4.7.8 Discussion

D’après ces résultats, nous pouvons dire que les lecteurs produisent effectivement des inférences antérogrades basées sur leurs connaissances causales antérieures portant sur le monde et son fonctionnement causal. La non significativité du facteur Condition (cause ou conséquence) nous force à admettre que ces inférences antérogrades causales consistent à maintenir l’activation des causes lues ainsi qu’à activer des conséquences probables et les maintenir au fur et à mesure de la lecture, jusqu’à l’apparition effective de la conséquence dans le texte. Nous nous attendions à obtenir très peu de différences puisque rien n’a été fait dans ce domaine de la production d’inférences causales pendant la lecture. En effet, si la cause et la conséquence sont maintenues activées dans la prédiction d’événements à venir, il devient très difficile de mettre en évidence des différences significatives. Nous pouvons néanmoins conclure de l’interaction non significative Suffisance * Distance, que les causes sont maintenues activées jusqu’à l’apparition de la conséquence, à travers les cycles de traitement. Nous avons pu cependant noter une baisse des temps de réaction aux mots cibles pour la distance mi-adjacente, et ce pour les deux degrés de suffisance (forte et moyenne). Dans notre protocole, la tâche de décision lexicale s’effectuait juste avant l’apparition de la conséquence. Donc en distances mi-adjacente et non-adjacente, les causes avaient été lues 5 ou 10 phrases avant. Elles sont donc maintenues à travers les cycles de traitement. Mais étant donné que la conséquence tarde à apparaître les temps de réaction augmentent légèrement traduisant une désactivation progressive mais non significative des événements causes. Sur une distance adjacente, les événements sont forcément activés puisqu’il s’agit des événements focaux. Il reste donc la trace perceptive des événements. Ceci ne peut être dû à une quelconque notion de fan effect (Anderson, 1981) puisque nous n’avons obtenu aucune différence entre une forte et une moyenne suffisance. Cette trace perceptive s’interposerait ou se superposerait au traitement en cours à savoir que l’intégration conceptuelle de l’énoncé (déjà effectuée sur des distances mi-adjacentes et non-adjacentes) ne se serait pas entièrement produite. Il serait donc intéressant dans de futures recherches de tester cette notion de trace perceptive en faisant varier le facteur distance sur chaque phrase des récits, à savoir que différents participants seraient testés sur des distances allant de 1 phrase (adjacente) à 2 puis 3 etc... Ainsi il serait possible de mettre en évidence des patterns d’intégration conceptuelle et de maintien d’événements causes dans la production d’inférences causales antérogrades.

Ce qui nous permet d’émettre l’hypothèse d’une accumulation d’activations diverses sur un même événement, ce sont les résultats que nous avons obtenus sur la condition conséquence.

En effet, les temps de réaction aux mots cibles qui réfèrent à des relations de force suffisance sont reconnus plus lentement que des mots faisant référence à des relations de moyenne suffisance. Ce résultat est compatible avec la notion selon laquelle des événements satisfaisant à une forte relation causale donnent lieu à une moins bonne intégration des événements en mémoire (Keenan, Baillet & Brown, 1984; deuxième expérience de notre second chapitre). L’interaction Suffisance * Distance significative dans les contrastes calculés, nous permet de confirmer notre hypothèse d’accumulation d’activations sur un même événement ainsi que de confirmer la notion de manque d’élaboration dû à une trop forte relation causale. En effet, avec une forte suffisance pour une conséquence attendue les temps de réaction aux mots cibles diminuent en fonction de la distance. Ils sont extrêmement importants en distance adjacente ce qui met en évidence l’activation d’une conséquence probable mais sans élaboration de la relation qui l’unit à la cause. Néanmoins, les temps de réaction diminuent sensiblement plus la distance augmente, il y a donc intégration progressive de cette conséquence activée, i.e., la relation est progressivement élaborée. Par contre avec une moyenne suffisance entre une cause donnée et son effet probable, les temps de réaction aux mots cibles conséquence augmentent au fur et à mesure que la distance augmente. Nous pouvons en déduire que les conséquences probables qui sont activées lors de la lecture d’une cause sont progressivement désactivées au fur et à mesure que le lecteur avance dans le texte. Le point très intéressant que nous pouvons soulever est que pour une moyenne suffisance, les temps de réaction aux mots cibles ‘conséquence’ sont très courts sur une distance adjacente, alors que ceux des mots référant aux causes étaient plus long. Ceci confirme l’idée d’une accumulation d’activations sur un événement lorsque cet événement à été lu. En effet, lorsque les participants réalisaient la tâche de décision lexicale (sur la distance adjacente), ils venaient auparavant de lire la cause, alors que la conséquence était toujours lue après la réalisation de la tâche. Selon une interprétation théorique (ou philosophique) il se peut aussi que le fait de lire une cause active des conséquences mais que, si la cause est maintenue active ce n’est qu’à travers la conséquence activée, puisque la cause est une condition inus de la conséquence, tout comme nous l’avons expliqué dans notre introduction.

Cette interaction Suffisance * Distance pour les mots cible ‘conséquence’ présente également une similitude avec celle des mots cibles ‘cause’. En effet, les activations semblent ‘s’équilibrer’ sur la distance mi-adjacente. Ainsi, la distance entre la cause et la conséquence, ainsi que la force de connexion (suffisance) influencent les patterns d’activation. Une forte suffisance entre une cause et une conséquence donne lieu à une intégration progressive de la relation causale sous l’influence de la distance. La distance Mi-Adjacente, semble être le point central des Activation/Désactivation des éléments.

Nous pouvons, de part cette similitude de la distance mi-adjacente pour les causes et les conséquences, nous hasarder à penser que la compréhension causale d’un texte est limitée à 5 cycles de traitement (plus ou moins 2 cycles). En effet, la distance Mi-Adjacente (5 phrases) correspond à 5 cycles de traitement, c’est donc la capacité maximale de maintien des activations pour le lecteur. Cinq cycles seraient le point à partir duquel il y aurait soit intégration soit désactivation progressive des éléments activés.

C’est ce que confirment nos résultats sur les temps de lecture des conséquences attendues et non attendues. En effet, nous avons pu mettre en évidence à l’aide de l’interaction Conséquences * Force que les temps de lecture des conséquences peu attendues augmentent sous l’effet de la suffisance. Ceci confirme le fait qu’une forte suffisance conduit à l’élaboration de prédictions qui sont progressivement intégrées en mémoire par le lecteur. L’interaction Distance * Force de connexion nous à permis de mettre en évidence une diminution des temps de lecture sur la distance adjacente entre une forte suffisance et une moyenne suffisance, alors que l’inverse se produit sur les deux autres distances. Ainsi nous avons retrouvé l’effet inhibiteur de la forte suffisance sur la distance adjacente. L’interaction Conséquence * Distance confirme que la distance mi-adjacente est un tournant de la production d’inférences causales antérogrades. En effet, les temps de lecture des deux types de conséquences (attendues et non-attendues) sont significativement plus courts sur cette distance. Les temps de lecture plus courts pour des conséquences attendues que pour des conséquences non attendues disparaît. Il semble que les maintiens et désactivations des inférences antérogrades produites soient instables, ou plutôt que ce soit le point central de ces processus.

En conclusion nous pouvons dire que les deux types d’inférences causales antérogrades, i.e., prédictions d’un événement futur et maintien d’un événement pour la survenue d’un autre événement à venir, sont effectivement produits par les lecteurs.

Il semble qu’en cas de forte relation causale entre deux événements la cause et la conséquence soient activées et maintenues “ en même temps ”. Néanmoins, la cause étant explicitement apparue dans le texte, elle est plus à même d’être maintenue activée. Pour des événements de moyenne suffisance, les conséquences sont progressivement désactivées. Ce qui nous permet de faire l’hypothèse selon laquelle les prédictions ne sont pas purement antérogrades avec une moyenne suffisance. L’inférence antérograde générée serait une inférence antérograde qui deviendrait rétrograde sous l’effet de la distance. Ainsi les différents types d’inférences causales (rétrogrades et antérogrades) interagissent dans les processus de lecture et de compréhension.

Avec une forte suffisance, les conséquences sont progressivement maintenues et intégrées. En effet, plus, la distance augmente, plus les temps de réaction diminuent. Nous pouvons en conclure qu’il existe un renforcement de l’activation, une connexion est créée ou plutôt un noeud préexistant en mémoire est activé et intégré dans la représentation en cours de construction. Une forte suffisance conduit par conséquent à la génération d’inférences causales purement antérogrades.