2 - Charlot et son rapport aux autres

A. Bazin 22 écrit :

‘« La mise en scène de Chaplin n’est que l’extension, à la caméra, au découpage, au montage, du jeu de Charlot(...). On ne saurait concevoir dépendance plus étroite du “fond” et de la “forme” ou, plutôt, confusion plus parfaite. »’

C’est bien, à notre sens, ce qu’impose d’emblée Chaplin avec la dimension propre qu’il confère à son personnage. D’ailleurs celui-ci en a parfaitement conscience :

‘« Je suis hors de l’ordinaire, je n’ai pas besoin d’angle de prise de vues hors de l’ordinaire. »’

En effet, il est classiquement admis par les critiques que la conception même du personnage de Charlot et les rôles qu’il remplit constituent bel et bien le fond de l’écriture cinématographique de Chaplin dans une perspective de rénovation du burlesque. D’abord celui-ci est stigmatisé au sens où il est présent à l’écran sous la défroque du tramp et sera saisi comme tel par le spectateur. Sa dimension comique s’affiche insolemment : allures reconnaissables à tous les coups, comme la marche en canard avec les grandes savates, pointes en dehors, les dérapages contrôlés sur un pied à l’angle des rues ou dans les situations périlleuses telles que patiner au bord d’un trou, les coups de pied à la lune pour narguer le destin, les airs désabusés dans les situations critiques en tirant effrontément sur un méchant mégot, les courses impromptues, les coups en vache, les niches, le sens de l’esquive et celui de l’éclipse. Charlot incarne bien l’esprit vif et futé, la débrouillardise du vagabond en bute à l’ordre et à la méchanceté du monde normé et installé. La situation même de Charlot renforce cet aspect ludique et « farcesque ». Pour notre part, nous considérons que le rapport que le tramp entretient avec les autres est fondamental dans l’élaboration de ses postures filmiques. L’égocentrisme de Charlot ou mieux, le fait qu’il considère la vie comme un désir au lieu de lui donner un sens dans le tissu social implique des mises en scène ouvertes sur une base de scénario à peine esquissée. Au centre de toute action, il focalise les lignes de force du cadre et définit l’espace des protagonistes. Son rapport aux autres, à la fois fait de recherche de contact et de fuite concentre l’acte filmique sur la dépense de Charlot dans le cadre. Nous allons nous intéresser, d’une part aux rapports qu’il entretient avec la hiérarchie et les patrons, d’autre part à ceux qu’il éprouve dans sa confrontation avec l’ordre qu’incarnent les flics et parfois l’armée.

Notes
22.

André BAZIN- Eric ROHMER, Charlie Chaplin, Edition Ramsay Poche Cinéma.