3.7.3 Discussion

Les résultats que nous avons obtenus confirment l’influence des propriétés “ nombre de connexions ” et “ force de connexion ” sur la représentation en mémoire d’événements. Le nombre de connexions et la force de connexion (à savoir la suffisance) influencent la représentation et la récupération d’événements narratifs en mémoire, étant donnée une représentation mentale sous forme de réseau causal dans lequel les événements représentés forment les noeuds du réseau et les relations causales les connexions entre ces noeuds (événements). Néanmoins, nous avons montré une influence majeure de la force de connexion sur la force de connectivité. Les effets obtenus sur nos différents types de cibles (Nb2 x S2) suggèrent que le nombre de connexions d’un événement influence le recouvrement de cet événement de diverses manières. Une possibilité est que le nombre de connexions fournit des “routes d’accès” à cet événements supplémentaires. Un événement ayant de nombreuses connexions satisfaisant à une faible suffisance sera plus facilement recouvré qu’un événement ayant peu de connexions et satisfaisant à une faible suffisance. Une alternative est que le nombre de connexions peut perturber le recouvrement en activant tous les événements connectés à celui qui doit être recouvré. Cet effet perturbateur est amplifié lorsqu’il est combiné à la force causale des connexions. Un événement ayant de nombreuses connexions dont chacune satisfait à une faible suffisance sera recouvré plus facilement qu’un événement ayant de nombreuses connexions dont chacune satisfait à une forte suffisance. Ces résultats suggèrent également que la force de connexion a une plus grande influence sur la représentation d’un événement en mémoire que la force de connectivité. En effet, d’après l’interaction Nombre de connexions * Force de connexion, un événement cible ayant de nombreuses connexions mais satisfaisant à une faible suffisance est moins bien reconnu qu’un événement cible ayant peu de connexions mais satisfaisant à une forte suffisance. Nous pouvons aussi rajouter que la force de connexion ayant une importance majeure sur la représentation d’événements en mémoire, l’effet perturbateur des deux forces associées pour le type d’événements Nb+ S+, peut être notamment dû à la propriété de force de connexion des événements et non uniquement à la propriété de force de connectivité. En d’autres termes, un événement peut avoir de nombreuses connexions qui varient selon leur force de connexion, mais il ne peut pas avoir une seule connexion variant sur sa force causale. Dans notre expérience, un événement dénommé Nb+S+, possède la même force causale (suffisance) sur chacune de ses connexions. Ainsi, nous pouvons dire qu’une connexion causale ne peut être construite sans force de connexion, alors que la force de connectivité n’inclut pas forcément la force de connexion. Le force (suffisance) produit les connexions, mais ce ne sont pas les connexions qui produisent en totalité la force de connexion des événements.

Une autre interprétation de nos résultats serait que l’influence des propriétés d’événements et leurs effets dépendent de l’étendue avec laquelle ceux-ci sont amorcés. En effet la hiérarchie de recouvrement selon le nombre et la force des connexions qu’un événement entretient avec d’autres diffère en fonction de la relation entre l’amorce et la cible, i.e., selon le type d’indice utilisé afin de focaliser l’attention des participants. Il semblerait que d’une part, une relation causale modérée entre l’amorce et la cible conduise à de meilleurs effets d’amorçage qu’une forte relation causale. D’autre part, l’influence du nombre de connexions est plus importante lorsque les événements sont amorcés avec une relation causale fortement suffisante. Alors que la force des connexions prévaut quand une relation causale modérée existe entre l’amorce et la cible.

De prime abord, les résultats sur l’effet significatif ‘Condition Contrôle’ peuvent apparaître étranges, puisqu’une faible relation causale de ‘rend possible’ existe entre les amorces Générales et les cibles (plus une cohérence référentielle) tandis qu’il n’existe aucune relation causale entre des amorces Non-Reliées et les cibles (uniquement une cohérence référentielle). Par conséquent, si les effet d’amorçage sont proportionnels à la force de la relation entre l’amorce et la cible, nous aurions dû observer de meilleurs effets d’amorçage calculés à partir d’une condition contrôle Non-Reliée plutôt qu’à partir d’une condition contrôle Générale. Nous avons obtenu l’inverse. Ceci est en fait logique si on se situe dans une approche locale et globale de la représentation d’un texte en mémoire sous forme de réseau traversé par une chaîne temporo-causale. Les amorces Générales activent la topique du texte, un cadre général. Ce type d’amorces place le participant dans une représentation globale du texte, puisque tous les événements prennent sens dans les circonstances du texte. Les amorces Générales ont un statut spécial qui provient du contenu conceptuel de la phrase qui peut être considéré comme étant le contexte, la situation narrative, i.e., la cause primaire ou de base qui donne sens, qui justifie l’apparition de tous les événements.

Les amorces reliées A+ et A- activent les relations causales directes qu’elles soient adjacentes (locales) ou non-adjacentes (globales, mais globale n’a pas le même sens ici que celui d’une activation globale du texte) dans la structure de surface du texte. Un participant auquel on présente une amorce reliée, qu’elle soit de forte ou faible relation (A+ ou A-) entre dans le décours temporel du récit. Il n’a pas à suivre la chaîne temporo-causale qui traverse le réseau afin de reconnaître un événement, puisque la présentation de l’amorce le place dans un moment particulier de cette chaîne temporo-causale. Ceci conduit à des temps de réaction qui sont dus à des effets cumulés de la relation causale qui accélère la reconnaissance des cibles, et de la focalisation directe dans une situation, et ce à l’aide de l’amorce qui est la cause d’un quelconque événement.

Les amorces Non-Reliées activent un moment précis du texte, un emplacement de la chaîne temporo-causale puisque l’énoncé amorce appartient au décours temporel du texte. L’activation primaire due à la présentation de l’amorce n’est plus globale mais locale. Par conséquent la reconnaissance des cibles est facilitée, i.e. plus rapide qu’après une présentation d’amorces Générales. Ceci nous a conduit à observer des effets d’amorçage plus faibles avec une condition Non-Reliée qu’avec une condition contrôle Générale, parce que les effets d’amorçage sont uniquement dus à la relation causale entre les amorces A+ et A- et les cibles, et non à l’effet cumulé de la focalisation directe dans une situation à un emplacement donné du texte, puisque cet effet est présent pour des amorces reliées et non-reliées (voir van den Broek & Lorch, 1993).

Ce résultat a été confirmé par la différence significative que nous avons observée entre les effets d’amorçage pour des cibles adjacentes et non-adjacentes avec une condition contrôle Non-Reliée, alors qu’aucune différence n’est apparue avec une condition contrôle Générale. En effet, les énoncés des situations initiales ‘rendent possible’ le texte en entier, et ainsi une amorce Générale est connectée à tous les événements du texte de la même manière, tout comme le sont les relations adjacentes et non-adjacentes entre les amorces Reliées (A+ et A-) et les cibles.

Dans cette optique, nous avons pu (comme nous le supposions) mettre en évidence des effets d’amorçage plus importants pour des relations non-adjacentes que pour des relations adjacentes, puisqu’une relation causale directe existe entre les amorces reliées et leur cible, et des effets d’amorçage plus faibles pour des relations adjacentes que pour des relations non-adjacentes calculés d’après une condition contrôle Non-Reliée. L’attention du participant est focalisée au moment de l’occurrence de l’événement dans la chaîne temporo-causale (paires adjacentes). Dans les expériences de van den Broek et Lorch (1993), la condition contrôle Non-Reliée n’était pas utilisée, par conséquent nos interprétations ne sont que des suppositions. Les temps de réaction aux cibles non-adjacentes appariées à des amorces non-reliées causalement reflètent l’exploration de la chaîne causale, tandis qu’avec des amorces reliées (quelque soit leur force), les participants n’ont nul besoin d’explorer cette chaîne causale. Par exploration de la chaîne causale nous entendons suivre le déroulement de la chaîne causale. Mais tous les événements ne sont pas explorés, uniquement les principaux qui constituent la trame temporo-causale. En effet, il existe toujours une influence plus ou moins forte de la chaîne causale: Toute relation causale requiert une priorité temporelle. Un événement est toujours important ou pertinent d’après quelque chose, une cause ou une conséquence. Les principaux événements sont ‘vérifiés’ par les participants mais uniquement selon une temporalité apparente lorsqu’il n’existe pas de relation causale entre l’amorce et la cible. Mais ces différences entre paires adjacentes et non-adjacentes pour la condition de contrôle Non-Reliée diffèrent selon les propriétés propres à la cible, i.e., le nombre de connexion et/ou la force de connexion des relations causales qui peuvent réduire cette différence entre distances adjacentes et non-adjacentes.

Il semblerait d’après nos résultats que les cibles Nb+S+ n’aient pas le niveau qui leur est théoriquement dû dans la hiérarchie de reconnaissance. En effet, les deux propriétés causales d’événements, à savoir le nombre et la force de connexion, ont une influence sur la représentation et la récupération en mémoire de ces événements. Néanmoins, la propriété de force de connexion semble avoir une plus grande influence sur la construction d’une représentation cohérente en mémoire puisque lorsque les deux propriétés sont cumulées, i.e., force de connexion (S) et force de connectivité (Nb), une interférence apparaît. La présentation de la cible permet d’activer tout ce qui lui est connecté. Si une cible possède de nombreuses connexions satisfaisant à une forte suffisance: Nb+S+, tous les événements non appropriés (non pertinents) pour la reconnaissance de la cible seront activés également. Il sera alors beaucoup plus difficile de désactiver des éléments fortement activés que des éléments faiblement connectés afin de reconnaître la cible appropriée. Ainsi nous avons obtenu un effet perturbateur de S+ sur N+. De plus, cet effet perturbateur de la force de connexion associée à la force de connectivité, nous permet de confirmer l’hypothèse selon laquelle la force de connexion a une plus grande influence sur la représentation sous forme de réseau de textes narratifs. Il faut garder à l’esprit que la reconnaissance d’événements cibles se fait selon la force de la relation causale dans laquelle ils sont insérés (puisque la représentation se fait sous forme de réseau causal). La diffusion de l’activation entre les noeuds du réseau (événements représentés), ainsi que la vitesse de diffusion de cette activation obéit à la force des connexions (forte suffisance qui est un meilleur critère causal). Ainsi, un événement Nb+S+ va activer tout ce qui lui est connecté et ce, au même niveau d’activation, puisque les nombreuses connexions ont toutes la même force (S+). Par conséquent, le participant aura besoin de plus de temps afin de sélectionner l’énoncé adéquat (ou désactiver les énoncés non appropriés). Ceci n’a pas été mis en évidence sur les cibles Nb+S- en dépit de leur nombre important de connexions, puisque la relation entre l’amorce et la cible (amorces A+ et A-) prévaut et puisque tout ce qui est connecté à la cible ne satisfait pas à une forte suffisance (S-). Lorsqu’une cible Nb+S- est présentée, la vitesse de diffusion de l’activation aux éléments qui lui sont connectés est plus lente que lorsqu’une cible Nb+S+ est présentée. La perturbation est donc mineure ou quasi inexistante. La propriété nombre de connexions (force de connectivité) associée à une faible suffisance doit donc aider à reconnaître, i.e., à récupérer l’information en mémoire plus rapidement. Le nombre de connexions influence la représentation en mémoire d’un énoncé, parce qu’il existe une plus grande probabilité qu’une route soit trouvée pendant la reconnaissance de cet énoncé. Par conséquent, la force de connexion (suffisance) influence la représentation en mémoire d’un énoncé, parce que plus forte sera la connexion mieux cet énoncé sera représenté. Etant donné que les lecteurs encode les énoncés et leurs relations causales en mémoire, plus une relation sera fortement connectée, plus rapide sera la vitesse de propagation de l’activation: Nb-S+ > Nb-S-. Ainsi, la force de connexion (S+) a une plus grande influence sur la représentation en mémoire que la force de connectivité (nombre de connexions). Par conséquent son poids est plus grand pour les connexions que le nombre de connexions. Nous avons donc obtenu la hiérarchie suivante: Nb-S+ > Nb+S- > Nb-S-. Les effets combinés des deux propriétés présentent un effet d’amorçage (>0) mais moins important à cause de la perturbation. La hiérarchie obtenue pour nos quatre types de cibles est la suivante: Nb-S+ > Nb+S- > Nb+S+ > Nb-S-. Cette hiérarchie a été établie d’après les effets d’amorçage apparents. Mais l’effet perturbateur de la force de connexion (S+) associée au nombre de connexions (Nb+) nous permet de dire que la force de connexion (S+) a une plus grande importance que le nombre de connexions (Nb+) sur la construction et le recouvrement de la représentation en mémoire du texte. Ceci nous a permis d’extrapoler la hiérarchie suivante de représentation d’événements en mémoire d’après leur force et leur nombre de connexion: Nb+S+ > Nb-S+ > Nb+S- > Nb-S-. Puisqu’il semble que la force de connexion ait une plus grande influence sur la représentation mentale d’un texte, cette hiérarchie de reconnaissance de types de cibles peut différer selon la relation avec l’amorce associée qui peut être forte (A+) ou faible (A-). En effet, la relation amorce-cible A+, associée à une cible S+, présente deux éléments S+. Par conséquent, les participants doivent faire un choix, i.e., désactiver la conséquence ou la cause (par rapport à la cible). Lorsque la relation amorce-cible est forte (A+) et que la cible est de type Nb+S-, une relation est plus activée que les autres, à savoir la relation amorce-cible. Ainsi, nous avons obtenu des temps de réaction plus longs pour des cibles Nb+S- qui ont conduit à des effets d’amorçage plus importants, que pour des cibles Nb-S+, donc: Nb+S- > Nb-S+. Une relation amorce-cible reliée selon une moyenne suffisance nous a permis de faire émerger le pattern suivant: Nb-S+ > Nb+S-. Avec relation causale modérée (A-) tout ce qui est connecté à la cible aide à la reconnaissance. Pour des cibles Nb+S-, de nombreux événements sont activés, mais ils satisfont à une force de connexion similaire à celle de la relation amorce-cible (A-). Par conséquent, le participant doit désactiver tous les événements non appropriés pour la reconnaissance. Pour des cibles Nb-S+, la cible est insérée en tant que cause dans une forte relation causale. Par conséquent, la reconnaissance est facilitée (meilleurs effets d’amorçage) puisqu’un seul élément est activé. Dans les deux cas (Nb-S+ > Nb-S-), le nombre de connexion n’intervient pas. La différence est la force de connexion, ce qui nous permet de conclure que la force a une plus grande influence que le nombre de connexions sur la mémoire pour la construction d’une représentation cohérente (i.e., un réseau causal).

Nous avons pu mettre en évidence à l’aide de deux conditions de contrôle pour calculer les effets d’amorçage, que la spatialité (dans la structure de surface du texte) inclue dans le critère requis d’opérativité, influence le recouvrement d’un événement. L’opérativité est requise pendant le traitement d’un texte afin de connecter les événements, plus particulièrement lorsque ces événements sont distants dans la structure de surface du texte, puisque la cause doit être opérative quand sa conséquence apparaît afin de connecter ces deux événements. Lorsque l’attention du lecteur est focalisée sur un moment du texte, même si l’amorce n’est pas causalement reliée à la cible, tout ce qui est spatialement et temporellement relié à l’amorce sera activé. L’interaction Condition Contrôle * Distance nous a permis de mettre en évidence une différence d’effet d’amorçage entre des paires de phrases adjacentes et non-adjacentes pour la condition de contrôle Non-Reliée causalement, alors qu’aucune différence n’a pu être mise en évidence avec une condition de contrôle Générale. De plus, nous avons observé de plus amples effets d’amorçage avec une condition de contrôle Générale qu’avec condition de contrôle Non-Reliée causalement. Une question se pose alors: Ces différences dues à la distance proviennent-elles d’une représentation spatiale de la structure de surface du texte, ou proviennent-elles de la représentation temporelle du décours des événements dans le réseau? Autrement dit, les événements peuvent être représentés de manière proche dans le réseau (localisation dans le réseau) tout comme ils peuvent aussi bien être organisés selon la temporalité dans le réseau (à un moment du réseau). Un début de réponse serait que la temporalité est la composante principale qui pourrait influencer l’organisation de la représentation en réseau puisque la distance entre deux événements causalement reliés dans la structure de surface du texte n’influence pas le recouvrement de cet événement lorsque l’amorce et la cible sont causalement connectées. Mais il émerge un problème du à la tâche de reconnaissance amorcée elle-même. Une tâche d’amorçage rend compte de la relation directe entre une amorce et une cible. Il apparaît qu’avec des amorces fortement suffisantes (A+), la relation entre l’amorce et la cible prévaut sur le type d’événements cibles et sur leurs relations. Une première influence serait celle provenant de la relation entre les paires amorce-cible. Alors, dans le cas d’une influence majeure des propriétés de la cible, nous obtenons des interférences, si les deux forces sont en compétition. Une procédure d’amorçage indirect pourrait constituer un début de réponse à ce problème. Par ceci, nous entendons un amorçage indirect des cibles à l’aide d’amorces neutres qui seraient connectées selon une force moyenne à un événement qui lui-même serait connecté aux différents types de cibles étudiés. Dans un sens l’amorçage serait indirect.

En conclusion, nous pouvons dire que chaque information a une influence en soi. Et selon les propriétés qu’elle possède, elle peut avoir une influence majeure ou mineure, à savoir la force de connexion et la force de connectivité pour l’étude des relations causales. Cette influence peut être modifiée (atténuée ou augmentée) sous l’effet des conditions d’accès à cette information en mémoire. La prédominance d’une propriété sur l’autre peut être inversée.