4.7.2 Nécessité/suffisance et production d’inférences antérogrades

Nous envisageons donc une relation causale en tant que degré de force de connexion entre deux événements, étant données les circonstances. Elle est définie selon deux critères que sont la nécessité et la suffisance. La force de la connexion peut aussi être définie en tant que nombre de conséquences probables étant donnée une cause comme nous l’avons mis en évidence dans notre seconde expérience (voir chapitre 2).

En définissant le modèle de production d’inférences causale (van den Broek, 1990) en termes de causalité (nécessité et suffisance, Mackie, 1980), nous pouvons extrapoler le modèle suivant (voir figure 20):

Figure 20 : Récapitulatif des différents types d'inférences causales qui peuvent être produites dans la compréhension de texte, et influence des critères causaux. (D'après van den Broek, 1990; Quintana, Tapiero & van den Broek, en révision).

Lors de la production d’inférences rétrogrades (ou rétroactives), l’antécédent causal peut être activé couramment car il est toujours en mémoire à court terme. Le lecteur n’aura alors qu’à générer une inférence de liaison (de connexion) ce qui se produit en cas de causalité adjacente lorsque les critères de nécessité et de suffisance sont satisfaits (à divers degrés). Si l’antécédent causal se trouve dans le texte lu antérieurement, il n’est plus activé en mémoire à court terme. Le lecteur doit alors rechercher l’information textuelle dans sa représentation (en cours de construction) en mémoire à long terme. Il produit alors une inférence de recouvrement basée sur la force de la relation causale entre deux événements non-adjacents dans la structure de surface du texte. Par contre si le lecteur ne rencontre pas d’antécédent causal pouvant fournir de la suffisance, il tentera de recouvrir un antécédent causal à partir de ses propres connaissances. La mémoire sémantique sera alors explorée, afin d’élaborer une inférence rétrograde. Ceci est processus qui se produit lorsque les relations causales ne présentent qu’une faible nécessité et/ou suffisance (que les relations soient adjacentes ou non dans la structure de surface du texte).

Mais le lecteur, selon la force causale du lien qui unit une cause à sa conséquence, peut inférer l’événement qui va se produire dans le texte et il générera des inférences antérogrades (ou proactives). Selon les forces de connexion causale, ces inférences antérogrades peuvent être de deux types. En effet, le lecteur peut supposer de l’importance d’un énoncé lorsqu’il est dans la fenêtre attentionnelle (focal) et tenter de le maintenir activé au cours des cycles de traitement suivant. A savoir une cause (événement) donnée, selon les circonstances du texte, peut être perçue comme pouvant avoir une importance pour la suite du texte. Elle sera donc maintenue jusqu’à ce que sa conséquence apparaisse et que le lecteur puisse l’intégrer à sa représentation en cours de construction. Notre hypothèse est que ceci se produit lorsque la nécessité est fortement présente (fournie par les circonstances du récit) et que la suffisance est moyenne. Par contre, si nécessité et suffisance sont présentes pour un événement futur, le lecteur peut activer en se basant sur ses propres connaissances causales, une conséquence via un processus prédictif (fortement contraint par les circonstances et ses propres connaissances) et ainsi élaborer une inférence antérograde.

Pour résumer notre point de vue, nous pouvons dire que les inférences rétrogrades sont le plus souvent basées sur les informations du texte ainsi que sur les connaissances antérieures du lecteur en cas de rupture de la cohérence dans le texte. Alors que les inférences antérogrades sont quant à elles, uniquement basées sur les connaissances antérieures du lecteur, à savoir, les prédictions. Ces prédictions, selon la force de connexion des énoncés peuvent être de deux types (maintien d’un événement à travers les cycles de traitement ou élaboration). Ce sont ces inférences antérogrades qui nous intéressent tout particulièrement puisqu’elles n’ont reçu que très peu d’attention dans la littérature.

Aussi en envisageant la production d’inférences causales en termes de patterns d’activation d’éléments au cours de la lecture, cinq cas peuvent se présenter dans la production d’inférences antérogrades causales, en faisant varier la distance entre la cause et la conséquence dans la structure de surface du texte.