1995; Trabasso & van den Broek, 1985; Trabasso, van den Broek & Suh, 1989).

Enfin, nos résultats ont confirmé ceux mis en évidence par van den Broek et Lorch (1993). Les réseaux causaux incluent de multiples connexions directes envers une seule unité de texte. Ces connexions peuvent être proches ou distantes dans la structure de surface du texte. Une chaîne linéaire causale traverse le réseau en connectant selon une succession temporelle les événements les plus importants. De plus, nous avons montré que la reconnaissance est ralentie par le taux d’information activé pendant la présentation de l’amorce, tandis que la reconnaissance est accélérée si le sujet n’a pas à sélectionner une information afin de fournir son jugement sur une seule information (uniquement pour des événements connectés directement, i.e., des cibles adjacentes appariées à soit des amorces actions soit des amorces but). Ainsi, il semblerait que la force de connexion entre les amorces et les cibles influence les temps de réaction. Dans cette expérience, des différences dans les forces de connexion n’ont pas été prises en compte, alors qu’il existe dans la littérature des arguments en faveur d’une influence des forces de connexion sur la représentation en mémoire d’un texte représentation (Trabasso, van den Broek & Suh, 1989; van den Broek, 1990b; Quintana, Tapiero & van den Broek, en révision). Ainsi, une forte connexion pourrait accélérer la reconnaissance d’une cible, ainsi que la sélection d’un événement à reconnaître approprié si un grand nombre de connexions associées à l’amorce activent diverses informations inappropriées. Ainsi l’effet inhibiteur que nous avons pu mettre en évidence provient de la force de connectivité, i.e., le nombre de connexions qu’un événement entretient avec d’autres. Nous avons étudié ce facteur sur des événements amorce, or la récupération de l’information en mémoire, à savoir d’un événement, peut être influencée par le nombre de connexions que possède cet événement puisque de nombreuses “ routes ” mènent à cet événement. De plus, si la relation causale entre l’amorce et la cible est plus forte que la relation entre l’amorce et les autres événements activés lors de sa lecture, la désactivation des événements inappropriés devrait être plus rapide (et facile). Les forces (degrés) de connexion causale ainsi que les effets inhibiteurs et/ou facilitateurs de la force de connectivité feront l’objet de notre second chapitre.