3.7.2.3 Résultats

Les temps de réaction aux phrases lors de la tâche de reconnaissance amorcée ont été divisés par le nombre de syllabes de chaque phrase, et ce pour chaque sujet et pour chaque cible. Ainsi nous évitons toute influence de la longueur des phrases. Une analyse de variance a été effectuée sur les effets d’amorçage obtenus à partir de chaque condition contrôle (Générale et Non-Reliée) à l’aide de SuperAnova. Les effets d’amorçage ont été calculés en soustrayant les temps de réaction aux cibles appariées à des amorces reliées aux temps de réaction de ces mêmes cibles appariées aux amorces non-reliées d’une part, et générales d’autre part.

Nos précédentes études nous ont permis de mettre en évidence des différences de temps de lecture entre les diverses catégories conceptuelles de phrases (telles que définies par le modèle RTN). Notamment en faveur de la catégorie Situation (introduction narrative des récits). Nous n’avons pu observer aucune autre différence due à la catégorie conceptuelle des phrases étudiées. Les buts qui sont sensés avoir de nombreuses et fortes connexions dans le réseau narratif, n’ont présenté aucune augmentation des temps de lecture dans nos expérience précédentes. Ainsi, nous avons fait le choix de nous focaliser sur les analyses essentielles à la validation ou au rejet de nos hypothèses, à savoir les effets d’amorçage.

Propriétés des événements dans le réseau.

Le nombre de connexions F (1, 44) = ,003, p = .954, ainsi que la force de connexion F (1, 44) = 1,665, p = .203, n’ont présenté aucun effet significatif. Mais les résultats ont montré un effet significatif de l’interaction Nombre de Connexions * Force de Connexion (quatre types de cibles étudiées), F (1, 44) = 10,565, p = .002. (voir figure 13)

Figure 13. Représentation graphique des effets d’amorçage (ms./syll) obtenus pour l’interaction Nombre de Connexions * Force de Connexion. [Légende: Nb+ = Beaucoup de connexions, Nb- = Peu de connexions Nombre. S+ = Forte suffisance, S- = Faible suffisance.]

Les cibles ayant peu de connexions mais satisfaisant à une forte suffisance (Nb-S+) présentent le plus grand effet d’amorçage (35,858), suivies des cibles ayant de nombreuses connexions mais satisfaisant à une faible suffisance (pour les événements Nb+S-, 28,508). Le plus faible effet d’amorçage comme nous le supposions a été obtenu sur les cibles ayant peu de connexions et satisfaisant à une faible suffisance (pour les événements Nb-S-, 10,695). Par contre les cibles ayant de nombreuses connexions et satisfaisant à une forte suffisance (pour les événements Nb+S+, 18,653) présentent un effet d’amorçage qui s’intercale entre les cibles ayant de nombreuses connexions mais une faible suffisance (Nb+S-) et les cibles ayant peu de connexions et satisfaisant à une faible suffisance (Nb-S-). Les contrastes calculés pour cette interaction Nombre de Connexions * Force de Connexion ont montré que la différence due à la force de connexion, i.e., entre Nb-S+ et Nb-S-, était significative F (1, 44) = 10,91, p = .002; ainsi que celle concernant le nombre de connexions, i.e., entre Nb+S+ et Nb-S+, F (1, 44) = 5,101, p = .028. Les autres contrastes n’étaient pas significatifs. Même si la différence entre les cibles ayant de nombreuses connexions mais satisfaisant à une faible suffisance (Nb+S-) et celles ayant peu de connexions mais satisfaisant à une forte suffisance (Nb-S+), n’est pas significative, la tendance qui se dégage de cette interaction va dans le sens d’une influence majeure de la force de connexion sur le nombre de connexions. Il semble que lorsque les deux propriétés d’événements (2 forces ajoutées), i.e., force de connexion (S) et force de connectivité (Nb) sont cumulées, il se produit une interférence (voir fan effect, Anderson, 1981).

Nous avons observé un effet significatif de la variable Amorce, F (1, 44) = 11,567, p = .0014. Des effets d’amorçage plus importants ont été obtenus pour des amorces faiblement reliées (A-, 29,94) que pour des amorces fortement reliées (A+, 16,91). Il semblerait qu’une trop forte relation causale entre l’amorce et la cible retarde la reconnaissance d’un événement cible associé. Par contre, une plus faible relation causale (moyenne suffisance A-) entre l’amorce et la cible, rend compte de meilleurs effets d’amorçage. Il se peut qu’il y ait une interférence due aux connaissances du lecteur dans le cas de fortes relations de causalité telles que la causalité physique, puisque ces dernières sont les plus communes, elles font partie des connaissances innées du lecteur sur le monde.

Nous avons également obtenu une interaction significative entre les variables Nombre de Connexion * Amorces F(1, 44) = 29,933, p = .0001 (voir Figure 14).

Figure 14. Représentation graphique des effets d’amorçage (ms./syll) obtenus pour les deux types de relation amorce-cible reliées, sous l’influence du nombre de connexions. [Légende: Nb+ = Beaucoup de connexions, Nb- = Peu de connexions Nombre. A+ = Reliée avec une forte suffisance, A- = Reliée avec une moyenne suffisance.]

De plus grand effets d’amorçage ont pu être observés pour des événements ayant peu de connexions appariés à des amorces faiblement reliées causalement (A-, 38,42) que pour ce même type événements appariés à des amorces fortement reliées causalement (A+, 8,12). Par contre nous n’obtenons pas de différence entre des événements ayant de nombreuses connexions appariés à des amorces faiblement reliées causalement (A-, M = 21,45) et ce même type d’événements appariés à des amorces fortement reliées causalement (A+, 25,7). Lorsque la force de connectivité est présente (Nb) l’amorçage reste stable, i.e., la propriété de l’événement a une influence sur sa récupération en mémoire. L’interaction Force de Connexion * Amorce n’est pas significative, F(1, 44) = 1,142, p = .29. La force de connexion (S) permet donc une plus grande stabilité de récupération des informations en mémoire. Autrement dit elle est moins soumise à l’influence des amorces. Les relations d’amorces faiblement reliées (A-) reflètent la hiérarchie mise en évidence dans l’interaction Nombre de Connexions * Force de Connexions: Nb-S+ > Nb-S- > Nb+S- > Nb+S+. Les relations d’amorces fortement reliées (A+) présentent un pattern différent: Nb-S+ et Nb+S sont inversés, ainsi nous obtenons: Nb+S- > Nb-S+ > Nb+S+ > Nb-S-. La force de connexion semble par conséquent avoir une plus grande influence que le nombre de connexions.

Le facteur Distance n’a pas présenté d’effet simple, F(1, 44) = .801, p = .37. Mais les résultats ont montré des effets d’amorçage supérieurs pour des relations non-adjacentes (25,78) que pour des relations adjacentes (21,07). Ce qui démontre que l’effet de la distance peut être réduit grâce à un amorçage par relation causale. Toutes les interactions faisant intervenir la variable Distance ne sont pas significatives: Distance * Nombre de Connexions F(1, 44) = ,277, p = .60; Distance * Force de Connexion F(1, 44) = ,779, p = .37; et Distance * Amorce F(1, 44) = ,82, p = .37. Néanmoins les résultats ont montré deux doubles interactions significatives. La première est celle des variables Amorce * Nombre de Connexions * Distance F(1, 44) = 16,122, p = .0002. La seconde est celle entre les variables Amorce * Force de Connexions * Distance, F(1, 44) = 7,329, p = .009 (voir Figures 15 et 16).

Nous pouvons observer de plus grands effets d’amorçage pour des cibles adjacentes fortement suffisantes appariées à des amorces faiblement suffisantes (M = 41,66) que pour ce même type de cibles appariées à des amorces fortement reliées (M = 13,22). Les cibles satisfaisant à une faible suffisance montrent le pattern inverse. Nous avons par conséquent un effet significatif pour des cibles non-adjacentes, avec de plus grands effets d’amorçage pour des cibles appariées à des amorces faiblement reliées (M = 31,62) que pour des cibles appariées à des amorces fortement reliées (M = 17,17) (voir Figure 15).

Figure 15. Représentation graphique des effets d’amorçage (ms./syll) obtenus selon les deux types de relation amorce-cible reliées, pour la variable Force de connexions sous l’influence de la distance. [Légende: A+ = Reliée avec une forte suffisance, A- = Reliée avec une moyenne suffisance. S+ = Forte suffisance, S- = Faible suffisance.]

En ce qui concerne le nombre de connexions pour des cibles adjacentes et non-adjacentes, nous avons pu observer la même différence significative avec de plus grands effets d’amorçage pour des amorces faiblement reliées que pour des amorces fortement reliées. Et ce excepté pour les cibles non-adjacentes ayant de nombreuses connexions qui présentent de plus grands effets d’amorçage appariées à des amorces fortement reliées causalement (M= 34,4) qu’appariées à des amorces faiblement reliées causalement (M = 14,27) (voir Figure 16).

Figure 16. Représentation graphique des effets d’amorçage (ms./syll) obtenus selon les deux types de relation amorce-cible reliées, pour la variable Nombre de connexions sous l’influence de la distance. [Légende: Nb+ = Beaucoup de connexions, Nb- = Peu de connexions Nombre. A+ = Reliée avec une forte suffisance, A- = Reliée avec une moyenne suffisance.]

Les résultats ne montrent aucune différence significative d’effets d’amorçage pour des cibles ayant de nombreuses connexions et satisfaisant à une forte suffisance et distantes des amorces soit fortement reliées (A+) soit faiblement reliées (A-).

Focalisation de l’attention du sujet

Nous avons obtenu un effet significatif de la variable condition (voir figure 17), F (1, 44) = 8,127, p = .0066. De plus grands effets d’amorçages ont été observés pour la condition contrôle ‘Générale’ que pour la condition contrôle ‘Non-Reliée’.

Les résultats montrent une tendance significative de l’interaction Condition Contrôle * Distance F (1, 44) = 3,493, p = .0683. Mais nous n’avons pas obtenu d’effet d’amorçage de reconnaissance significatif entre les paires adjacentes et non-adjacentes pour la condition de contrôle ‘Générale’, bien qu’une tendance apparaisse en faveur d’un meilleur effet d’amorçage pour des cibles adjacentes que pour des cibles non-adjacentes (voir Figure 17).

Figure 18. Représentation graphique des effets d’amorçage (ms./syll) obtenus pour les deux condition de contrôle sous l’effet de la distance.

La reconnaissance de paires de phrases adjacentes fait appel à une représentation locale du texte, tandis que les paires non-adjacentes font appel à une représentation globale du texte. Mais les amorces Générales (qui sont les phrases introductives des récits) font appel (activent) une représentation globale du texte (les temps de réaction aux cibles adjacentes et non-adjacentes précédées d’amorces Générales ne montrent pas de différence). Nous obtenons pour la condition de contrôle Non-Reliée, une différence significative entre les effets d’amorçage entre des relations adjacentes et des relations non-adjacentes. Comme nous l’avions prédit, nous avons observé un plus grand effet d’amorçage pour les cibles non-adjacentes précédées d’amorces non-reliées que pour des cibles adjacentes précédées du même type d’amorces. Ceci s’explique par le fait que l’attention des participants, lors de la présentation de l’amorce Non-Reliée, est localisée au moment de l’occurrence de l’événement dans la chaîne temporo-causale qui traverse la représentation du texte par le lecteur (pour les paires non-adjacentes). Le noeud du réseau focalisé (amorce) active ses plus proches voisins (cible). En distance non-adjacente, le lecteur doit réactiver la cible non-adjacente puisque l’amorce Non-Reliée n’est pas localisée dans le même espace-temps de la représentation sous forme de réseau.

Les différences entre les paires adjacentes et non-adjacentes pour la condition de contrôle Non-Reliée, sont soumises à l’influence des divers types de cibles. Le nombre de connexions et/ou la force de connexion des relations causales peut réduire cette différence entre la distance adjacente et la distance non-adjacente.

Interaction entre les deux composantes: Focalisation de l’attention du sujet et propriétés des événements dans le réseau

Les résultats ont mis en évidence une interaction significative entre les Conditions Contrôle et la Force de Connexion, F(1, 44) = 4,137, p = .04. Nous n’avons pas observé de différence dans les effets d’amorçage entre des cibles satisfaisant à une forte suffisance et des cibles satisfaisant à une faible suffisance pour la condition contrôle Non-Reliée. Par contre, nous pouvons observer une différence pour la condition de contrôle Générale. L’interaction Condition Contrôle * Nombre de Connexions n’était pas significative F(1, 44) = 2,61, p = .11. La distance semble avoir une influence sur l’interaction Condition Contrôle * Nombre de Connexions, F(1, 44) = 23,2, p = .0001, mais pas sur l’interaction Condition Contrôle * Force de Connexions, F(1, 44) = ,018, p = .89. La distance entre deux événements semble avoir une influence sur des événements qui varient dans leur nombre de connexions. Comme nous l’avions prédit, le facteur Condition Contrôle influence la force de connectivité. Les événements ayant de nombreuses connexions (Nb+) présentent un plus grand effet d’amorçage sur une distance non-adjacente (41,47) que sur une distance adjacente (37,12), en prenant une condition de contrôle ‘Générale’. Mais en calculant des effets d’amorçage d’après une condition de contrôle Non-Reliée, ces événements (N+) présentent de plus faibles effets d’amorçage sur une distance non-adjacente (7,20) que sur une distance adjacente (20.09). Le pattern est inversé pour des événements ayant peu de connexions. Avec une condition de contrôle ‘Générale’, les événements ayant peu de connexions (N-) donnent lieu à des effets d’amorçage plus faibles dans une distance non-adjacente (15,43) que dans une distance adjacente (37,12). Alors qu’avec une condition de contrôle Non-Reliée, les événements ayant peu de connexions donnent lieu à de plus amples effets d’amorçage sur une distance non-adjacente (39,02), que sur une distance adjacente (M = 1,52) (voir Figure 18).

Figure 18. Représentation graphique des effets d’amorçage (ms./syll) calculés avec deux conditions contrôle, et obtenus pour des cibles ayant de nombreuses ou peu de connexions croisé leur distance dans la structure de surface du texte. [Légende: Nb+ = Beaucoup de connexions, Nb- = Peu de connexions Nombre. Adj. = Adjacent, Non-Adj. = Non-Adjacent.]

Les cibles satisfaisant à une faible suffisance (S-) sont des relations de ‘rend possible’, et tout ce qui est connecté à des amorces Générales l’est par une relation causale de ‘rend possible’. Par conséquent, il n’existe pas de grande différence entre des relations Générale --> Nb-S- et Amorces (A+ et A-) --> Nb-S-. Le faible effet d’amorçage que nous avons mis en évidence provient du fait que les amorces reliées (A+ et A-) activent directement les événements reliées tandis que les amorces Générales activent tous les événements de la même manière (i.e., globalement).